Chapitre 32 : Affaires Classées

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J'ai beau me dire que c'est pour de bonnes raisons, j'ai du mal à me faire à l'idée que Robin et Marina vont avoir un tête-à-tête. La façon dont je l'ai appris me fait grincer des dents, surtout quand on sait que l'on a passé toute la soirée, et toute la nuit, ensemble avec l'interne, et qu'à aucun moment il ne m'a informé de ses intentions.

Comme je ne sais plus trop comment réagir face à toute cette histoire, je prends bien soin de les éviter tous les deux, depuis ce matin. Evidement, éviter Marina est un peu compliqué car il semblerait que la rousse se donne tout le mal du monde à se mettre constamment sur mon chemin. Bon ok, le service n'a pas la superficie du château de Versailles, donc on a vite fait de se croiser. Concernant Robin, mes efforts sont réduits à néant lorsqu'il m'interpelle à l'autre bout du couloir, d'une voix grave et autoritaire. Avec toute cette histoire autour du dossier de Dimitri, je n'ai d'autre choix que d'aller rejoindre l'interne. Ce n'est donc pas de gaieté de coeur, que je me rends dans son bureau.

— Il faut qu'on parle, m'annonce-t-il clairement, en s'installant dans son fauteuil.

— Si ce n'est pas de Dimitri, je n'ai rien à te dire.

Mon ton est sec, alors que je n'ose même pas le regarder dans les yeux. Je suis plantée, telle une fleur qui se dessèche, devant la porte à moitié fermée. Une boule se forme dans mon estomac, me donnant un sentiment de nausée.

— Roxane ! m'intime-t-il, le regard suppliant, en se relevant. On ne va tout de même pas commencer à tout gâcher entre nous.

Toute la colère que je contiens depuis les transmissions, s'empare de moi. Dans un énième combat de regard, j'explose.

— Il n'y a pas de NOUS ! balancé-je sans retenue. Il n'y a que TOI qui fait des choix sans m'en parler. C'est à TOI d'en affronter les conséquences.

Toujours à moitié dans le couloir, je me retiens de crier pour ne pas ameuter tout le service.

— Tu parles comme si je t'avais trompée, se moque-t-il nerveusement. N'oublie pas que je l'ai fait pour toi.

Je perds patience. En fait je n'en reviens pas qu'il se serve de moi pour excuser son rendez-vous avec la dragonne.

— Le dîner avec Abby n'était pas suffisant ? le contré-je agacée. Non, il fallait que tu joues les grands seigneurs et tu t'es dit qu'en mettant Marina dans ton lit, ses doutes s'envoleraient. Tu me dégoûtes.

J'ai parlé si calmement que je m'effraie toute seule.

— Il n'a jamais été question de...

— La prochaine fois que tu m'interpelles de la sorte dans les couloirs, le coupé-je brutalement, veille au moins à ce que ce soit pour des raisons professionnelles.

Je décide de mettre un terme à cette conversation qui n'a pas à exister en ce lieu. Je tourne les talons et sort, sans attendre la moindre réponse de sa part.

Quand je rejoins le groupe, j'ai l'impression qu'un Tsunami a envahi le service. Les jouets ont volé dans tous les sens, tout comme le mobilier de la salle de jeux. Kimberly, qui est en pleine crise, se cogne la tête contre le carrelage du couloir, Ivan a attrappé les cheveux de Dimitri et, au vu du combat acharné de Marina et Leya, il ne semble pas vouloir les lâcher. Instantanément, quelque chose me choque dans cette scène.

—Mais qu'est-ce qu'il se passe ici ? Où sont passés Eugène, Vanina et Astrid ? Pourquoi personne ne s'occupe de Kimberly ?

— Tiens, Roxane, constate Marina faussement joyeuse. Maintenant que tu as fini de roucouler avec notre interne, tu vas pouvoir nous prêter main forte.

À cet instant précis, je n'ai pas envie d'y mettre les formes et, en guise de réponse, je tends mon majeur gauche à ma collègue.

— Tu me le paieras sale garce, rétorque cette dernière, toujours cramponnée au grand autiste.

— Vous vous battrez plus tard, nous interrompt Leya, à bout de souffle. Je ne sais pas si vous réalisez mais y a crise là. Pour faire bref, Eugène a regroupé les enfants dans une autre pièce, Astrid est à sa visite médicale et Vanina est en renfort dans le service d'en face car ils ont bipé pour une crise. Ironique non, quand on sait que maintenant c'est notre tour ? Concernant Kimberly, elle a vrillé à cause du bruit et comme tu vois, tous nos bras sont pris donc si tu pouvais faire quelque chose là !

Le temps d'une poignée de seconde, je me sens un peu fautive de ne pas avoir été là au bon moment. Si mes collègues savaient les raisons de mon arrivée tardive dans cette crise, elles me détesteraient davantage.

Je prends un court temps pour mieux analyser la situation et je me précipite dans la chambre de Kimberly pour récupérer un drap. De retour dans la salle, j'enroule la jeune fille dedans et je commence à la bercer, de la même façon que j'avais vu Marina le faire lors de mon premier jour. Comme elle se débat, je me mets à fredonner une comptine au creux de son oreille. Au bout de dix minutes, la fillette est complètement calme, dans mes bras. Le retour du silence finit par apaiser Ivan, qui lâche Dimitri. Ce dernier pleure, à chaudes larmes, dans les bras de Leya.

Une fois cet incident résolu, la matinée reprend tranquillement son cours. Marina ne cesse de me lancer des regards assassins que je décide d'ignorer, décrétant qu'elle ne mérite pas que je lui prête attention. Pour être honnête, ce n'est pas la seule collègue qui me tape sur le système. Bien qu'elle n'ait fait aucune allusion à sa découverte d'hier, contrairement à ce qu'elle m'avait laissé croire, Leya joue la carte de l'ignorance et je dois admettre que ça me fait bouillir. Dès que je l'interpelle, elle fait mine de ne rien entendre. Du coup, bien que mes trois autres collègues semblent tout à fait de bonne humeur, je préfère me la jouer solo.

Nous sommes tous les six attablés autour d'un café, dans un silence de mort, quand Robin débarque dans la salle à manger. Il s'apprête à prendre les informations du jour, mais il est coupé net par le cadre qui déboule telle une tornade pour nous convoquer dans son bureau, lui et moi.

Nous le suivons sans broncher, car vu sa tête, cela doit être important.

Dans la petite pièce, Lucas nous invite à prendre place sur les deux chaises miteuses qui lui font face.

— Bien, commence-t-il, une fois que nous sommes installés. Nous en savons plus en ce qui concerne Dimitri.

Le sang me monte à la tête, et je commence à défaillir. Je ne suis clairement pas responsable de la situation, mais il y a toujours une part de doute qui sommeille en nous. Et si j'avais fait une bêtise ? Et si j'avais oublié un détail ? Et si un document m'avait échappé ? Robin doit sentir mon mal-être car je sens sa main se poser discrètement sur la mienne. Je n'en fais pas cas et reporte mon attention sur mon cadre.

— Après avoir reconstitué tous les événements avec l'enquêteur. Nous avons pu remonter à la source du problème.

Oh là là, il a l'air grave! J'ai l'impression que je vais me prendre une soufflante. Son regard est dur et sa posture est rigide. Je ne l'ai jamais vu ainsi depuis que je suis arrivée.

— C'est une erreur au labo, avoue-t-il finalement. Il y a eu un échange de tube avec un patient des services adultes.

C'est d'abord un "ouf" de soulagement qui sort du plus profond de ma cage thoracique puis, de l'indignation.

— Quoi ? répliqué-je surprise, mais c'est impossible ! Avec toutes les étiquettes au nom du patient qu'on nous force à mettre.

— Il semblerait qu'il y ait eu une erreur de saisie dans la machine. Quoi qu'il en soit, cette affaire ne nous concerne plus. L'enquête va se poursuivre au laboratoire mais pour ici, c'est clos.

— Vous en êtes vraiment certain ? questionne Robin, tout aussi sceptique que moi. Je vais quand même demander une prise de sang de contrôle.

— Si cela peut vous tranquilliser, monsieur Escurti. Et après, l'affaire sera classée.

Nous hochons la tête nonchalamment et nous sortons du bureau. Alors que je m'apprête à rejoindre le groupe, Robin me retient fermement par le bras.

— Je te fais la prescription de ce pas, m'informe sèchement l'interne. Je veux que tu t'en occupes immédiatement ! Je m'occupe d'appeler un coursier pour qu'il vienne chercher le prélèvement.

— Bien sûr, je vais préparer le matériel de ce pas.

Alors que je m'apprête à m'affairer à la tâche, il me retient.

— C'est assez professionnel pour toi ?

Son regard est dur et son ton cassant. Je me contente d'un signe de la tête, pour ne pas entrer dans son jeu. Les disputes et les scènes de ménages ça commence vraiment à bien faire. J'ai toujours été une femme libre et indépendante, alors il est hors de question que je me laisse enfermer dans le cercle vicieux du « Je t'aime, moi non plus ».

En retrouvant le groupe, j'informe à qui voudra bien m'aider que j'ai un soin à faire à Dimitri. Leur motivation générale a le don de me faire vriller. Ils sont là, tranquillement assis à siroter leur boisson à la vitesse d'une tortue. Le pire, c'est que leur discussion continue comme si je n'étais pas intervenue. Ce n'est pas possible, ils se sont passés le mot pour me pourrir la matinée.

— Oh, on se bouge, y a du boulot ! crié-je, pour être entendu.

Ils me regardent tous déconcertés, mais personne ne lève le petit doigt. Je l'aurais bien faite toute seule cette prise de sang, après tout ce n'est pas sorcier. Seulement le protocole de service nous impose d'être au moins deux pour assurer la sécurité aussi bien de l'enfant que de la personne qui pique. Au vu de la population que l'on accueille dans le service , un geste brusque est vite arrivé ainsi il y a une personne qui pique et une autre qui s'occupe de tenir et divertir l'enfant. Leya m'a raconté qu'une fois , pour la prise de sang d'Ivan, ils ont du s'y mettre à cinq. Inimaginable !

Face à l'absence de réaction du reste de mon équipe, la colère me monte à la tête. Que Marina et Leya ne se sentent pas concernées je peux le comprendre, mais j'espérais un peu plus de bienveilance de la part de mes trois autres collègues. Vive l'esprit d'équipe ! Un faux pas et tu deviens personna non grata. Je quitte rapidement la pièce, prenant Dimitri au passage, et je passe par la salle de soin récupérer tout le matériel. Puisque je n'ai pas obtenue gain de cause d'un côté, je me rends dans le bureau de Robin, avec l'intime espoir qu'il sera plus professionnel que les cinq autres.

— Une trêve ? l'intimé-je en rentrant précipitamment avec Dimitri. Les cinq clowns là-bas ont décidé de me laisser galérer.

Il semble d'abord surpris, puis pose son stylo pour venir à la rencontre du jeune garçon.

— Alors Dimitri, à ton avis, commence-t-il doucement en l'installant sur une des chaises du bureau, qui fait les meilleures piqûres ? Le médecin ou l'infirmière ?

Son ton est rassurant et ses gestes sont doux, il n'y a pas à dire il sait y faire avec les enfants.

— Moi je crois que c'est les infirmières, répond le jeune garçon, parce que les médecins ils savent qu'écrire les médicaments.

Sa remarque, ainsi que la tête déçue de l'interne, me font pouffer de rire. Je commence à préparer le soin alors que Dimitri poursuit.

— Tu es docteur ?

Il s'adresse à Robin qui s'est positionné à côté de lui pour lui tenir la main.

— Pas encore complètement, mais bientôt je serais le meilleur de tous, plaisante t-il.

— Alors tu peux me promettre un truc ?

— Dis-moi, et je te dirais si c'est quelque chose d'envisageable jeune homme.

Il se baisse à hauteur du jeune garçon, pendant que Dimitri semble réfléchir à la tournure qu'il va donner à sa phrase.

— Quand tu seras un vrai docteur, tu pourras demander à un autre docteur de soigner mon papa et ma maman pour qu'ils arrêtent de me taper et que je puisse retourner vivre chez eux.

Cet enfant a vraiment le pouvoir de me fendre le cœur. Si jeune et déjà si mature.

— Je vais faire tout ce qu'il me sera possible de faire, promet Robin presque aussi ému que moi.

Le garçon esquisse un grand sourire, visiblement satisfait de la réponse de notre interne.

— Et voilà, c'est fini, annoncé-je joyeusement pour détendre l'atmosphère.

— Ouah, j'ai rien senti, s'exclame le jeune garçon, tu es trop forte Roxane.

Il saute dans mes bras et m'enlace très fort. Une parenthèse de douceur dans cette journée de brute.

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