Chapitre 30 : Ragots et Soupçons
— Tu sais que je les ai vus s'embrasser dans la salle de réunion ?
Cette confidence de Marina à Paul, me glace le sang. D'autant plus, que je suis persuadée au fond de moi qu'elle n'est pas fondée. Au pire, elle nous a vu très proche après cette maudite réunion de la semaine dernière, celle-là même où elle s'est faite recardrer par le médecin, mais ça s'arrête là. Avec Robin, nous poursuivons sur la même ligne de conduite que l'on s'est donnée, c'est-à-dire : pas au boulot.
— Sérieux ? Mais elle ne s'embête pas la nouvelle, rétorque le blond avec écœurement. Elle nous aura vraiment tout fait depuis son arrivée. Les jeunes diplômés de nos jours, ce n'est plus ce que c'était.
"Il blague ou quoi, s'énerve ma conscience ? Il doit avoir cinq ans de plus que nous".
Toujours cachée dans la réserve, je suis tiraillée entre l'envie irrésistible d'intervenir et celle de la jouer fine et de faire comme si je n'avais rien entendu. lI n'empêche que je n'en reviens pas que la dragonne ose un coup aussi bas et se mette à colporter des ragots pour me faire du tort.
— Le plus étonnant, ajoute ma collègue d'une voix moqueuse. C'est qu'il y a plein de jolies femmes dans l'équipe, et pourtant ce gars, aussi canon qu'il soit, n'a d'yeux que pour ce bibelot de vide-grenier.
—Il semblerait qu'il préfère un bibelot de vide-grenier à une vieille machine de dépotoire, répliqué-je à moitié furieuse à cause de ce que je viens d'entendre. Et puis, tu vérifiras tes sources, mais l'interne et moi, ce n'est que dans tes rêves les plus fous, Marina. Alors, si tu veux tenter ta chance, n'hésite pas, je serais au premier rang pour te regarder te prendre un vent.
Je lui esquisse un grand sourire alors que je vois Paul se tordre de rire, au grand désespoir de Marina que je vois virer au rouge. Je fais un clin d'œil malicieux à ma rivale et laisse les deux complices en tête-à-tête. Une fois sortie de la pièce, je fais nettement moins la maligne. Je suis persuadée que Marina n'a rien vu, cependant, je ne tiens pas à ce qu'elle creuse cette histoire. Prise d'un vent de panique, je dégaine mon portable pour informer le beau brun de cette frustrante découverte.
Roxane :
" Alerte rouge ! Marina et Paul se questionnent à propos de nous. J'ai surpris une conversation dans la réserve lors de laquelle la dragonne racontait à son accolyte comment elle nous a surpris à nous embrasser"
Sa réponse ne se fait pas attendre
Robin :
« Je m'en charge ! »
" On ne pouvait pas faire plus bref ! ", s'étonne ma conscience.
Je dois admettre que ça m'enlève une belle épine du pied car on ne peut pas dire que mes relations avec la jeune femme soient au beau fixe. Je suis même persuadée que si ça venait de moi, elle trouverait ça encore plus suspect et je perdrais toute crédibilité. Alors autant laisser à mon bel interne la lourde tâche de nous sortir de ce pétrin.
Les transmissions sont sur le point de commencer quand il entre comme une fleur dans le bureau soignant. J'aurais aimé dire que son entrée est passée inaperçue mais entre la porte qui grince et son charisme qui fait grimper en flèche toutes les libidos féminimes, pour la discréssion on repassera.
Depuis cette histoire avec Dimitri, c'est devenu fréquent qu'il assiste à cette réunion de changement d'équipe. Il doit sûrement se dire que c'est le moyen le plus fiable pour ne plus louper aucune information concernant les patients qu'il suit. Alors qu'il s'installe aux côtés de la dragonne, celle-ci ne peut s'empêcher d'intervenir.
— Il semblerait que notre cher interne vienne voir son infirmière préférée, lance-t-elle sur un ton sarcastique. Dommage pour toi beau gosse, la place à ses côtés est déjà prise.
Elle nous regarde à tour de rôle, comme si elle faisait un lien invisible entre nous. Malgré son petit jeu, personne ne semble y prêter attention. Même Paul, qui habituellement adore ajouter une petite pique après la dragonne, reste muet.
— Alors ça y est, lui retorque le grand brun avec un sourire malicieux, entre nous c'est officiel ? Je pensais pourtant que tu ne voulais pas que tes collègues le sachent, Marina.
La sincérité avec laquelle il joue tout cela me déconcerte. J'étais bien loin de me douter que derrière ces yeux noisette qui me font vibrer, un si bon acteur se cachait. Bien sûr que tout paraît faux, mais pour rien au monde je n'aurais loupé la tête stupéfaite que fait la dragonne.
— Après j'espère que tu aimes les plans à trois, ajoute-t-il faussement sérieux, car ma copine en est friande.
Il ponctue sa phrase d'un clin d'œil ce qui déclenche l'hilarité générale. Même Paul ne peut se retenir de rire. De mon côté, voir Marina rouge de honte, me fait jubiler. Pour une fois que les rôles sont inversés, je ne vais pas cacher mon plaisir. Je remercie intérieurement mon beau brun pour ce revirement de situation.
"Mais attend ! De quelle copine il parle ? " me questionne ma conscience qui se réveille enfin.
Je n'ai pas le temps d'y réfléchir que tout le monde se mêle à la conversation.
— D'ailleurs comment va Abby, questionne Vanina si guillerette qu'elle ressemble à une petite fille.
" Ah mais oui Abby ..." soupire ma conscience, de soulagement.
Sans le savoir, la tahitienne vient de me sauver les miches.
— Super bien, répond notre interne, avec beaucoup de gaieté. Elle a apprécié de vous rencontrer l'autre soir, contente de pouvoir mettre des visages sur des prénoms.
Sa capacité à mentir si aisément me scotche. Il ne blaguait pas quand il disait qu'il allait se charger de dissiper les doutes, et il faut croire qu'il sort le grand jeu.
— On a qu'à se faire un resto un de ces quatre, propose ma collègue, avec son accent polynésien. Ce sera l'occasion de faire plus ample connaissance.
Il arrive toujours un moment où le mensonge prend une tournure inattendue. Coincée dans un carrefour sans issue, mon corps est sur le point de lâcher. C'était sans compter sur l'aplomb du grand brun qui ne faillit pas.
— Ok, je vais voir avec elle ses disponibilités.
Avant qu'un nouveau débat ne prenne place, je commence les transmissions. Je parle des enfants mais j'ai l'esprit complètement ailleurs. Nous ne sommes que lundi, on est ensemble depuis trois jours et nous voilà déjà embourbés jusqu'au cou avec Robin. Tout cela ne me dit rien qui vaille. Enfin, à le voir si sereinement installé sur sa chaise, il semblerait qu'il prenne les choses avec plus de légèreté que moi.
Je suis tranquillement en train de me rhabiller, quand Astrid entre dans le vestiaire, telle une bombe prête à exploser.
— Samedi soir, resto avec Robin et Abby, annonce la blonde presque surexcitée. C'est bon pour lui.
— Yeah, s'écrient Leya et Vanina en cœur.
Face à la joie évidente de mes collègues, je tente de me faire la plus petite possible. Peut-être finiront-elle par m'oublier et ainsi, je pourrais échapper à cette belle mascarade.
— Et toi, Roxane, m'interpelle l'éducatrice, rompant ainsi tous mes espoirs. Tu seras des nôtres ?
L'idée de passer toute une soirée à contempler mon mec s'extasier au bras d'une escorte, dans le but de tromper tout le monde, ne me plait pas du tout. Je sais bien qu'il fait ce qu'il faut pour nous, mais il a tout de même bien vite trouver la solution. Et cette Abby, n'avait-elle rien de mieux à faire de son samedi soir ? Si j'étais parano, je pourrais croire qu'elle n'attendait que ça d'être rappelée par le beau brun. Un mauvais pressentiment me parcours l'échine m'incitant à penser que cette histoire ne va pas bien se terminer.
Je m'apprête à décliner l'offre mais, Leya me coupe l'herbe sous pied.
— Oh allez, m'incite-t-elle, en me secouant doucement par les épaules. Tu ne vas tout de même pas passer le reste de ta vie sous tes plaids ? Enfin, ce n'est pas comme ça que tu rencontreras quelqu'un. Et puis, nous ne l'avons toujours pas eu notre soirée filles !
Elle me lance un clin d'œil entendu. Rien qu'au souvenir de cette soirée catastrophique, mon estomac se noue.
— Justement, vu ce qu'il s'est passé lors de notre seule sortie, je pense que je suis vaccinée, justifié-je péniblement. Et puis, on ne peut pas appeler ça une soirée filles, si Robin est là.
Intérieurement, je prie pour que ces arguments fassent leurs effets. Hélas, j'ai à faire à plus coriace que moi.
— Écoute, lance Leya d'un air sérieux, je comprends que ça te remémore de mauvais souvenirs alors nous viendrons te chercher. Mais est-ce la seule raison de ton refus ?
Astrid et Vanina se rapprochent instantanément, pour prendre part à la conversation. Intérieurement, je me décompose. Mais comment je vais me sortir de tout ça ?
— Je ne dis pas que Marina a raison, poursuit la belle brune. C'est juste qu'il y a des signes qui ne trompent pas. Vos petits regards, votre façon de vous éviter en public... Il agit avec toi, comme avec aucune autre personne de l'équipe.
— Alors forcément, ça suscite des interrogations, ajoute Astrid.
— Je ne fais pas dans les mecs en couple, me braqué-je, en claquant la porte en métal de mon casier. On est juste amis.
— Bien, alors il n'y a pas de raison que tu ne viennes pas samedi soir, réplique Vanina.
" Elle n'a pas tort " ajoute ma conscience. " Tu as voulu jouer avec le feu, maintenant assume. "
C'est à contre cœur que je finis par accepter la proposition des trois filles. Je m'apprête à suivre Astrid et Vanina hors du vestiaire, quand Leya me retient.
— Roxane, m'interpelle la brune, tout en plongeant son regard dans le mien. Si la situation venait à évoluer, tu peux nous le dire tu sais. On ne te jugera pas.
Je la prends dans mes bras en guise de remerciements, incapable de formuler le moindre mot. Mon portable se met à vibrer, interrompant notre étreinte amicale. Je décide de ne pas en faire cas et emboite le pas de ma collègue, qui se dirige vers le parking. Ce n'est qu'une fois installée dans ma voiture, à l'abri des regards, que je prends connaissance de mon interlocuteur.
Robin :
« On a eu chaud ! »
Roxane :
« La partie ne fait que commencer ! Tu as intérêt d'être encore plus convaincant samedi »
Robin :
« Tu seras là ? »
Roxane :
« Je n'ai pas franchement eu le choix ! »
Robin :
« Je suis désolé que tu ais à subir ça. Vu que Vanina avait lancé les hostilités, je me suis engouffré.»
Je peux même dire qu'il a sauter à pieds joints sur l'occasion. Ce n'est vraiment pas ce que je m'imaginais comme début de relation, mais voilà ce qu'on récolte à semer la tempête.
Roxane :
« Ne t'en fais pas, je prendrais sur moi»
Robin :
« Tu es géniale. Tu serais partante pour un dîner en tête-à-tête à la maison, ce soir. Promis c'est moi qui cuisine et, si tu es sage, tu pourras même rester dormir. »
Son message est ponctué par un smiley qui fait un clin d'œil, ce qui me fait esquisser un sourire. Pas de doute, il sait comment s'y prendre pour me redonner un peu de baume au cœur. Bien que l'image de mon beau brun cuisinant nu sous son tablier me fasse saliver, l'idée d'aller chez lui pour la première fois m'angoisse fortement. Après tous les rebondissements de ce début d'après-midi, j'ai besoin de me sentir à mon aise, dans un environnement que je maîtrise.
Roxane :
« L'idée est alléchante mais je pense avoir mieux. Mon père est absent deux jours et ce soir Florence a prévu ses fameux macaronis aux trois fromages. Es-tu certain de vouloir louper ça ? »
Robin :
« Impossible de résister, en effet. Je finis à dix-sept heures. Le temps de passer prendre des affaires de rechange et je suis tout à toi.»
S'il savait toutes les pensées perverses que provoque en moi la fin de sa phrase, il viendrait sûrement sur-le-champ.
J'active YOUTUBE, lance mon mix du moment, laisse tomber mon téléphone sur le fauteuil passager et me met en route. Une petite pause est la bienvenue.
Je suis lovée dans le canapé, toute collée contre mon beau brun, qui est complètement absorbé par l'épisode de Good Doctor. Il n'est que dix-neuf heures, mais je lutte depuis plus d'une heure contre le sommeil qui cherche à me dominer.
Florence prend congé, nous annonçant aussi que le repas est prêt, puis laisse la porte d'entrée claquer derrière elle.
Après dix minutes de négociation avec mon interne, qui avait envie de profiter de notre solitude d'une manière bien peu orthodoxe, nous nous apprêtons à passer à table. Robin commence à sortir les assiettes, quand la sonnette retentit.
— J'arrive, annoncé-je, tout en quittant la cuisine. Florence a dû oublier ses clés.
C'est machinalement que j'ouvre la porte, tombant nez à nez avec ma collègue.
— Leya ! m'exclamé-je surprise.
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