Chapitre 7
Ce dimanche matin-là, ce fut François qui s’éveilla le premier. Un rai de soleil perçait sous les double-rideaux. Lorsque ses yeux se furent accoutumés à la pénombre, il ne reconnut pas sa chambre. Celle-ci lui paraissait bleue ; la sienne était saumon. Il se retourna ; Rose dormait à ses côtés, d’une respiration régulière. Serait-ce que… ? Auraient-ils… ? Il n’en avait pas le moindre souvenir !
Il souleva le drap. Rose était nue et lui aussi. Le lit en désordre. Il n’y avait donc pas de doute. Pourtant, il ne se rappelait pas être venu la retrouver dans sa chambre. Pas plus qu’il ne se souvenait d’être monté dans la sienne… Ils étaient tous les deux devant la cheminée en train de boire un digestif, puis plus rien…
Qu’importe le comment, après tout ! Seul comptait le résultat. Il souleva à nouveau le drap pour admirer sa conquête et sentit aussitôt une ardeur nouvelle s’emparer de lui. Se penchant sur Rose, il déposa deux légers baisers sur ses paupières encore closes.
Elle ouvrit les yeux et vit un visage incliné sur elle. Son regard s’obscurcit un instant, mais l’heure n’était pas aux questions. Déjà un corps épousait le sien et cherchait à s’y fondre. Avec une douceur inconnue. Elle s’abandonna.
Serge servit fort tard deux copieux petits déjeuners ce matin-là.
Lorsque leur appétit fut aussi satisfait que leur libido, François et Rose parlèrent enfin :
— C’est toi qui m’as portée dans ma chambre hier au soir, François ?
— Nenni, j’te jure, enfin, j’crois pas.
— Je me souviens de rien, avant ce matin… dit-elle dans un sourire.
— Mais bon sang de bois, moi non plus, et pourtant c’est pas ce qu’on avait bu…
— Tu serais pas venu dans ma chambre sans y être invité, des fois ? reprit Rose en fronçant les sourcils.
— Pourquoi ? Tu regrettes ?
— Non, bien sûr, c’est pas ça, mais j’ai une drôle de sensation, tout de même.
— Comme quoi ?
— Je peux pas te dire.
— Si, tu peux tout me dire maintenant.
— C’est… étrange. Malgré la douche que je viens de prendre, je me sens toujours sale.
— Cherche pas, t’es barbouillée, t’as pas bien supporté les mélanges d’hier soir et moi pas trop non plus apparemment. Mais tout est bien qui finit bien, non ?
— Oui, tu as raison, conclut-elle d’un baiser.
François et Rose se quittèrent parce qu’il le fallait. Ses fleurs, ses arbres et sa clientèle l’attendaient là-bas à Bourbon-l’Archambault et le voyage de retour promettait d’être long. Mais dans deux semaines, ce serait elle qui prendrait la route de l’Allier.
Les jours qui suivirent virent Rose aller de moins en moins bien, puis de mal en pis. Elle s’enfermait à double tour dans sa chambre, prenait douche sur douche, ne parvenait pas à trouver le sommeil, commença à réveiller François au téléphone en pleine nuit.
Jusqu’à ce soir où, désemparée, elle monta à la Collégiale pour se recueillir, elle qui ne croyait pas à grand-chose. Elle était là, assise, au dernier rang de la nef sur un rude banc de bois, absorbée dans ses pensées depuis un long moment déjà, lorsqu’elle vit le bedeau claudiquer jusqu’à elle, puis s’agenouiller à ses pieds :
— Par… don, par… don, Mademoiselle Rose, bredouilla-t-il tout en battant sa coulpe.
— Relevez-vous, voyons, Firmin. Pardon de quoi, je vous prie ?
— L’autre soir… J’ai… Nous avons… C’est nous qui…
Rose s’était levée, avait saisi le sacristain par les revers de sa veste et les yeux dans les yeux, le questionnait à présent :
— Vous avez fait quoi ? Vous m’avez fait quelque chose à moi ? Vous et qui ? Allez, parlez !
— Moi, je vous ai juste regardée, je le jure, mais les autres, ils ont…
— Ils ont quoi ?
— Ils ont… ils ont abusé de vous, c’est sûr. Et j’aurais peut-être fait comme eux, vous êtes si désirable… mais vous avez bougé, j’ai pris peur et je suis parti.
— Vous m’aviez droguée ?
— C’est le brocanteur qu’a versé quelque chose dans vos verres pendant que Serge avait le dos tourné.
— Et c’était qui les autres ?
— Je… je peux pas le dire… Ils vont me tuer sinon.
— Vous préférez que j’aille chez les gendarmes et qu’on vous passe les bracelets ? Alors, c’était qui ?
Le brocanteur et le bedeau. Quels étaient les deux autres piliers de bar que l’on voyait toujours accoudés avec eux ? Il ne lui fallut pas trois secondes pour trouver : le fossoyeur et le boulanger.
— Ce ne serait pas Froment et Alphonse, par hasard ?
Quatre-et-trois-font-sept, tremblant, acquiesça en silence.
Les yeux pervenche de Rose lançaient des éclairs. Elle fixa un instant le pauvre hère en face d’elle, puis lui cracha au visage avant de s’enfuir en courant vers la basse ville.
(à suivre)
©Pierre-Alain GASSE, 2012.
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