Enfin un peu de fraicheur. Toute la journée sous ce soleil brulant sa peau, caramélisant son teint, Julie profite finalement d'un peu de douceur. Une brise appréciée caresse son visage. Ce souffle naturel lui rappelle de respirer. L'air entrant dans ses poumons, elle se laisse tomber en arrière, se couche dans l'herbe tiède et admire le ciel étoilé.
Elle ne peut dire quelle constellation elle observe, ne peut nommer aucun astre. Dans cet inconnu, elle est apaisée, elle qui aime savoir, qui a constamment besoin d'être rassurée ; dans cette étendue de point lumineux, elle se laisse aller. Entourée d'insectes de toutes sortes, son esprit vagabonde, erre comme il le souhaite.
Elle se rappelle les nombreuses soirées passées ici, avec ses amis, il y a quelques années de cela. A cet époque, l'alcool et les joints les accompagnaient, guidaient leurs pensées. Aujourd'hui elle n'en ressent presque pas le besoin, son esprit ayant un éventail de sujets à aborder.
Elle revoit des images troubles, des photographies de sa mémoire : des bières au centre d'un groupe de cinqs jeunes aux pupilles dilatées, le sourire aux lèvres se passant un tube de mains en mains.
Ils se connaissent depuis toujours, savent tout l'un de l'autre.
C'était le cas avant. Maintenant elle se retrouve seule, admirant le point de vue tant contemplé par le passé. Elle imagine ce qu'elle aurait pu faire pour que ces souvenirs soient le présent, qu'elle ne soit pas seule, qu'ils ne l'aient pas oubliée. Le temps passe trop vite, elle se rappelle d'un temps pas si lointain où ils couraient dans les rues de ce village, leurs villages d'enfance. Où ils jouaient dès qu'ils en avaient l'occasion. Où ils se retrouvaient pour parler, échanger, discuter, se plaindre, pleurer.
Ils étaient soudés, ils ne connaissaient personnes d'autres, dans ce petit village, peu d'enfants naissent en même temps, peu de nouvelles familles emménagent, ils ont donc grandi ensemble. Jusqu'à un certain temps. Arrivés au lycée, les différences d'âges se sont fait ressentir, les passions et vocations les ont séparées. Se reconnaitraient-ils s'il se rencontraient là tout de suite ?
Il y a vingt ans, ils étaient l'énergie du village, leur endurance et enthousiasme enfantin apportait sourire et joie aux habitants. Ce matin, Julie s'est promenée dans les rues qu'elle connait trop bien, est rentrée dans le cimetière où elle aimait se balader, un lieu sans jugement où il était facile d'échapper aux regards des comères. Puis arrivant sur la place centrale devant l'église, elle a croisé des visages inconnus, des personnes l'ont regardé sans se remémorer. Elle a changé, trop peut-être, pour que l'on se rappelle de ses traits dénués de rides, infantiles. Ces oeillades l'ignorant lui ont fait mal au coeur, lui retourant l'estomac, lui rappelant qu'ici n'était pas son présent, et encore moins son futur.
Couchée dans ce champs, elle commence à avoir froid, elle ne bouge pas. Les yeux rivés sur la grande ours, elle distingue la petite casserole. Julie revit alors pendant un instant la joie qu'elle a ressenti quand elle l'a aperçue pour la première fois, à cet endroit même. Ce soir là, elle n'était qu'avec Marc, toujours en appréciant un soir d'été. Ils aimaient se retrouver que les deux, plus proches en âge. Ils pensaient que la drogue les aidait, non seulement à s'intoxiquer les poumons et le cerveau, mais surtout à résoudre leurs problèmes d'adolescents ; peut-être fumaient-ils plus que les autres ? Peut-être en ressentaient-ils plus le besoin ? C'est avec lui qu'elle a bu sa première bière, fumé pour la première fois, vécu son premier "bad trip", est allée au premier festival, a campé, s'est essayée au parkour et VTT, a appris à apprécier le reggae, le rap et le rock.
Ils ne se sont parlés qu'une fois cette année, par message, et c'est Julie qui a commencé la conversation, cela aussi ça lui provoque des douleurs thoraciques. Quand ils retournent au village, viennent-ils, eux aussi dans ce coin qui leurs fut cher ? Pensent-ils autant à Julie qu'elle pense à eux ? Ou ont-ils tourné la page, comme elle aurait du le faire il y a quelques années de cela quand chacun a fuit cette campagne sans avenir. Elle ne peut s'empecher de se demander si elle aurait du plus les contacter, si ils se parlent encore, et qu'elle est la seule exclue. Elle ne veut pas oublier, seulement avancer et ne pas regretter d'avoir perdue ces amitiés.
Un dernier coup d'oeil à la lune, Julie se redresse, plante ses talons dans le sol. Les coudes sur les genoux, elle met sa tête dans ses mains, priant quelqu'un, quelque chose, qu'un signe apparaisse, lui donnant une idée de comment évoluer. Elle se lève, frotte son short, puis se dirige vers la maison de ses parents, elle prend son temps et enregistre chaque pierre, muret, plante et arbre sur son chemin. Elle décide de passer devant chaque maison de ses amis - anciens amis, espérant voir une ombre à la fenêtre, une voiture garée dans la cour. Rien. Elle arrive devant le porche de ses parents, Julie entre sans frapper et arrive dans la cuisine vide, traverse le couloir pour arriver dans le salon où des cartons attendent d'être transportés.
Julie rejoint ses parents sur la terrasse où une bière l'attend, dernière qu'elle pourra apprécier avec cette vue. Dernière gorgée, elle lève une dernière fois la tête vers le ciel étoilée puis part se coucher une dernière fois dans sa chambre d'enfance, qui demain appartiendra à une autre âme enfantine, apportant, elle l'espère de la joie dans le village.