Une froide bienvenue

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Mon père et moi franchîmes le seuil du salon, suivis de toute la famille. La pièce était vaste, dégageant une impression de solennité mêlée à une chaleur accueillante. Sur les murs, des photos de famille soigneusement encadrées racontaient des histoires d'ancêtres et de moments précieux. Un grand tapis orné de motifs arabes, représentant une immense mosquée remplieée de fidèles en prière entourant un majestueux cube noir, dominait la salle.

Au centre de la pièce trônait un canapé beige, flambant neuf, avec des coussins ferme. Trois fauteuils assortis complétaient le décor, formant un cercle parfait autour de une table basse en bois sculpté, qui semblait prête à accueillir de nombreuses conversations familiales. Quatre fenêtres, grandement ouvertes, laissaient entrer une brise douce et rafraîchissante, qui faisait danser doucement de jolis rideaux.

On me guida jusqu'au milieu du canapé, et tandis que je m'asseyais, je sentis les regards de toute la famille peser sur moi. Ils étaient debout, formant un demi-cercle devant moi, leurs visages graves et silencieux. Je pouvais sentir l'attention concentrée sur ma petite personne, mais, incapable de soutenir leurs regards, je fixai mes yeux sur le tapis arabe accroché au mur en face de moi, espérant y trouver un refuge.

Mon père, debout à mes côtés, brisa le silence. Il se tourna vers le tapis et, d'une voix douce, me dit : Ta mère l'a ramené de La Mecque. Elle a fait le pèlerinage de la ville sainte quand tu n'avais que six mois. Il pointa du doigt une photo accrochée juste à côté du tapis: "C'est elle sur cette photo, entourée d'autres pèlerins. Là, c'est moi quand j'étais encore très jeune. "Et là,” il désigna une autre photo, c'est ta tante Coumba avec sa mère Aisha. Là-bas, c'est la photo de famille. Il ne manque que toi. Lui c'est Modou mon fils aîné. Puis Lamé, ma fille aînée, et après elle, Abdou, Doudou, Fati, Rafi, Barou, Touré, Néné. Ils sont tous à Dakar pour leurs études. Elle, c'est Bélelle, puis Madiou, Samba, Mohamed, Coumbis. Là," ajouta-t-il, "c'est ta tante qui qui tient dans ses bras ta demi-sœur Mati. Elle avait à peine un mois sur cette photo. Et ici, ta mère tient ton petit frère Bouba. Il venait juste d'avoir un an. Enfin, là, c'est moi avec mon père, qui nous a quittés l'année dernière."

Je reconnus quelques visages parmi ceux qui se tenaient devant moi. Samba et Mohamed, en particulier, étaient à peu près du même âge que mon cousin Adama. C'étaient eux les deux garçons que j'avais aperçus, jouant au ballon dans la rue avec d'autres enfants. Bélelle, la fille qui s'était exclamée avec un air moqueur: "C'est qui ce gros?” lors de mon arrivée, se tenait à côté de Madiou, qui, bien que plus petite de taille, semblait plus âgée. Et puis, il y avait Coumbis, qui semblait avoir à peu près mon âge.

Malgré l'angoisse et la tristesse qui m'étreignaient, je ne pouvais m'empêcher de penser au premier repas que j'allais partager ici. La maison, avec ses beaux meubles et ses habitants vêtus avec soin, semblait promettre de délicieux et copieux repas. Je me rassurais en me disant que si mes grands-parents, qui étaient moins fortunés, avaient toujours de quoi me nourrir, alors ici, je ne manquerais de rien. L'odeur alléchante du "Thiébou diène", ce plat traditionnel de riz au poisson, flottait dans l'air, exacerbant la faim qui me tenaillait depuis ce matin.

Ma mère, qui était restée silencieuse jusque-là, s'approcha. Elle avait l'air à la fois honteuse et agacée. Elle s'assit à mes côtés, tenant Bouba dans ses bras. Elle me scruta longuement, comme si elle essayait de comprendre tout ce qui m'était arrivé en son absence. Ses mains touchèrent mes joues, descendirent le long de mes bras, palpèrent mes jambes.

-"Heureusement que ton père t'a ramené," s'exclama-t-elle enfin, un soupir d'exaspération dans la voix. "Je n'aurais jamais dû te laisser avec ma mère. Viens, on va te laver et te changer. C'est quoi cette tache sur tes vêtements ?"

-"J'ai vomi dans le car," murmurai-je, presque inaudible, "mais Mamo m'a déjà lavé ce matin."

L'idée d'une nouvelle douche me terrorisait. Le souvenir de l'eau froide et de la rudesse des soins me hantait encore. Mais ma mère, implacable, me tira par le bras.

-"Il faudra quand même te laver. Viens !"

Je me laissai entraîner sans résistance, incapable de fuir ou de protester. De toute façon, où aurais-je pu me cacher dans cette maison étrangère ? Résigné, je me préparais à affronter cette nouvelle épreuve, me demandant quand ce cauchemar prendrait fin. Elle me tira hors du salon où toute la famille se trouvait encore, leurs regards curieux braqués sur moi. Je la suivais docilement, le cœur lourd, mes pieds traînant à chaque pas. Le couloir qui menait à la chambre semblait interminable. Les murs étaient ornés de quelques cadres discrets, mais je n'y prêtais guère attention. Ma mère avançait d'un pas résolu, sans jamais se retourner.

Lorsque nous atteignîmes la chambre au fond du couloir, elle poussa doucement la porte, révélant une pièce trés élégante. Au centre, un grand lit double en bois massif trônait, drapé de jolis draps immaculés qui semblaient presque intouchés, tellement ils étaient impeccables. À côté, un petit lit, plus modeste mais tout aussi soigné, était placé contre le mur, avec des couvertures soigneusement pliées au pied. Une grande armoire du même bois que le lit bois occupait tout un côté de la chambre. Elle semblait imposante, presque intimidante dans cette pièce paisible.

Ma mère se dirigea vers une belle commode dans un coin de la chambe, essortie aux autres meubles. Elle ouvrit doucement un tiroir, en sortit un morceau de savon enveloppé dans un chiffon blanc, puis referma le tiroir avec délicatesse. Sans un mot, elle me fit signe de la suivre. Je me laissai entraîner, mes yeux parcourant une dernière fois la chambre avant de quitter cet espace qui, bien que confortable, ne me procurait aucun réconfort.

Nous ressortîmes dans le couloir et ma mère me conduisit jusqu'aux toilettes situées à l'autre extrémité de la maison. En entrant dans la petite pièce, je fus saisi par la froideur des lieux malgré la chaleur. Le silence qui régnait là fut rapidement brisé par le bruit du robinet que ma mère tourna, laissant couler un jet d'eau froide. Je frémis à l'idée de ce qui allait suivre.

Alors que ma mère commençait à me déshabiller, mes frères, Samba et Mohamed, apparurent à la porte des toilettes, leurs visages étirés par des sourires moqueurs. Ils se postèrent là, les bras croisés, observant la scène avec un amusement cruel. Je les entendis chuchoter et ricaner, leurs yeux brillants d'une malice que je connaissais trop bien. Leurs regards scrutateurs me suivaient, amplifiant ma honte.

Ma mère, absorbée dans sa tâche, ne sembla pas prêter attention à eux. L'eau froide s'abattit sur moi comme une pluie glacée, m'arrachant un gémissement de douleur. Je tremblais de tout mon corps, mes dents claquant de manière incontrôlable. Mais ma mère continua à frotter ma peau avec rigueur, comme si elle cherchait à effacer non seulement la saleté, mais aussi tout le malaise et la gêne qu'elle ressentait. Ses mouvements étaient brusques, précis, presque mécaniques. Le savon se transformait en une mousse épaisse qui glissait sur ma peau, s'ajoutant à mon inconfort pendant que les rires de mes frères résonnaient derrière moi, perçant le bruit de l'eau qui s'écoulait. Ils se moquaient ouvertement, échangeant des commentaires mesquins sur ma situation: "Regarde-le trembler comme une feuille !" disait l'un. "Il a peur de l'eau froide comme un bébé !" ajoutait l'autre.

Enfin, après ce qui me parut une éternité, ma mère éteignit le robinet et m'enveloppa rapidement dans un pagne. Elle me sécha sans ménagement, ses gestes restant tout aussi fermes et déterminés. Mon corps tremblait encore, non seulement à cause du froid, mais aussi à cause de l'humiliation que je venais de subir.

Elle me ramena ensuite dans la chambre, me poussant devant elle comme un petit soldat vaincu. La pièce, pourtant chaleureuse et accueillante, me parut soudainement oppressante. Ma mère ouvrit l'armoire et en sortit une pile de vêtements. Des chemises bien repassées, des pantalons impeccablement pliés, qui respiraient le soin et l'attention.

Elle commença à me vêtir, mais les choses ne se passèrent pas aussi facilement. Samba, qui avait suivi la scène depuis l'encadrement de la porte, s'avança d'un pas rapide, la colère se lisait sur son visage: "Yayo, je ne veux pas qu'il porte mes vêtements," protesta-t-il, sa voix trahissant un mélange de mécontentement et de possessivité. Il se tenait droit, défiant sa mère du regard, comme pour marquer son territoire.

"Il n'a pas d'autre choix pour l'instant, Samba," répliqua ma mère avec fermeté, tout en continuant à essayer de m'habiller.

Mais Samba n'était pas prêt à céder: "Non ! Il est trop gros il va les déchirét! Il va les salir!" insista-t-il, en se rapprochant de moi, les poings serrés, prêt à défendre ce qu'il considérait comme son bien.

Je restai là, au milieu de cette querelle, tiraillé entre l'inconfort des vêtements trop serrés pour moi et la peur de susciter davantage la colère de mon frère. Ma mère, épuisée, finit par forcer les vêtements sur moi malgré les protestations de Samba. Chaque épisode semblait accentuer mon malaise, me faisant sentir comme un corps étranger qui ne faisait que perturber l'ordre établi.

Finalement, ma mère réussit à m'habiller tant bien que mal. Samba, frustré, tourna les talons et quitta la chambre en grommelant, laissant derrière lui une atmosphère lourde de tension. Je restai immobile, les vêtements de mon frère m'étouffaient ridiculement, trop serrés, trop neufs, trop chargés de ressentiments... Ma mère me regarda avec une tristesse non dissimulée. Elle caressa doucement ma tête avant de quitter la pièce à son tour, me laissant seul dans cette chambre qui, malgré son confort apparent, était devenue le théâtre de mon humiliation et de ma tristesse.

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