7. Lire ma vie

6 minutes de lecture

« Dans un livre, l’âme trouve un abri, un refuge, un univers. »

-

Albert Einstein

Il devait être autour de 8 ou 9 heures du matin, mais le poids des médicaments, commençant à faire effet, m’avait poussée à éteindre mon écran et à chercher refuge dans un livre. Ce geste, apparemment banal, semblait presque symbolique, comme une forme de rébellion contre une routine qui m’étouffait chaque jour un peu plus.

Cela faisait des mois que je m'étais enfermée dans mon téléphone, cherchant dans cet isolement digital une échappatoire à la dureté de ma réalité. La virtualité était devenue un lieu où je me réfugiais pour fuir les vérités trop cruelles de ma vie. À travers les notifications incessantes, les messages et les images qui défilaient, je croyais m’offrir une connexion, mais sans jamais m’ouvrir vraiment à ce qui se passait à l’intérieur de moi. Le monde extérieur devenait insupportable, trop lourd à affronter, trop accablant. Alors je fuyais.

Cet isolement numérique était devenu ma prison dorée. Une illusion de mouvement et d’activités, qui masquait ma déconnexion progressive de ce qui comptait véritablement. Une illusion de mouvement, d’activités, de contacts, alors que je me déconnectais peu à peu de ce qui comptait véritablement. Loin de me délivrer, il m’enfonçait davantage dans une solitude toujours plus profonde. La virtualité, avec sa promesse de réconfort, m’enfermait dans un cercle vicieux sans fin. Et malgré l'abondance d’interactions, je restais seule, chaque jour un peu plus éloignée de moi-même.

Avant cette période de chaos, j’aimais lire. Même si le temps m’était toujours compté, je trouvais toujours un moment pour m’y plonger. La lecture était une porte ouverte sur un monde où je pouvais m’évader, même si ce n’était qu’un instant. Mais ce jour-là, en feuilletant les pages, j’ai pris conscience que l’acte de lire était devenu bien plus difficile. Mes pensées étaient embrouillées, mes émotions trop lourdes, et je peinais à me concentrer. Pourtant, malgré cette confusion, je me suis accrochée à chaque mot, à chaque phrase qui passait sous mes yeux, comme si le livre était le seul endroit où je pouvais encore trouver un semblant de paix.

L’idée que la lecture pourrait peut-être m’apporter quelque chose de précieux — une nouvelle perspective, une clé pour déverrouiller ce que je vivais — m’a soudainement traversé l’esprit. Je ne voyais pas comment la lecture pourrait changer quoi que ce soit, mais j'avais désespérément besoin d'y croire, de m'accrocher à l'idée qu’il restait quelque part de l’espoir.

Alors que je tournais les pages, une idée m’est venue : et si les histoires que je lisais pouvaient m’ouvrir les yeux sur une autre manière de voir les choses ? En me plongeant dans les vies des personnages, pourrais-je trouver un chemin pour sortir de cette spirale et réinventer ma propre réalité ?

Au fur et à mesure que je lisais, une sensation de légèreté effleurait mon esprit.

L'idée me paraissait dérisoire, mais je ressentis une sensation de bien-être, aussi fragile qu'inattendue, qui m'avait fait défaut pendant des semaines, voire des mois

Les récits prenaient vie, ma concentration s’accentuait.

Même si la lecture ne me fournirait pas de réponses toutes faites, elle pouvait être un tremplin vers une nouvelle compréhension de moi-même et de mes luttes. C’était comme si les livres m’offraient un fil conducteur, une lumière dans l’obscurité.

Lorsque j’ai enfin tourné la dernière page, un sentiment de calme et de détermination m’a envahi. Bien que rien n’eût été réglé, j'avais trouvé un moyen de plonger dans mes pensées et mes émotions, de sortir de ma spirale mentale destructrice et toujours centrée sur des problèmes insurmontables.

Ce simple changement d'orientation avait suffi à me faire oublier la détresse qui m'envahissait en permanence, ne serait-ce qu’un instant. Et pour moi, c’était déjà un grand pas.

Pour la première fois depuis longtemps, je me sentais prête à envisager que, peut-être, il existait quelque part un chemin vers la sortie. Cette perspective, aussi fragile fût-elle, était une étincelle d'espoir. Dans cette noirceur, j'avais enfin trouvé une petite lumière, et cela me donnait l'envie de continuer à chercher.

Après avoir feuilleté ces pages, un besoin pressant s'est imposé, une urgence intérieure que je ne pouvais plus ignorer : mettre par écrit mes propres pensées, mes propres luttes. Pourquoi garder en moi ce qui me rongeait ? Ma vie, pleine de tumultes et de douleurs, demandait à être racontée, même si les mots semblaient insuffisants pour en rendre compte. Il y avait quelque chose de lourd, de trop pesant à l’intérieur, et je savais que le seul moyen de m’en débarrasser, ne serait-ce qu’un instant, était de l’écrire.

Il n’était plus question de simplement garder tout cela en silence, de l’entasser dans un coin de ma conscience où il continuerait à me consumer lentement. Écrire était devenu essentiel comme si ce fardeau que je portais depuis trop longtemps pouvait enfin trouver un exutoire dans les mots. C’était une manière de libérer tout ce qui me rongeait, de faire face à ce chaos intérieur et d’essayer de le comprendre. Chaque pensée, chaque émotion, chaque douleur qui m’avait envahie semblait vouloir sortir, se déposer quelque part, pour ne plus être un poids, mais un souvenir à apprivoiser.

Le simple fait de poser ces pensées sur le papier pourrait être le début d'une forme de guérison, une façon de donner un sens à ce qui semblait incontrôlable. Écrire, c’était comme une tentative pour apprivoiser ma souffrance, pour me donner la chance de respirer à nouveau, d’exprimer ce que je n’avais jamais osé dire. C'était une manière de reprendre le contrôle sur ce qui m’échappait, de faire en sorte que mes pensées, mes émotions, soient enfin visibles et compréhensibles. Le fardeau, je le savais, n’allait pas disparaître en un mot, mais peut-être qu’en l’écrivant, je pouvais commencer à l’alléger, à le rendre plus supportable.

Je me suis installée sur le canapé, mon ordinateur portable sur les genoux, prête à accueillir mes mots. Loin d'être un refuge, cet acte me semblait être une montagne à gravir. Je n'avais jamais réussi à écrire quoi que ce soit de significatif à mes yeux. Pourtant, ce jour-là, une impulsion irrésistible m'a poussée à tenter l'expérience.

Le silence de la pièce m'enveloppait, et je pris une profonde inspiration. Dès que mes doigts effleurèrent les touches du clavier, chaque mot semblait être une épreuve. C’était comme si je devais revivre mes souffrances pour les mettre en lumière.

Je n’étais pas une héroïne, juste quelqu’un qui peinait à donner un sens à un chaos intérieur. J'avais l’impression de m’enfoncer davantage dans les méandres de mes émotions, et le stress m'envahissait. Ma vie me donnait la nausée.

Écrire n’était pas un acte de libération, mais plutôt une confrontation brutale avec mes démons. Je me forçais à explorer mes peurs, mes doutes et l'incertitude de l’avenir. Je relisais, je corrigeais, mais chaque phrase semblait me ramener à ma vulnérabilité. C'était un combat contre ces souvenirs douloureux, et je me sentais accablée par la tâche.

Au fur et à mesure que l’écran se remplissait, je réalisais que ce processus était un chemin tortueux, une lutte pour donner une voix à mes pensées en désordre.

J’évoquais les instants de chaos, la colère, les rares moments de douceur qui semblaient désormais si lointains. Chaque mot que je tapais me tordait le ventre, chaque mot était un cri étouffé, une affirmation silencieuse : « Je veux revivre. »

J'avais traversé des épreuves en posant mes pensées sur papier, cherchant une forme de catharsis dans l'écriture. Je savais que le chemin devant moi serait long et semé d'embûches, qu’écrire ne réglerait pas tout. Mais c’était un moyen d’exprimer ma douleur, un moyen d'y faire face. J’osais croire que je ne laisserais plus la vie m'écraser sous son poids. Je ne voulais plus la subir. Il était temps de la réécrire, de lui donner un sens, de reprendre le contrôle. J’avais décidé de ne pas lire ma vie, mais d’ :

écrire ma vie.

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