Chapitre 5

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Assis à la gauche du Près’, qui clos la messe, je regarde mes frères sortir, l’air renfrogné et préoccupé.

L’arrestation d’Hunter nous a tous laissés sur le cul. Personne ne l’a vu venir. Pas même moi. Et ça me fout la rage bordel ! Je ne comprends pas comment ça a pu se produire. J’ai des alertes informatiques sur tous les sites de police locale et fédérale. Un truc pareil n’aurait jamais dû m’échapper !

Depuis qu’il s’est fait coffrer, je cherche comment ça a pu arriver. Comment cette info a pu me filer entre les doigts. Je n’ai pas dormi depuis près de cinq jours. Je suis sur les dents. Pas vraiment d’humeur à bavasser. J’ai du boulot.

Seul reste autour de la table, les membres du conseil restreint. Les cadres du club. Apo le Près’ et Shadow le VP, Crow le trésorier, Deep le secrétaire, nos deux représentants : Jam, faucheurs et Rift, un de nos plus vieux membres. Puis normalement, Hunter, Road Captain et moi, Sergent d’Armes. La tension autour de la table est palpable. Cette histoire avec Hunter nous colle carrément les nerfs.

— Est-ce qu’on en sait plus? lance Rift, alors que tous les regards convergent vers moi.

Au signe de tête de mon Près’, je comprends qu’il est temps de répondre aux questions et de faire le point.

— L’opération n’a concerné que la police locale. Pas de fédéraux, dis-je calmement.

— C’est déjà ça ! gronde Jam.

— Mais, grogné-je, avec ses enfoirés de journalistes, l’affaire prend de l’ampleur et faut s’attendre à tout. Ils vont guetter la moindre connerie. On est déjà sous surveillance.

— Putain, ces connards de flics de merde se sont fait un sacré coup de pub sur notre dos. Serrer un Sons pour meurtre. Le rêve, crache Deep, avec une grimace de colère. — Ce qui est sûr, intervient le Près’, c’est que la prudence est de mise mes frères. Surtout tant qu’on ne sait pas qui est réellement derrière tout ce merdier.

— Donc, on se concentre sur nos business légaux, reprend Shadow. On reste en veille. On rentre dans le rang. On ne fait pas de vagues.

— Comment c’est possible qu’aucun de nos indics ne nous aient avertis ? poursuit Rift.

— Parce qu’aucun ne savait, affirmé-je. Cet enculé de Collins a traité directement avec le Proc. Ce qui veut dire...

— Ce sale bâtard de flic, vocifère Jam. On aurait déjà dû s’en occuper ! On devrait lui rendre visite et…

— Jam, grondé-je.

— Hors de question, tonne notre Près’. C’est pas le moment d’aller chercher les emmerdes.

Jam se renfrogne, se colle au fond de son siège, mais hoche imperceptiblement la tête. Pas le choix. Le club avant tout. Et il faut dire que le Près’ est impressionnant. Personne ne le défie sans conséquence. Pourtant, chacun de nous tuerait ou mourrait pour lui, pour le club ou pour nos frangins.

— On sait tous qu’Hunter a été piégé, reprend notre Près’. Mais on ne sait, ni par qui, ni pourquoi. Collins n’a ni les épaules, ni les couilles pour avoir agi seul. S’il est en cheville avec le Proc, c’est que c’est un gros poisson et pas du p’tit gibier. On ne sait toujours pas comment ils ont fait. La vengeance viendra mes frères. Comme toujours. En attendant d’y voir plus clair, les prochaines ventes ont été repoussées. On ne bouge pas et on sert les rangs. C’est clair?

Tous hochent la tête en guise de réponse. Le message est passé. Le club est en danger. On est en alerte. Nous devons tous être vigilants. Veiller les uns sur les autres.

— Bien. On doit aborder une autre question, reprend le Près’, impassible. Hunter refuse qu’on prévienne sa frangine ou… Bri. Vous savez tous ici, que ces derniers mois, il n'était plus lui-même. S’il doit rester en taule, il aura besoin d’elles.

Depuis le décès de sa mère. Hunter est devenu plus imprévisible et plus dangereux. Les remords, la culpabilité et la colère le rongent. Il est à vif. Le moindre truc lui fait perdre le contrôle. Une vraie bombe à retardement.

En règle générale, il suffit de mentionner Bri pour qu’il s’arrête net et reprenne pied dans la réalité. Elle est son point d'ancrage. La meilleure partie de lui-même. Celle qui l’empêche de basculer, de sombrer dans les périodes difficiles. Mais ces derniers temps, même cette foutue relation avec elle ne l’aidait pas. Ça le bouffait. Il la voulait près de lui. La distance le rendait encore plus dingue. Il se posait un tas de questions, une vraie gonzesse. Et bordel, l’absence de réponse le mettait encore plus sur les dents.

Leur relation est compliquée, pour ne pas dire merdique. Je ne sais pas trop où ils en sont, mais Bri n’a jamais voulu venir ici. On ne sait pas trop pourquoi. Mais, il avait besoin d’elle. Ne pas la voir, ne pas être près d’elle, ne pas pouvoir veiller sur elle, la protéger, c’est son enfer. Les refus successifs de Bri ont failli lui faire péter les plombs. À part jouer des poings, rien ne le calmait. Hunter est un putain de soldat. Un SEAL. Le corps à corps est sa spécialité. Aux entraînements, les gars ont pris cher.

Il a peur pour elle. Peur de la perdre. Il en crève de ne pas savoir ce qui se passe dans sa vie. De ne pas pouvoir veiller sur elle. Il ne supporte pas l’idée d’avoir pu la décevoir. Qu’elle se soit éloignée de lui. Ça le bouffe de l’intérieur. Je ne comprends pas pourquoi il s’inflige ça. Il devrait trancher dans le vif. Avoir mal une bonne fois pour toutes et passer à autre chose. Pourtant, par moment, je l’envie.

J’ai aimé une femme il y a longtemps. Je me souviens de ce qu’on ressent. Ce bouleversement. Ces émotions fortes. Le palpitant qui s’emballe. Le corps qui n’obéit plus. Mais, je me souviens surtout de la douleur, quand tout se brise en une fraction de seconde. De cette souffrance intense dans ma cage thoracique. De mes poumons qui se compriment. Du sol qui s’ouvre sous mes pieds. L’amour est illusoire. Une faiblesse de l’homme face à la solitude. Je ne serai plus jamais faible.

Je laisse les sentiments aux gonzesses. Même si elles savent qu’il n'y a rien à attendre de moi, que je me contente de baiser. Rien de plus. Aucune complication. Aucune emmerde. Une règle d’or : jamais deux fois la même nana, jamais plus d’une nuit.

Malgré ça, elle hante encore mes rêves, quand j’arrive à trouver le sommeil. Et je déteste ça. Mais plus que tout, c’est elle que je hais. Je lui ai tout donné. Absolument tout. Et elle m’a tout pris. M’a brisé. La haine que je lui voue aujourd’hui, est à la hauteur de l’amour que j’avais pour elle autrefois : sans limite. Penser à elle, me donne envie de gerber.

Les voix de mes frères, en pleine discussion, me ramènent au présent.

— Putain. Cet enfoiré va nous défoncer, lâche Deep.

— Bordel, ouais, grogne Crow.

— Putain les gars, est-ce qu’on a vraiment envie de voir débarquer la furie, demande Jam en rigolant.

On éclate tous de rire à cette idée. Nina. La tornade. Ou Stormy pour nous. Son caractère de merde, sa détermination et sa joie de vivre nous ont tous séduit. Elle profite de chaque instant, vit à fond sans se soucier du reste. Cette nana est faite pour notre monde. Quand elle est là, le club n’est jamais aussi vivant. Elle ferait une putain de régulière. Mais, bon courage à celui qui s’y collera ! Il a intérêt d’avoir les couilles bien accrochées. Parce qu’elle est bien capable de les lui broyer en une demie seconde.

— Putain, c’est clair qu’elle a un foutu caractère ! lâche Deep, le sourire aux lèvres. Un putain de sacré foutu caractère ! Bordel !

Parler de Stormy détend tout le monde et fait redescendre la tension d’un cran. Même si aucun de nous ne l’avouera jamais, nous sommes tous contents de sa venue. Sa présence va mettre de l’ambiance. La seule inconnue : c’est Bri. Aucun de nous ne l’a jamais vue. En dehors de ce qu’Hunter ou Stormy nous en ont dit, aucun de nous ne sait à quoi s’attendre.

— Espérons que la deuxième soit pas dans le même genre, lâche Crow, sinon ça va être du sport !

— Bordel, on peut s’agripper à nos couilles… On les gardera pas longtemps ! lance Jam, mi amusé, mi inquiet.

— Si elle vient, lâché-je sceptique. Jusqu’ici, elle a toujours refusé et ça rendait dingue Hunter.

— Qu’est-ce qu’on sait d'elle, commence Rift.

— Bridie, commencé-je. Peu de choses. Elle est avocate pénaliste. Ça marche bien pour elle. Hunter, Stormy et elle ont grandi ensemble. La seule info fiable, c’est que l’un comme l’autre tueraient pour elle.

Le silence se fait durant quelques secondes. Puis, le Près’ reprend :

— On est d’accord ?

Comme un seul homme, nous répondons d’un hochement de tête.

— Bien. Anchor, tu te charges de les mettre au courant.

C’est un ordre. Pas moyen d’y échapper. J’acquiesce de mauvaise grâce. Une fois la messe terminée, le Près’, Shadow et moi remontons au bar du MC pour boire une bière. En balayant la salle du regard, j’aperçois mon équipe en pleine partie de billard. Les gros. Mes faucheurs. Wolf, Devil, Scar, Spider, Jam, Death, Tiger et War. Les poings vengeurs des Sons. À eux huit, ils sont capables de retourner Oakland en une demie heure, alors imaginer avec Hunter et moi. On est l’équipe d’élite du club. Celle qu’on envoie pour dissuader, foutre les jetons, péter des nez, des côtés ou des genoux ou tuer quand la situation l’exige.

Si je dois monter une opé pour faire évader Hunter. C’est avec eux que j’irai. J’espère ne pas avoir à le faire. Je préfèrerais qu’il sorte libre. Qu’on prouve qu’il a été piégé. Mais les avocats du club, des cracks, ne sont pas optimistes. Quoi qu’il arrive, mon frère ne pourrira pas en taule. J’en fais le serment.

— On va le sortir de là, lâche Shadow comme s’il lisait dans mes pensées.

— Je sais, grogné-je. J’espère juste qu'il ne va pas péter les plombs avant.

— Tu te souviens de notre rencontre? demande Shadow.

— Ouais. Comme si c’était hier, grogné-je, alors qu’Apo esquisse un sourire coin.

On s’est connu au Hell, un bar du club. On ne savait pas que c’était un bar de bikers. On aurait dû s’en douter quand on a aperçu les grosses bécanes à l’entrée et des gros balaises avec leurs cuts en cuir au fond de la salle.

Assis côte à côte au comptoir, on rentrait de mission. On était lessivé. Paumé. Le retour à la vie civile était rude. Personne ne nous attendait ni l’un, ni l’autre. Y avait que nous. Frères d’armes. Indissociables. Une putain d’équipe. Soudée. Efficace. Redoutable. Notre engagement prenait fin quelques jours plus tard. La hiérarchie était sûre de notre choix et prévoyait un redéploiement rapide. Nous, on n’en était moins sûr.

Ce soir-là, on a enchaîné les verres. Espérant qu’une bonne cuite, nous aiderait à y voir plus clair. On avait besoin d’oublier nos foutues vies de merde. Juste une soirée.

On se ressemble Hunter et moi. Cette chienne de vie nous a bien amochés. Elle nous a enlevés des êtres chers et on a dû en laisser d’autres derrière nous. L’armée a fait de nous des hommes. Des soldats d’élite. Mais, il nous manquait quelque chose. Même si on ne savait pas quoi.

Il nous restait qu’à picoler, en espérant que le vide disparaîtrait. Quand deux enfoirés avec leur cuir sont venus nous dire de dégager. Qu’on avait assez bu. Il n’a suffi que d’un regard pour qu’on dégoupille.

— Vous étiez bourrés, rit Shadow.

— Ça, vous en teniez une belle, ajoute Apo.

— Et pourtant, vous avez mis une branlée à dix de nos meilleurs gars, poursuit le VP.

— ...

— Fallait avoir des couilles... Ou être suicidaire, rit-il. Les gros s’apprêtaient à vous découper.

— Ah putain, c’est clair ! Ils crevaient d’envie de botter vos p’tits culs de merdeux ! renchérit Apo.

Ce souvenir m’arrache un sourire. Hunter et moi n’étions pas vraiment d’humeur ce soir-là. Alors, quand l’occasion de distribuer quelques droites s’est présentée, on l’a saisie. On les a défoncés, même à moitié bourrés. Mais si Apo et Shadow n’avaient pas arrêté les gros, on aurait morflé.

— Apo et moi, on ne se félicitera jamais assez de vous avoir sauvé la peau et fait intégrer le club. Vous avez des couilles. Du sang-froid. Et surtout de la ressource. C’est ça qui a fait de vous des cadres du club. N’oublie pas ça.

— Hum. Je croyais que c’était pour nos belles gueules, ajouté-je pour détendre l’atmosphère, alors que mon Près’ et mon VP se marrent franchement. Ou pour remonter le niveau !

— Enfoiré, lancent-ils en me mettant deux bourrades dans le dos, à me faire recracher ma bière.

— Hunter a de la ressource, reprend Apo. De la détermination. Il tiendra. Aie confiance.

— Puis, tu sais mieux que nous, ce qui le fera tenir, ajoute Shadow en me fixant.

— Bri.

Ils hochent la tête de concert. C’est vrai. Y'a que Bri, qui pourrait… Donner un sens à toute cette merde. Je sais à quel point elle compte pour lui.

Ok. Autrement dit, t’as intérêt d’être convaincant, enfoiré !

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