Chapitre 5

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C’est dans cette atmosphère délétère que le dernier candidat retenu par Rose réserva une chambre pour le week-end suivant. C’était un pépiniériste d’origine québécoise, récemment établi à Bourbon-l’Archambault, dans l’Allier. Il se nommait François Martin. Malgré sa présence en France depuis plus de cinq ans, ce gaillard de bientôt quarante, avait en grande partie conservé son parler de la « belle province » et Serge ne put s’empêcher de le révéler, à peine le combiné du téléphone reposé :

— Hé, les gars, vous ne devinerez jamais d’où il vient le dernier prétendant de la Rose ? Je vous le donne en mille : du Canada ! Il a un accent, je ne vous dis que ça ! Le nôtre à côté, c’est du pipi de chat.

Accoudés au bar, se trouvaient là Alphonse le fossoyeur et « Quatre-et-trois-font-sept » le bedeau, alpha et oméga de la clientèle de Serge, le boulanger Froment et le brocanteur Delvieux. Tous quinquagénaires mariés à des mégères ou des femmes à la cuisse un peu légère, dont ils s’étaient lassés.

C’est dire si le Picon bière, le Ricard et le pastis aidant, les commentaires sur Rose et son Canadien passèrent rapidement du jovial au plaisantin et du salace au graveleux :

— Bientôt, y’aura plus que le train qui ne sera pas passé dessus ! éructa le bedeau déjà pas mal éméché.

— Ouais, y’a pas de justice, renchérit le brocanteur, brinquebalant quelque peu sur ses appuis.

— On va quand même pas laisser un étranger se faire Rose, alors que nous, on doit se la mettre autour du cou ! couina le boulanger de sa voix de fausset.

— T’as raison, pourquoi on y'aurait pas droit nous aussi, hein ? On vaut bien un Parisien ou un Canadien, non ? asséna le Père Alphonse avec dignité.

Bref, en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, Rose se trouva ravalée au rang de fille publique et le projet d’en user et abuser à leur guise ne tarda pas à échauffer les imaginations de ces piliers de bistrot.

D’une frustration d’après boire à un plan arrêté, il y avait du chemin que les compères parcoururent cette semaine-là, soir après soir, verre après verre, échauffant leur rancune et accroissant leur désir.

Sus au Canadien ! fut bientôt leur mot d’ordre. La suite, ils n’osaient pas encore la formuler précisément, mais les roberts de Rose, le cul et le con de Rose revenaient dans leur conversation à qui mieux mieux, comme une sorte d’obsession collective. Et le vendredi soir, le brocanteur, quelque peu féru de lettres, eut l’inspiration de l’injurieuse harmonie imitative qui devait désormais servir de surnom à Rose :

— Mademoiselle Foutre de Tienvit, à nous !

— Une pour tous, tous pour une ! clamèrent en chœur les conjurés.

L’aube de ce samedi de mars fut aussi limpide que les criminels projets de la petite bande étaient sombres.

Serge, en Judas de circonstance, s’était excusé auprès de Rose de l’inconduite du village envers Philippe Bertrand et celle-ci avait donc maintenu son plan initial de recevoir en son pays natal et à l’auberge de la Rose de Picardie le dernier de ses prétendants.

François Martin arriverait en train de Moulins à Paris, puis de Paris à Beauvais où elle irait le chercher, avait dit Rose.

(à suivre)

©Pierre-Alain GASSE, août 2017.

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