La boule de lumière
Domenico Scribus, le célèbre enquêteur romain envoyé par la Curie du Vatican pour élucider les plus mystérieuses affaires, observe en silence le champ de bataille qui s’étend devant lui. Ce n’est pas le premier qu’il contemple mais c’est de loin le plus lugubre. Un véritable charnier. Il se demande si ce sont vraiment les Anglais qui pourraient être responsables de cette désolation. Certes, comme après chaque bataille, le champ est jonché de restes d’armures et de traces de sang, et quelques paysans du village voisin rassemblent tout ce qui peut être brûlé et débarrassé pour alimenter le grand feu qu’ils ont allumé. Cependant, ce qui frappe Domenico, ce sont les traces d’incendie qui ont défiguré l’endroit. L’enquêteur descend ainsi de son cheval et examine au sol les marques laissées par ce feu qui n’a pas tout ravagé mais qui a laissé une large traînée au milieu de l’herbage. Il calcule que la largeur de la zone dévastée est d’environ quatre mètres et ce, sur toute la longueur du terrain qui a servi pour la bataille entre les deux armées. Ce phénomène est vraiment étrange et intrigue particulièrement le Romain qui remonte, pensif, sur son destrier.
Lorsqu’il franchit les murs d’enceinte du village, Domenico se dirige immédiatement vers l’auberge qui se situe sur la grand-place entre l’église et le petit château. La tavernière qui l’accueille le jauge du regard et son sourire s’adoucit lorsqu’elle se rend compte qu’il est habillé de vêtements dont l’étoffe et la coupe dénotent une certaine aisance même s’ils ne sont plus de première fraîcheur. Elle l’invite à s’asseoir et il se prend une soupe avant de s’installer à une table au milieu de la taverne. Il écoute les discussions autour de lui qui tournent toutes autour de l’affrontement et de ses conséquences. Tous ceux dont il parvient à distinguer les conversations sont convaincus que la bataille a été perdue suite à une intervention maléfique.
Un jeune homme blond arborant une cotte de maille, installé dans un coin de la pièce, l'intrigue. Il a clairement été brûlé au visage récemment et Domenico se demande si cela n’a pas un rapport avec les événements qui l’ont amené ici. Il commande une chope et vient s’asseoir en face du blondinet qui lève des yeux hantés vers lui.
— Tu as combattu les Anglais, il y deux jours, n’est-ce pas ? Tiens, une chope pour te remonter le moral. Et une pièce d’or si tu me dis ce que tu as vu.
Les yeux du soldat se mettent à briller immédiatement lorsque l’enquêteur dépose la pièce sur la table mais Domenico l’empêche de s’en saisir quand il tend la main.
— Les informations d’abord, la pièce après, si ce que tu me dis me convient.
L’homme regarde rapidement autour de lui, comme pour s’assurer que personne ne prête attention à ce qu’il va dire puis se penche, avec un air conspirateur, vers son interlocuteur.
— C’était horrible. Franchement, on était en train de remporter la bataille, on était plus nombreux, mieux organisés. J’étais avec le Gros Etienne et on écrasait ces porcs anglais qui ne font pas le poids face à nous, mais soudainement, cette femme est apparue. Une rousse avec des cheveux fous qui criait dans une langue vraiment étrange. Et Boum.
— Et boum ? le relance Domenico de plus en plus intrigué.
— Oui, boum. Après ça, je ne me souviens que du feu, de l’incendie qui a ravagé nos rangs, des cris, des hurlements… C’était horrible… Et le rire de cette folle au-dessus de la mêlée… Je n’en dors plus…
Pendant plusieurs jours suite à cette rencontre, Domenico poursuit son enquête en ville. Tous les témoins sont d’accord, le combat a été remporté grâce à l’intervention de cette sorcière rousse qui a fait apparaître une boule de lumière entraînant la dévastation et la débandade dans les rangs de l’armée. Voilà un mystère qui ne plaît pas à l’enquêteur pour qui ce genre de phénomènes ne peut rester inexpliqué.
Quand, quelques jours plus tard, Domenico apprend que la sorcière a été capturée, il fait le nécessaire auprès du Seigneur local pour pouvoir la rencontrer avant qu’elle soit exécutée et brûlée sur le bûcher. Lorsqu’il pénètre dans sa cellule, il est tout de suite frappé par l’aura qui se dégage de la jeune femme qui a l’air d’avoir à peine une vingtaine d’années. Elle semble rayonner de mille feux dans cette sombre pièce et le regard de l’enquêteur est tout de suite attiré par la beauté resplendissante de cette supposée sorcière. Ses beaux yeux verts plongent dans les siens et immédiatement, Domenico sait qu’il est perdu et qu’il va devoir tout faire pour sauver la belle femme du sort funeste qui lui est promis. Est-ce un sortilège qu’elle lui lance ? Un charme ? De la magie ? Il n’en a cure, ce n’est plus son cerveau qui le dirige, c’est son cœur.
— Il faut tout me dire, que s’est-il passé sur ce champ de bataille ? Est-ce vraiment sorcellerie ou bien avez-vous une explication rationnelle à ce que les témoins ont rapporté ? Je ne veux pas croire que vous soyez la cause de tant d’effrois et de désolation ! Comment une femme magnifique comme vous pourrait être à l’origine de cette catastrophe ?
Dans sa ferveur, Domenico s’est agenouillé devant la belle créature qui l’observe avec une expression qui oscille entre curiosité et amusement. Il se saisit de ses mains et les serre fort entre les siennes, totalement séduit par elle. De son angle de vue, il a une vue imprenable sur sa voluptueuse poitrine et cela ne l’aide pas du tout à se concentrer sur la mission de sauvetage dans laquelle il vient de s’engager.
— Hélas, Messire, ce n’est pas parce que vous me trouvez à votre goût que je mérite votre complaisance car oui, je suis bien à l’origine de ce phénomène décrit par tous mes accusateurs. Les combattants français sont tombés dans le piège que j’ai imaginé et je ne peux les contredire lorsqu’ils m’accusent de la mort de leurs amis, de leurs frères d’armes ou de leurs compagnons.
Domenico ne veut pas y croire et la questionne, la pousse mais elle persiste. L’échange dure jusqu’à ce qu’enfin l’enquêteur se rende compte qu’il n’a pas posé les bonnes questions, qu’il s’est enfermé dans une mauvaise direction et que, même si la Rousse lui dit la vérité, il ne s’agit peut-être pas de sorcellerie.
— Mais comment avez-vous fait pour faire apparaître cette boule de feu si ce n’est pas de la magie ? Je n’ai jamais rien vu de tel dans toute mon existence !
— Mais il ne s’agit là que de malice et d’ingénuité, pas de magie, mon cher Domenico. Le terrain était couvert d’huile et d’éclats de charbon. Une étincelle et le feu s’est propagé sur tout le terrain en quelques secondes !
Domenico, emporté par ses sentiments, est immédiatement convaincu et se précipite pour faire son rapport auprès du Seigneur qui se range rapidement à l’avis du célèbre enquêteur romain et libère la jeune femme sur le champ. Le Romain est tout fier de son succès et escorte la jolie rousse jusqu’à la sortie du village, plein de pensées toutes plus sensuelles les unes que les autres et se réjouissant d’avance des moments qu’il va pouvoir passer avec elle.
A la tombée de la nuit, les deux s’installent pour passer la nuit ensemble à la belle étoile, à l’abri dans une petite hutte découverte au hasard d’un chemin. Domenico se charge de collecter du bois pour lancer un feu et se réchauffer. Lorsqu’il se retourne pour aller chercher son briquet à silex, il entend la Rousse énoncer « Incendium ! » et le bois s’embrase immédiatement. La sorcière éclate de rire en voyant son air ahuri mais il n’a pas le temps de s’interroger que déjà, la jolie magicienne se déshabille et lui fait oublier tout le reste en l’attirant dans ses bras.
Encore une mission accomplie pour Domenico Scribus, le célèbre enquêteur romain, récompensé par une nuit de passion enflammée et de désirs embrasés !
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