Le cauchemar d'une grand-mère épuisée

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Les petites vampires

Comme toute bonne grand-mère, Mariette avait organisé un coin de sa maison spécialement pour ces petits-enfants. Elle les adorait et elle voulait qu’ils soient le plus heureux possible lorsqu’ils venaient la visiter.

Mariette avait prévu un coin artistique pour Mélody. La petite de 6 ans était une artiste née. Mariette avait installé un tableau sur le mur pour afficher ses œuvres. Elle avait installé un espace de danse pour Rosalie qui venait d’avoir 3 ans. La petite était gracieuse et elle adorait jouer à la ballerine. La vieille dame n’avait pas oublié Lory, la petite de 2 ans. Elle lui avait créé un espace avec toutes les fournitures nécessaires pour jouer à la famille : poupées, petits meubles et accessoires. Mariette avait aussi aménagé une petite chambre pour les garder à dormir. Elle y avait ajouté un petit coin lecture.

C’était une grand-mère dévouée, mais qui n’arrivait pas à imposer ses limites. Les enfants ne cessaient de la solliciter puisqu’elle était si gentille, bienveillante et disait toujours oui pour jouer avec eux. En quelques années, ils étaient passés de petits anges à petits démons.

Mariette, qui n’était plus jeune, en était arrivée à ne plus prendre plaisir à les garder. Bien sûr, elle se savait responsable de son propre malheur, mais elle était incapable de leur dire non. Elle craignait qu’ils croient qu’elle ne les aimait pas. Les recevoir à la maison l’épuisait tellement qu’elle avait fini par espacer les jours où elle les gardait. Elle ne les voyait presque plus. Au lieu d’améliorer les choses, cela avait empiré la situation. Ne voyant pas leur grand-mère très souvent, ils la sollicitaient encore plus quand ils étaient avec elle, comme pour se faire une réserve d’attention et d’affection.

— Je suis la pire grand-mère du monde, se disait-elle en pleurant. Pourtant je les aime du plus profond de mon cœur. Pourquoi n’ai-je pas la patience, l’énergie et la bienveillance nécessaire pour en prendre soin. Au fond, ce ne sont que des enfants.

Cette nuit-là, Mariette était emplie d’appréhension. Le lendemain, toute la famille serait réunie pour la fête de sa fille Sabrina. Elle se sentait déjà submergée. Son frère ne manquerait pas de lui reprocher de trop s’occuper des petits-enfants. Quant à Sabrina, elle boirait sans doute trop, sa voix devenant de plus en plus nasillarde à mesure que la soirée avancerait. Mariette savait que sa fille buvait surtout pour s’empêcher de parler contre Clémence, la mère des enfants de son frère Edmond.

Clémence, toujours vissée à son téléphone, affichait sur les réseaux l’image d’une mère dévouée, alors qu’en réalité, elle ignorait ses propres enfants. Depuis longtemps, Mariette ne trouvait plus de mots bienveillants pour la décrire.

La soirée s’annonçait éprouvante. Mariette se tourmenta longuement avant de sombrer dans le sommeil.

Elle rêva qu’elle était dans un champ de lavande, il faisait beau et elle voyait ses trois magnifiques petites-filles qui gambadaient en chantant.

Promenons-nous dans les bois…

Elles chantonnaient en chœur en s’approchant de Mariette.

Pendant que le loup n’y est pas…

Mariette fredonnait l’air tout en profitant de la chaleur du soleil qui réchauffait sa peau. Les fleurs mauves dansaient au rythme de la comptine. Les effluves floraux ravissaient ses narines.

La nuit tomba subitement. L’obscurité était dense. Les voix animées des fillettes avaient fait place à un silence lourd. La poitrine de Mariette se serra. Elle ne voyait plus rien, ni le paysage, ni ses petits-enfants.

— Ne paniquez pas les filles, dit-elle en tentant de les rassurer. Écoutez ma voix et venez vers moi, d’accord.

Elle regardait à droite et à gauche tentant de percer la noirceur de la nuit. Personne.

— Mélody, Rosalie, Lory, dit-elle d’une voix forte pour s’assurer qu’elles les entendent.

Toujours rien. Les fillettes semblaient avoir disparues. La tension de Mariette monta d’un cran. Elle avançait dans le néant, les jambes tremblotantes.

Loup où es-tu? Que fais-tu? …

En entendant la comptine, la gorge de Mariette se relâcha en expulsant un soupir de soulagement. Un doux sourire étira ses lèvres.

J’ARRIVE !!!, hurlèrent les petites en sautant vers le cou de Mariette la bouche grande ouverte.

Le poids des petites fit perdre pied à Mariette. Elle cria d’effroi. Elle se retrouva étendue au sol lorsqu’elle ressentit une douleur atroce au niveau du cou. Les dents des petites percèrent sa peau. Elles la mordaient tout en siphonnant son sang. Elle tenta de se délivrer mais elles étaient bien accrochées, une à l’avant et les deux autres de chaque côté. Mariette voulut crier, mais la tête de Mélody, sous son menton, l’empêchait d’ouvrir la mâchoire.

Je vais mourir, pensa Mariette se sentant de plus en plus étourdie. Pourquoi… Pourquoi veulent-elles me…?

Mariette sentait son énergie se dissiper. Elle avait froid. Son teint devint cadavérique. Elle ferma les yeux, n’ayant plus la force de les tenir ouverts. Les petites vampires continuaient à sucer et à aspirer son sang, s’assurant de savourer jusqu’à la dernière goutte. Mariette se sentait si faible. Elle frissonnait et tremblait. Elle entrouvrit les yeux. Elle vit la petite Lory, le menton dégoulinant de sangqui la fixait du regard. Elle arborait un sourire machiavélique. Ses canines allongées et bien effilées étaient maculées de son sang. Mariette n’arrivait plus à bouger. Elle se laissa glisser dans la noirceur de la nuit.

— Je t’aime mamie, entendit-elle.

La vieille dame ouvrit les yeux. Elle était en sueur et avait la gorge serrée. Chacune des pulsations de son cœur tambourinait dans son crâne. Elle était vivante! Vite, elle devait s’échapper. En se relevant, elle réalise qu’elle est dans son lit. Hébétée et confuse, Mariette réalisa qu’elle avait fait un cauchemar. Des larmes perlaient aux coins de ses yeux. La chaleur de sa couette n’arrivait pas à la réchauffer. Elle tira la couverture. Au contact de son cou, des images surgirent dans sa tête. Son corps fut secoué de tremblements incontrôlables. Elle dut attendre plusieurs minutes avant de reprendre un tant soit peu de calme.

C’est évident que je m’épuise, pensa-t-elle. J’en rêve même la nuit maintenant.

Mariette se prépara un lait chaud et consulta ses réseaux sociaux pour se détendre. Elle vit qu’elle avait reçu un message de son fils. L’objet était : Surprise. Elle ouvrit la pièce jointe : une photo de la plus jeune des trois filles, Lory. Mariette sourit tendrement. Lory était magnifique. Elle avait deux jolies tresses attachées avec des rubans roses. La petite avait l’air si fière d’elle. Elle portait un joli petit chandail mauve.

Le sourire de Mariette s’effaça d’un coup. Elle eut l’impression de ne plus pouvoir respirer. Elle se sentait oppressée et avait envie de hurler. Sur le chandail de la petite Lory était écrit : Je vais bientôt être une grande sœur. Mariette ne pouvait quitter des yeux les mots qui semblaient lui asséner des coups de poing. Elle se sentit désespérée. Elle n’avait déjà pas assez d’énergie pour les trois premiers enfants comment allait-elle faire avec un quatrième?

Mariette fustigea intérieurement Clémence. Elle ne comprenait pas pourquoi elle voulait un autre enfant. Mariette passa une partie de la nuit à culpabiliser sur ses propres sentiments.

Son regard croisa des photos des petites dans les cadres sur le mur. Mariette sourit. Elle réalisa que cet événement était le coup de grâce dont elle avait besoin pour se prendre en main. Ce petit être qui allait se joindre à la famille avait besoin d’être accueilli avec amour. Elle avait honte de sa réaction. Fini les illusions et les échappatoires, elle devait apprendre à mettre ses limites sans culpabiliser afin de retrouver le bonheur d’avoir des petits-enfants.

Elle ne savait pas combien d’autres s’ajouteraient à la famille alors elle devait apprendre à gérer ses émotions. Mariette voulait se préserver sans cesser d’être aimante. Elle répondit à son fils pour les féliciter. Elle décida de demander l’aide d’une psychologue.

Des années plus tard, en observant ses petits-enfants jouer dans le jardin, Mariette se remémore ce cauchemar qui a été le déclencheur d'une profonde transformation. Elle ne regrette pas d'avoir demandé de l'aide et d'avoir appris à poser ses limites.

— Grand-maman, dit le petit Tim. Viens jouer au ballon avec nous.

— Je suis trop fatiguée, répondit Mariette qui avait cuisiné toute la matinée avant leur arrivée. Je vais vous regarder et compter les points. D’accord?

— D’accord, dit-elle en retournant jouer avec ses sœurs.

Mariette sourit. Elle était fière d’elle. Avant, elle aurait dit oui et se serait épuisée. Cette scène lui rappela le chemin qu’elle avait parcouru.

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