Chapitre 10
Hunter
La sonnerie d’ouverture des portes vient de retentir. C’est l’heure de la promenade. Je sors comme les autres et m’aligne pour la fouille au corps, Styx à mes côtés. Ils peuvent toujours palper ces connards. Ici, tout le monde sait que ce n’est pas armé que je suis le plus dangereux. Je serre les poings et essaie de me contenir. Je dors peu et depuis plusieurs jours, la rage m’habite. L’enfermement est en train de me rendre barge. Je tourne comme un lion en cage. Et putain, c’est rien de le dire.
Ne pas réussir à savoir comment j’ai pu atterrir ici, me mets sacrément en rogne. Et le manque de Bri finit de me foutre en l’air. Il est plus vif que jamais. J’ai l’impression d’être un camé en manque. Elle occupe chacune de mes pensées. Ne les quitte pas ne serait-ce qu’une seconde. Je me repasse nos moments en boucle. Les questions et les regrets me ravagent le crâne. Les réponses m'arrachent le cœur et me broient les tripes. J’ai l’impression de perdre complètement pied.
Quand le gardien approche, j’envisage une fraction de seconde de lui coller un putain de direct, déclenchant ainsi une bagarre générale. Putain, j’ai besoin d’un bon exutoire. De cogner fort et durement. Mais, j’ai une mission à remplir. Novikov. Et si je cogne maintenant, c’est terminé. Hors de question de foirer une putain de mission pour le club. Moi vivant, jamais. Alors je serre les dents et les poings et attends que ça passe.
Une fois la fouille effectuée, nous rejoignons le bloc E pour atteindre la cour. Snake et mes frères nous rejoignent. On est une dizaine de Sons. Par rapport aux autres, les latinos, les black ou ces putains d’enfoirés d’ariens, on est peu nombreux. Mais, la plupart d’entre nous sommes d’anciens soldats, entrainés et redoutables. Sans parler de notre appartenance à un des plus gros clubs 1% du pays. On ne reculera devant rien. Personne ne se frotte à nous. Sauf ces connards d’Italiens de mes deux. Ce sera la prochaine leçon.
On laisse volontairement les autres détenus nous devancer, de façon à être les derniers. Novikov est en tête. Fier comme un paon en pleine parade. Un petit sourire arrogant figé sur les lèvres. Il est sûrement très fier de son p’tit coup de pute. Il n’a jamais pu nous encadrer. Pourtant, il ne crache pas sur le pognon. Va falloir remettre les compteurs à zéro. Je vais me faire plaisir. Il va ravaler son putain de petit sourire de merde et quelques dents avec.
Dès qu’on atteint la dernière porte, quatre de mes frères passent devant et sortent, alors que Novikov surveillent la porte, toujours ce petit sourire aux lèvres comme s’il était le roi du monde.
— Allez, magnez-vous bande de petites merdes !
Putain, cet enfoiré ne se sent plus pisser. Il oublie à qui il parle. Un coup d'œil à l’extérieur m’apprend que mes frères sont en position. Postés devant la porte, ils font le guet. Snake et deux autres assurent nos arrières. Styx me suit de près. Comme moi, il a hâte d’en découdre. La visite de ces connards d’Italiens nous a méchamment mis en rogne. Ça tombe bien, j’ai besoin d’action.
Je me rapproche nonchalamment de Novikov. Les muscles déjà sous tension. Prêt à lui exploser sa petite gueule d’enfoiré. Quand il croise mon regard, il perd son petit sourire de merde et percute que les emmerdes ne font que commencer. Ça m’arrache un p’tit sourire. Je le regarde étudier toutes ses options. Regarder en direction de la cour et apercevoir mes frères. Regarder derrière nous et se rendre compte qu’ils sont là aussi. La panique s’inscrit un peu plus sur ses traits à chaque nouveau pas que je fais. Et je jubile. Comme tous les connards qui pensent pouvoir nous la faire à l’envers, ses couilles semblent s’être fait la malle. Difficile d’assumer quand on a la tête dans la merde. Il se saisit alors de son talkie, espérant sûrement appeler des renforts, mais Styx est plus rapide.
Je ralentis encore le pas pour faire durer le plaisir. Le voir changer de couleur à chaque pas. Blêmir. La sueur commencer à perler sur son front. Je parie qu’il est à deux doigts de pisser dans son froc. Cette pensée m’arrache un putain de sourire. Quand il s’en aperçoit, il se redresse. Serre les dents. Lève le menton. Carre les épaules. Bombe le torse. On dirait que l’enfoiré a décidé de faire face. Intéressant.
— Mon frère, lancé-je à Styx, montre à notre ami comment on parle aux petites merdes !
Styx n’hésite pas une seconde et lui envoie une droite magistrale en pleine mâchoire. Novikov vacille, mais encaisse. Il se redresse et s’apprête à ouvrir la bouche quand un direct du gauche le frappe à nouveau en pleine gueule, ce qui me tire un nouveau sourire. Cette fois, il se retrouve appuyé contre le mur, légèrement sonné. Son arcade et sa pommette pissent le sang. Pourtant, il s’essuie d’un revers de manche et malgré la douleur inscrite sur sa gueule, il se remet droit et me fusille du regard. Ce connard me défie.
Lorsque j’arrive à sa hauteur, je le regarde droit dans les yeux et avant qu’il ait le temps de faire quoi que ce soit, lui assène un méchant direct dans l'estomac qui le plie en deux. Un sourire étire mes lèvres, alors que Novikov a clairement ravalé le sien. Putain, ce que j’aime ça. Cette sensation d’être plus vivant que jamais. Fort. Puissant. Invincible. Cette décharge d’adrénaline. Cette tension dans mes muscles. Cette sensation au creux de mon bide. Je relâche la pression. Celle qui me tord les tripes depuis des jours. Qui me broie le coeur. Je refoule ses putains de pensées, me redresse et lui avec, en le cramponnant par le col de sa chemise de maton de merde, alors qu’il peine à respirer.
— Tu sais ce qu’il en coûte de nous défier, grondé-je en le regardant droit dans les yeux.
Je le cogne à nouveau. Au même endroit. Cette fois-ci, la puissance du coup lui fait poser un genoux à terre et lui coupe le souffle. Je le relève encore.
— Tu croyais pouvoir rouler pour ces enfoirés d’Italiens sans qu’on réagisse ? demandé-je en le fixant avec un demi-sourire. T’as oublié à qui t’as à faire, connard.
Je lui décoche un putain de crochet du gauche, qui l’envoie valser contre le mur. Cet enfoiré doit comprendre la leçon. On ne s’en prend pas impunément à nous. Aux Sons. J'enchaîne les coups. La colère me tenaille. J’ai en horreur ces petites merdes qui n’ont aucune parole, aucun honneur. Il a de plus en plus de mal à retrouver sa respiration, mais j’en ai rien à foutre. Il a déjà de la chance de ne pas finir mort au fin fond de la laverie dans un tambour de machine. Cette fois, c’est juste un avertissement. Une petite mise à jour comme dirait Anchor.
Penser à lui m’arrache un sourire. Il me manque l’enfoiré. Mon binôme. Mon pote. Mon frère. C’est à la vie à la mort nous deux. Je crèverai pour lui, comme il crèverait pour moi. On fait une putain de sacrée bonne équipe. Il est aussi posé et réfléchi que je suis impulsif et sanguin. Il est le plus sensé de nous deux. Moi, je fonce, cogne et discute après. Et encore quand ils leur restent des dents.
Je regarde cette petite merde de Novikov qui ne sourit plus du tout, la gueule en sang. La douleur et la peur impriment ses traits. Il respire difficilement. Résultat des coups au plexus. Et ouais, connard, faut pas défier les Sons of Hell. Faut pas jouer avec le feu !
Cette phrase. Merde. Un souvenir s’imprime sur ma rétine. Bri. Putain. Contrariée. La mine inquiète. Bri, plus belle que jamais. En colère. Qui me dit qu’il faut que j’arrête de jouer avec le feu. Qu’un jour, je finirai par me brûler. Bri en train de soigner mes plaies et blessures. Le regard triste. Les gestes délicats. La bouche boudeuse. Cette putain de bouche que j’ai rêvé d’embrasser un millier de fois. Ses lèvres rosées et charnues, véritable appel au crime. Combien de fois, j’ai bloqué dessus en me disant : “putain vas-y !” sans jamais avoir les couilles de passer à l’acte. Combien de fois j’ai rêvé de fondre sur ses lèvres douces et délicates. De l’attraper possessivement par la nuque et d'approfondir ce baiser. De caresser sa langue avec la mienne. De l’explorer. De la goûter. Elle, lovée contre moi. Dans mes bras.
Quand je reviens à moi, Novikov a sorti sa bombe anti-émeute et tente de s’en servir. Mais il n’en a pas le temps. Je lui envoie un putain de direct en pleine tronche. Connard de mes deux. À la colère succède la rage. Elle augmente à chaque battement de cœur. Ce dernier hurle à l’agonie dans ma cage thoracique. Étranglé par la douleur. Les images se mélangent dans ma tête. Bri. Ma mère. La taule. Le sang. La guerre. Bri. Les émotions se déchaînent en moi et je n’arrive pas à y faire face. La rage inonde mes veines, enflamme mes muscles, irradie dans ma cage thoracique et palpite au creux de mon bide. Je vois rouge. Et j’ai mal putain. À en crever.
Une de ces douleurs indicibles qui vous dévore le cœur, vous broie les tripes, vous déchire de l’intérieur. Celle du manque d’elle. De son absence. Des griffes invisibles me lacèrent la poitrine. Chaque parcelle de mon corps la réclame. Chaque seconde sans elle me rapproche un peu plus de l’inévitable. La mort. Mon putain de coeur ne survivra pas. Il frappe mes tempes, cogne durement prêt à exploser en un milliard de morceaux comme on éclaterait une bouteille sur un mur. La douleur est atroce. Putain, j’ai l’impression qu’on m’ouvre en deux. Qu’on me l’arrache à main nue. Je suis en train de devenir complètement barge. Elle me manque. Sa présence. Son odeur. Son sourire. Ses yeux de fou. Sa chaleur. Sa douceur.
Vivre loin d’elle, j’ai réussi avec le temps. Même si c’est une putain de torture de chaque instant. Que cette distance qui s’est installée entre nous me tue. Que le fait de l’avoir déçue me bouffe. Ne plus être aussi proche d’elle. Ne plus rien savoir de sa vie. Ne plus partager de moments de complicité me tord le bide putain. Mais vivre sans elle, impossible. J’en crèverai. J’en crève déjà.
Putain. Je suis là. Enfermé. Sûrement à perpète. Je ne sentirai plus jamais son doux parfum d’agrume. Je ne reverrai pas ses yeux tellement uniques. Et ce sourire à tomber. Je ne goûterai jamais ses putains de lèvres dont je rêve chaque putain de nuit. Je ne la tiendrai plus jamais dans mes bras ou contre moi. Ne la respirerai plus. Ne la caresserai plus. Je ne la reverrai jamais. Elle. Mon ange. Ma lumière. Ma raison de vivre. La seule pour qui mon connard de coeur bat. La seule qui apaise mon âme tourmentée, si tenté que j’en ai encore une.
Mon corps ploie sous cette douleur insupportable. Ma raison fout le camp. Tout devient noir. Le barrage cède. Mes émotions longtemps enfouies et ignorées se déversent. La douleur, la tristesse, le désespoir m’envahissent. Et cette putain de culpabilité. De les avoir abandonnées comme mon connard de père. De les avoir déçues toutes les trois. De ne pas avoir été à la hauteur. D’avoir fait les mauvais choix. De ne pas avoir été là. De ne pas avoir su les protéger. Les aimer.
Les regrets me bouffent. Ne pas avoir pu serrer ma mère une dernière fois. Ne pas avoir pu lui dire pourquoi j’étais parti. Lui dire que je l’aimais. Que je suis fier d’être le fils d’une putain de guerrière. Que je n’ai pas un quart de son courage. Que je ne reverrai jamais Bri parce que j’ai été suffisamment con pour ne pas porter mes couilles et pour penser qu’un jour peut-être... Mais putain, un jour quoi ? Elle finira par s’apercevoir que je crève d’amour pour elle ? Putain, mais je rêve ! Quel abruti !
Ma mère m’aurait sûrement pourri si elle avait su. Une lame invisible me transperce le cœur de part en part. Putain, ce qu’elle me manque. Je l’entends de là se foutre de ma gueule : “un biker. Dans un club 1%. Qui trafique? Ne me prends pas pour une conne, Adam ! Tu trafiques. Et tu continues de te battre. De tuer ? Non, ne me réponds pas ! Je ne veux pas savoir ! Bon sang, Adam ! Mais qu’est-ce que j’ai fait pour que tu déconnes à ce point ? C’est le manque de père ça ! Oui, c’est clair ! Avec un homme dans notre vie, tu aurais sûrement mieux tourné ! C’est de ma faute ! Et Bri ?! Tu es amoureux de Bri ? J’aurais dû le savoir ! Le sentir ! Déjà gamin, t’étais en admiration devant elle. Et pourquoi tu ne lui dis pas ? Attends, ne me dis pas que le gros dur a la trouille ! Tu te bats tous les jours contre des montagnes de muscles et tu aurais peur de dire à Bri ce que tu ressens? Non. Impossible. Attends. C’est ça? Tu as la trouille d’un petit bout de femme déterminé mon fils. ”
Et ouais m’man, j’ai la trouille. Et si t’avais su et été encore là, y’a fort à parier que t’aurais traversé l’Océan rien que pour me botter le cul. Le gros dur perd ses couilles à chaque fois qu’il se trouve devant cette paire d’yeux bleus démentiels. Il est passé à côté de sa chance. Et ça le tue. Les combats illégaux. Fricoter avec la Bratva. Se mesurer à la mafia italienne. L’armée. Les SEAL. Les missions. Rien de tout ça n'égale ses grands yeux bleus qui me transpercent et lisent jusqu’au plus profond de mon âme. Je ne me suis jamais senti aussi vulnérable qu’en face de Bri et à la fois aussi fort qu’à ses côtés. Pourtant, plus rien de tout ça n’existe. Je suis seul ici. Comme un con. Et elle ne saura jamais. Je vais devoir vivre avec ça. Avec cette putain de douleur. Ce manque atroce tapi au creux de mes tripes, au fin fond de ma poitrine.
Putain. J’ai soudain envie de crever. De mettre fin à tout ça. À toute cette merde. Tout se mélange. Je perds pied. Je vrille complètement sous l’afflux d’émotions contradictoires. Amour. Rage. Passion. Regret. Culpabilité. Désespoir. Envie. Frustration. J’ai envie d’hurler à la mort comme un loup à qui on viendrait d’arracher sa compagne. Le mal qui me tenaille est insupportable. Je ne la reverrai jamais. Et cette pensée suffit à me finir. Une boule m’obstrue la trachée, m’empêche de respirer. Mon corps est tendu comme jamais. Mes muscles bandés au maximum. La souffrance irradie dans chaque putain de parcelle de mon être. Privé d’elle, je vais crever. Je crève déjà. Et je suis le seul responsable.
Comme un camé sans sa dose, je deviens barge. Je la vois partout. L’entends. Elle me dit de tenir le coup. Qu’elle sera bientôt là. Et ça me rend encore plus dingue. Parce que ça n’arrivera jamais. Jamais elle ne foutra les pieds ici. Jamais elle ne saura que je suis fou d’elle putain. Que je crève d’amour pour elle. Et ça me bouffe. Je suis capable de tout tant la douleur du manque est intenable. Le sevrage est impossible tellement je l’ai dans la peau. Elle est mon ange. Ma lumière. Celle qui m’empêche de sombrer. Qui me retient dans ce monde pourri. Sans elle, je suis déjà mort. L’enfer me tend les bras.
Je dors peu. Et quand je m’endors, les cauchemars sont de plus en plus réels. Elle seule réussissait à m’apaiser. Sa voix. Ses mots. Sa douceur. Des scènes de guerres m’assaillent. Des cadavres, hommes, femmes, enfants morts sous les tirs de mortiers ennemis. Des corps en charpie éparpillés autour de nous. L’odeur du sang. De la mort. Des bruits sourds étouffés et mêlés à des cris. De peur. De tristesse. De désespoir. Des pleurs. Et cette impression de flotter hors de mon corps. De ne pas être vraiment là. Mes frères d’armes qui s’agitent, qui me gueulent des trucs que je ne comprends pas. Je suis incapable de bouger. Je suis là, hagard, privé de toute volonté, de toute possibilité de mouvement. Notre véhicule en flamme, l’arrière à moitié arraché. Moi, appuyé contre. Sans réaction, comme si le monde s’était arrêté de tourner. Mes frères, morts devant moi. Putain.
D’un coup, brusque retour à la réalité. Des bras solides m’attrapent. Je me débats. Ils m’enserrent, me tirent vers l'arrière, me ramenant peu à peu au présent. J’entends qu’on hurle des ordres dans tous les sens. On dirait Styx. Qu’est-ce qu’il fout ? Et qu’est-ce qui m’arrive putain ?
Quand la lumière revient. Tout est flou. Je suis plaqué contre un mur. Ils sont plusieurs à me maintenir là, pendant que j’entends Styx beugler. Quand tout s’éclaircit et devient net, je suis plaqué contre le mur par quatre de mes frères. Styx est penché sur Novikov qui a l’air presque mort. Putain. Et Snake ceinture le môme qu’il devait garder à l'œil. Merde ! Qu’est-ce que c’est que ce bordel ?! Je secoue la tête pour reprendre mes esprits.
— Putain, lâchez-moi ! ordonné-je furax. Qu’est-ce que vous avez foutu, merde ?
— Ce qu’on a foutu ? gronde Styx en me regardant droit dans les yeux. C’est toi, connard ! C’est toi qu’as pété un plomb, merde ! Ça devait être un simple avertissement, bordel !
Il me scrute comme s’il cherchait quelque chose dans mon regard. Je le dévisage prêt à dégoupiller et à cartonner mes frangins, s’ils ne me lâchent pas.
Ses mots me percutent avec la douceur d’un tank. Moi ? Je ferme les yeux. Impossible putain ! J’étais… Bri… La rage. La douleur. Je… Non… J’étais de retour là-bas… Le noir. La poussière. L’odeur du sang. De la mort… Merde ! Est-ce que j’ai pu vriller à ce point ? Ouais. Putain. C’est possible. Jusqu’ici Anchor avait toujours réussi à éviter le pire. Mais ici, enfermé, je suis seul face à mes démons.
Putain là, j’ai clairement merdé. Maintenant, il faut gérer tout ce bordel. Le Près’ va me coller une belle branlée. Parce que si Novikov y reste, ça va être une belle merde ! En même temps, ce n’est ni la première fois, ni la dernière que je merde. Et Novikov ne sera pas non plus le premier maton à crever en taule. Et ça servira d’exemple à tous ceux qui voudraient nous défier. La colère et la rage me ravagent les tripes. Je m’en veux, autant que j’en veux à cette putain de vie de merde et à tous ces connards !
Ils n’ont pas le temps de le voir venir, que je m’arrache de leur contention à la con à grands coups de poing dans la gueule de mes frères. Comme s’ils pouvaient réellement me retenir. Putain, ils devraient le savoir depuis le temps. Ne jamais me casser les couilles. Ne jamais me défier. Je vais leur apprendre le respect. Et la hiérarchie putain ! Je leur en colle une bonne. Un bon direct pleine mâchoire, histoire que les choses soient claires !
Quand j’arrive vers Styx, les autres grognent de douleur mais aucun ne l’ouvre. Vaut mieux. J’assène un putain de direct du gauche à mon frère. Quand il se redresse, j’ordonne :
— Vas chercher Wilson et Jones. Grouille-toi.
Styx ne cherche pas à comprendre et file vers la sortie pour donner ses ordres aux autres. Je me penche sur Novikov et prends son pouls. Il est vivant, mais pas pour très longtemps. Il peine à respirer. Probablement une côte fracturée qui a perforé le poumon. J’ai déjà vu ça lors d’un combat. Je relève la tête et croise le regard de Snake.
— Qu’est-ce que je fais de lui, me demande-t-il en désignant le môme. Il a tout vu, s’il te balance…
— Il ne dira rien, le coupé-je. Il n’a pas envie de mourir.
Je regarde le gamin droit dans les yeux et m’avance.
— On s’est renseigné sur toi. T’es seul. Aucune famille. Personne qui t’attend. Pas même une nana. Maintenant, deux choix s'offrent à toi. Soit tu nous rejoins et tu gagneras des frères, une famille. Soit tu crèveras ici, seul.
— J’ai pas l’intention de vous balancer, lâche-t-il tout en me défiant du regard. Je ne suis pas con.
— Alors commence par baisser les yeux, gamin ! grondé-je, alors que Styx revient, Wilson et Jones sur les talons. Dehors, ordonné-je à mes frères qui s'exécutent et rejoignent la cour de promenade.
Je fais signe à Snake de garder le gamin avec lui. Seul Styx reste et me fixe inquiet.
— Faites votre job, claqué-je à Wilson et Jones. Appliquez votre putain de procédure.
— Bordel, tu peux pas faire ça ! gronde Styx.
— Depuis quand tu contestes les ordres putain ? aboyé-je en m’avançant vers lui.
— Depuis que tu déconnes mon frère ! Tu crois que c’est le moment de gâcher tes chances de la revoir ? assène-t-il en continuant de me dévisager.
Mais comment peut-il savoir ? Aucun de mes frères, si ce n’est le conseil restreint, ne connaît l’existence de mon ange. Je continue de le fixer sans ciller, accusant le coup. À l’intérieur, je bous. J’ai envie de tout retourner. Qu’il puisse parler d’elle me rend complètement barge. J’ai envie de l’éclater tout en ayant conscience qu’il n’a pas tort.
— On partage la même cellule mon frère. Et les rares moments où tu dors, tu murmures son prénom, me dit-il doucement afin que personne d’autre ne l'entende.
Merde. Je continue de le scruter impassible, mais sous le choc. Putain. Elle occupe toutes mes pensées. Toutes ces années sans elle ont été une putain de torture, mais c’est rien en comparaison de ces dernières semaines. L’enfermement me rend barge. Je tourne comme un lion en cage. Je ronge mon frein. Ne pas savoir ce que je fous ici et qui m’y a collé, me fout carrément les nerfs. Mais au-delà, il renforce son absence, le manque d’elle.
Je ne peux pas l’appeler. Et j’en crève. Je pourrais. Mais je refuse. Hors de question de la mêler à toute cette merde. De la mettre en danger. De la décevoir. Encore. De revoir cette lueur dans ses yeux. Je refuse qu’elle me voit ici. Comme ça. Lui parler, entendre sa voix m’apaiserait, je le sais. Et mettrait fin à mon calvaire. Mais elle me connaît mieux que personne. Elle a un sixième sens. Elle poserait des questions auxquelles je ne peux ni ne veux répondre. Et lui mentir m’arracherait le cœur. La blesser m’anéantirait. Je ne réussirais plus à combattre cette envie de crever logée au creux de mes tripes.
Ne pas savoir comment elle va. Ne pas entendre sa voix me lacère le bide. J’ai passé toutes ces années loin d’elle, c’est vrai. Et bien qu’une putain de distance se soit installée entre nous et que ça me tue, je n’ai jamais été totalement coupé d’elle comme ces dernières semaines. Et ça me rend complètement barge. Même en mission, je trouvais toujours un moment pour l’appeler. La rassurer. Et me rassurer aussi. Entendre sa voix douce, même pleine d’inquiétude, c’était comme un baume apaisant. Putain, ça vaut tout l’or du monde. Ouais je m’en veux d’avoir joué au con. Ouais j’en crève de cette distance entre nous. De ne plus rien savoir de sa vie. De ne pas en faire partie. Mais avais-je le choix ? L’ai-je encore aujourd’hui ?
Styx me ramène à la réalité en me donnant une bourrade dans le dos, avant de se diriger vers la sortie pour rejoindre la cour. Je suis toujours tendu au possible. Une tempête fait rage sous mon crâne. Ma raison pourrit mon coeur. À quoi bon ? Quand il est question de Bri, ma raison se barre en courant comme mes couilles. Putain. Ça ne peut pas durer.
Arrivé dans la cour, nous rejoignons nos frères et le gamin quand la sirène retentit. Ils viennent de trouver Novikov. Putain.
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