Chapitre XIX - V199 gm
Des yeux vifs percèrent l'obscurité. Un vert acide, presque venimeux, scrute le vide devant lui, depuis des lustres qu'on n'avait point ouvert ses paupières. Il luit dans la pénombre palpable de la cellule.
Un éclair de lucidité perce alors l'esprit de la créature enchaînée aux murs couverts de déchets et d'algues. Elle commence à tirer sur ses entraves, d'abord doucement, dans un effort désespéré, dénué de motivation.
Une présence familière approche. Elle est en dessous, à quelques dizaines de mètres sous ses pieds. Une aura noire, grasse, d'où tous les monstres du Hellheim semblent sortir, approche. Rien qu'à cette pensée, la créature sens ses forces la regagner peu à peu, le froid s'abattre sur toute sa carcasse. Il n'est pas seul, non. Étonnant, mais pas improbable.
Le plus improbable, c'est simplement sa présence ... La présence du démon, du Uilebheist, celui qui est, qui fut et qui seras ... La source de la puissance la plus colossale de ce siècle, se trouve sous ses pieds.
Elle tire encore. Plus fort.
Les anneaux de fonte qui l'entravent grincent et crient, quelques morceaux de rouille et de poussière tombent des chaînes épaisses et poisseuses.
Bon sang ... Elle a soif, elle a faim ... De la bave dégouline sur son menton, des râles de désespoir sortent timidement de sa bouche. La créature repense au passé, au sang, à la chair, au feu, aux os, aux combats ...
À Grimm ...
Elle hurle en revoyant ce visage. Cette scène à jamais gravée dans ses chairs, dans sa tête ... Partagé entre le désir et la vengeance, la haine et la passion, le monstre puise dans ses dernières forces, enfouies dans les tréfonds les plus inatteignables de son être.
Elle tire.
Ses épaules craquent sous la force de ses efforts. Les omoplates sous tension lâchent des hurlements d'agonie, gras, sordides. Le corps ammaigri de la créature se désarticule tant il force sur ses chaînes. Dans des crissements métalliques, les anneaux figés dans les murs commencent à forcer.
Dans un dernier effort, la créature imagine encore une dernière fois, poussée par l´espoir que lui apporte cette aura sous ses pieds, la chaleur de ce corps si charnu, de la douce voix suave et grave de la créature au visage masqué par un crâne de furie noire. Et sous ce masque, qu'elle a elle même retiré, elle revoit d'avord cet oeil noir, si profond, si triste...
Puis celui des Douzes.
Hurlement. Il déchire la prison. Toutes les autres créatures se pétrifient de peur. Quelques secondes passent, tendues à l'extrème.
Fracas. Il transperce les oreilles. Un nuage de poussière s'élève dans la geôle, et retombe quelques instants plus tard. Il ne reste rien de la porte de fonte de la geole.
Le monstre, libre après ces deux ans sous terre, traîne les lambeaux de ses membres derrière sa carcasse. La tête dans un angle des plus inquiétants, elle rampe d'abord sur le sol, avant de se redresser lentement, son corps parcouru de spasmes et de tremblements.
La régénération opère toujours. Même après deux ans sans chair... Ses membres, toujours entravés par les chaînes se tordent dans des craquements et gargouillis presque grotesques, et ses bras reprennent lentement leur apparence humaine, tandis que Yumi se traîne lentement vers l'aura de Mephisto Grimm.
***
Il devait être environ trois heures du matin quand le radar se mit à biper.
Shaïtana laissa de côté ses notes et s'approcha du radiographe. Elle était de garde ce soir là, et avait laissé son talkie walkie allumé sur la table. Les traceurs d'habitude très calme se mirent à danser sur le rouleau de papier, notant d'importantes variations dans les ondes radio diffusées dans les sous sols du palais impérial.
Le radiographe était composé d'une vingtaine d'aiguilles, toutes reliées à des récepteurs d'antennes. Chacune de celles ci envoyaient des ondes dans les sous sols. Cela fesait office de radar, et cet ingénieux système permettait de surveiller à distance la quasi intégralité des quartiers de l'empire.
Les aiguilles correspondantes à la salle de la trésorerie s'affolaient. Les courbes tracées sur les parchemins indiquaient une présence évidente d'intrus au sein des sous sols.
Shaïtana resta quelques minutes à observer l'appareil avec une grande attention. " Qui par Solaris avait bien pu pénétrer dans ces quartiers sans même se faire repérer ? " Elle n´en savait trop rien. De plus, à cette heure tardive de la nuit, il n'y a pas grand monde qui se balade dans les caves, mis à part quelques soldats de garde. D'ailleurs, les signaux enregistrés ne ressemblaient en rien à ceux qu'enregistrent les machines pour une ronde.
Le colonnel renfila son épais manteau de Worg, s'alluma un barreau de chaise en jurant. Il lui fallait vérifier les sous sols du palais. Mais après tout, cela ne pressait pas. Et puis en plus, il est fortement déconseillé de se balader dans les sous sols seuls. Mis à part quelques sentinelles téméraires, peu de monde se risque dans ces caves humides et sales.
La jeune femme se leva tranquillement, augmenta le son de son talkie, et ouvrit le battant de bois de la salle de contrôle. Le léger souffle frais du couloir vint lui caresser le visage. Elle resta là quelques instants, perdue dans ses pensée. Et puis, la dernière réunion avec l'Empereur et sa cour la turlupinait quand même. Dans un coin de sa tête, une partie irrationnelle lui chuchottai que Léviathan, Orias et Tengri se cachent derrière cette histoire de radiographe.
Prévenir Alexänder lui traversa l´esprit. Puis elle se dit que finalement, ce n'était sans doute qu'une fausse alerte.
" Bien ma grande, je te propose d'aller faire un petit tour du côté de la prison avant de t'engager dans les sous sols ... Ça t'occupera un peu de cracher au visage des hérétiques avant ta petite balade nocturne " Se dit elle.
Meisterhart se dirigea alors vers les prisons du palais, le sourire aux lèvres. Les talons de ses bottes résonnent dans l'interminable couloir. Après quelques minutes de marche, elle bifurqua vers la gauche, et prit les escaliers en colimaçon qui descendent vers les entrailles de la terre.
" Unité deux cent treize pour le colonnel Meisterhart ... Unité deux cent treize pour le colonnel Meisterhart. " Grésilla alors l´appareil à sa ceinture.
- Oui ?
L'unité ainsi nommée s'affiliait justement aux prisons du palais. Aux cellules du troisième secteur, si l'on veut être plus précis. Celui là était réservé tout particulièrement aux malédictions telles que les loups garous, les démons et les vampires. Il n´est d'ailleurs pas rare que le colonnel, également en charge de la garde de la prison cette nuit là, reçoive des appels de routine à ce sujet.
" Le sujet V199 gm ne se trouve plus dans sa cellule. Vous êtes invitée à nous rejoindre dans les plus bref délais pour constater les dégats occasionnés. " Continue la petite radio au bout de sa main.
Shaïtana jure. Le sujet V199 gm, soit; Vampire matriculé au numéro 199, catégorisé ghoule majeure, venait vraisemblablement de se volatiliser. Une très mauvaise nouvelle. Parmis les centaines de prisonniers renfermés dans ces geoles, elle figurait dans les pires et plus dangereux spécimens.
- Bien reçu, je vous rejoint dans quelques instants.
Le colonnel presse le pas dans les escaliers de pierre. Les implants dans ses yeux lui permettent de voir en pleine nuit aussi parfaitement qu´un chat.
Elle se souvient très bien de ce fameux vampire. Une créature âgée d'environ deux cent ans, à l'allure d'une jeune femme de vingt ans. Le colonnel l'avait elle même capturée dans les plaines de Nicolaï, il y a environ deux ans. Le monstre avait une mine angélique, de belles boucles ébènes encadrent son visage vampirique, et de grands yeux émeraude illuminent son visage. Émeraude, la couleur des yeux des ghoules. Elle semblait avoir été victime d'un puissant choc traumatique, et ne cessait de balbutier des propos incohérents.
Ils l'avaient alors ramenée dans les caves du palais impérial, dans le but de l'interroger et de se servir d'elle comme sujet pour des expériences scientifiques. Cependant, elle leur avait révélé bien assez tôt avoir été en contact étroit avec le fameux Orias. A la limite de la folie, elle ne cessait de hurler, en proie à des crises d'angoisse interminables, à se tenir la tête entre les mains, recroquevillée en position foetale dans un coin de sa cellule pendant des heures.
Shaïtana ouvrit la porte des prisons à la volée, un poil précipitemment. Un garde en uniforme rouge l'accosta immédiatement, et lui expliqua la situation très calmement, tout en conduisant sa supérieure vers la cellule du prisonnier échappé.
La cellule à la porte de fer avait été littéralement éventrée. Les gonds en fonte ont été arrachés avec une force colossale du mur. Les chaînes qui retenaient normalement les chevilles, les poignets et la gorge du sujet avaient eux aussi étés arrachés à même du mur. Il n'en restai aucune trace. Sûrement avaient elles été emmenées avec le prisonnier. Des traces de sang, noir et putride, semblaient ramper au sol, et partaient d'une façon désorganisée vers les sous sols les plus profonds du palais, en direction des caves.
- Lieutennant ? Commence le colonnel.
Celui ci lui répondit avec un signe de tête.
- Sauriez vous si le Dauphin est de garde ce soir ? Il me semble avoir un doute.
- Oui en effet. Il est en ce moment même dans ses quartiers dans l'aile est.
- Allez me le chercher je vous prie. J'aurais besoin de ses compétences en alchimie pour venir à bout de notre sujet.
Le lieutenant opina du chef, puis, après avoir solennellement salué sa supérieure, il s'en alla d'un pas rapide et carré en direction de l'aile est.
***
La neige avait cessé de tomber depuis environ une heure. Le vent semblait ne jamais vouloir s'arrêter de souffler. Samuel passe rapidement sa main dans ses cheveux en bataille. Il se redresse, et laisse craquer ses os, prenant garde à ce que personne ne le voit dans les ténèbres palpables de la tempète.
Derrière lui, Kurô et Yann attendent, prostrés derrière leur tas de bois. Seul le souffle embué de la furie blanche trahit leur présence dans la scène désolée.
À l'horizon, non loin de là, se dressent les hautes murailles de granit et les pics mortels de fer forgé du palais impérial. Il semble abandonné depuis des lustres de là ou ils sont. La bâtisse ressemble à un monstre difforme et maudit dans la brume grisâtre et le vent incessant.
Sam resserre sa prise sur son grand sabre au fourreau noir. Il sort de la poche de son sweat un paquet de cigarettes à la cerise, et un briquet. Il secoue son genoux droit nerveusement, une façon pour lui d'évacuer le stress. Il presse sur le silex de son briquet plusieurs fois, grogne. Puis après quelques essais infructueux, dûs sans aucun doute à la forte humidité, réussit à allumer le bout de sa clope. Il se la met dans le bec, respire intensément la fumée au goût fruité.
Les secousses de sa jambe cessent quelques secondes plus tard.
Seul le vent vient perturber le calme presque surnaturel de la scène. Une lueur de bonté traverse soudain la tête de Samuel.
- Hey, Yann ...
Le jeune homme lui répondit en tournant ses yeux de sang vers son visage. Leurs lueurs vermillon brillent comme deux lanternes au coeur de la nuit.
Il lui tend une clope à la cerise, que le vampire hésite à accepter. Les cigarettes de Samuel ont un goût infect, que personne ne supporte au sein de l'organisation, mis à part lui. Finalement, il se résigne et l'accepte, regrettant presque déjà sa décision. Il l'allume a l'aide du bout de celle de Sam, apréciant finalement la douce chaleur pénétrant ses poumons.
Tous deux restent silencieux pendant quelques minutes, apaisés par le souffle de la tempète.
- Dis, Pheles .... Commence le brun. Pourquoi nous as-tu ammenés jusqu'ici ... ?
Ils risquent tous trois de se faire passer à la moulinette par le conseil de cinq sages. Quelques jours auparavant, le frère de Shirô était venu le trouver, lui et Yann, dans la grande salle à l'heure du déjeuner. Après un speech des plus convainquants, ils s'étaient mis en selle en direction du palais impérial de Naoki.
- Ne t'en fait pas. S'élève la voix de la furie blanche. Nous attendons un signal de notre taupe au palais. Je l'ai aussi prévenu de notre... arrivée imminente ?
Ses paroles n'inspirèrent pas confiance à Samuel.
- Non, plus sérieusement, continue le démon. En ce moment même, Shirô, Hotsuki et Yuki se trouvent dans le sous sols du palais impérial. Ils sont à la recherche de la sphère de Fàfnir, un artéfact des plus importants.
Samuel avait en effet entendu parler de cet artéfact via les rumeurs de la Cahute. Cela n'était donc pas que des rumeurs, et les dons de Kurô n'avaient finalement pas l'air si bidon qu'ils en ont l'air.
- Nous nous devons d´intervenir si le destin n'est pas de notre côté, au cas où il se passerait quelque chose, c'est tout.
Personne n'osa contredire les paroles de Pheles. Ils restèrent donc tous trois là, dans le froid et le vent assourdissant de la tempète, tapis dans l'ombre, prêts à forcer le destin à se réaliser.
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