Le soleil se levait à peine. Tao se réveilla et sortit de sa hutte, les yeux encore embués. La prairie où ils avaient établi leur campement était recouverte de givre. Il ajusta sa peau de renne, et marcha un peu. Il atteignit la rivière, suivit la rive, et arriva au petit lac où se jetait une cascade. Il alla jusqu’au buisson où il commença à ramasser des baies pour le déjeuner. Le chef apprécierait peut-être qu’il ait effectué sa corvée dès le matin, et il éviterait ainsi toute réprimande. Une journée tranquille serait plus que bienvenue.

Il vivait au sein du Clan des Rennes, une tribu d’hommes de Néandertal, composé d’une cinquantaine d’individus. Ils ne maitrisaient pas la création du feu, mais savaient l’entretenir un peu quand ils en bénéficiaient.

Hier, Rocca lui avait reproché son manque d’implication dans les tâches quotidiennes. Il avait l’impression qu’il devait toujours en faire plus. Mais ce n’était pas tout. Ce qui l’ennuyait le plus c’est qu’Osia était témoin de ces remontrances. Il avait un penchant pour elle. Et ce dès le jour où elle était arrivée au sein du groupe. Elle différait des autres filles. Ses traits semblaient moins rudimentaires, beaucoup plus fins que ceux des membres de la tribu. Quand elle s’exprimait, ce n’était pas que des grognements et des sons gutturaux qui sortaient de sa gorge. Le soir, de temps en temps, après le repas elle se mettait à émettre une suite de bruits mélodieux. Ce doux chant le fascinait. Il pouvait l’écouter pendant des heures, demeurant assis en tailleur devant elle. Seul le guérisseur restait insensible à cette mélopée.

Sa cueillette terminée, il revint au campement. La plupart des membres du Clan des Rennes étaient maintenant éveillés. Parmi eux se trouvait Raoc. C’était leur chef. C’est lui qui donnaient les ordres, félicitait ou réprimandait, autorisait les unions. Il gérait le quotidien, en s’appuyant sur le sorcier quand il pensait en avoir besoin. Cela faisait plusieurs années que Raoc était le leadeur. Il avait succédé à Pantoc, emporté par une blessure qui s’était infectée.

Le chamane du clan était puissant. Il se nommait Rocca. Il détenait autant de pouvoirs que le chef, si ce n’est plus. Celui-ci pouvait rentrer en contact avec les forces de l’au-delà. Il pouvait lire dans les oracles pour savoir si la chasse ramènerait du gibier ou non. Il maitrisait la connaissance des plantes. Il pouvait préparer des remèdes contre les maladies. La seule fois où certains avaient remis en cause son autorité, c’était il y a deux ans de cela. Lors de la traque d’un mammouth, un membre du clan avait perdu la vie. Il avait pourtant dit que la poursuite aboutirait. Il avait retourné la situation en indiquant que c’était à cause d’un des piégeurs que cela s’était mal passé. Et c’est Tao qui en avait fait les frais. Même s’il n’avait rien fait de spécial, il n’avait pu se défendre, lui qui était si discret. Il ne possédait pas l’aura du chamane, et personne n’aurait pu imaginer que c’est lui qui avait raison, et non Rocca. Depuis, il devait faire profil bas, s’estimant heureux que la tribu ne l’ait pas banni. Il avait l’impression de devoir en faire plus que n’importe qui pour regagner sa place. Mais ce n’était jamais suffisant. A un moment ou à un autre, Rocca l’humiliait, de préférence devant tout le monde. Au fond de lui, Tao soupçonnait le guérisseur d’essayer de le chasser pour se venger. Il l’évitait, s’acquittait de ses tâches, et espérait qu’avec le temps tout rentrerait dans l’ordre.