Je voudrais pas crever [...]
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- On va y passer.
- Quoi ?
- Rien. On va y passer, je disais.
- Sans dèc' ?? Braille plus fort, au cas où on t'aurait pas entendu ! Y'en reste p't'être de vivants, dans le tas. Alors tu nous rends service et ferme ta putain de gueule !
- Pour quoi foutre ? ‘Vont en envoyer d'autres, d'façon.
- Je sais ! Je sais, merde !! Attends... attends, que je checke... Il me reste un demi-chargeur. Toi ?
- J’en sais rien... Ouais... Ouais, un truc dans le genre… Lewis ? écoute, faut que j...
- OK ! Avec ça, à nous deux, y'a moyen... ! ‘Doit y avoir un boyau sur ma gauche, selon le plan. Genre à 500, 600 mètres. L'explosion a dû le boucher mais tu te démerdes pour venir de mon côté, on l’ouvre avant qu'ils se ramènent et...
- Lewis, bordel de merde !!
- Putain !! quoi ? QUOI ?!
- Je t'aime.
- ... Tu...... Quoi ?
- Ouais, je sais. C'est pas trop le moment, tu vas me dire. Mais bon, vu la galère dans laquelle on est et moi qui... ouais, en fait, c'est un peu le moment. Tu vois ?
- ...
- Bordel ! là, de suite, je voudrais être avec toi, juste pour voir ta gueule. Avec ton regard de notaire et ton front qui plisse comme un rideau, comme quand tu trouves que quelqu'un dit de la merde en réunion. Et tu dois te dire pareil, hein ? Mais tout ça, ce que je te dis, c'est pas comme si c'était pour te faire chier ou que j'avais fait exprès, tu sais.
- ...
- Tu dois te demander quand ça commencé, je parie ? Ouais... Ça, par contre, je sais pas trop. Je crois que c'était le lendemain du Raid. Celui de mars. Quand les neiges ont recouvert le secteur 15, tu vois ? Bon. On rentrait, quoi, et tout l'équipement gelait à cause de l'azote. On s'est rués dans la soute du haut, sous les tuyaux, là, et on a tout bazardé pour que le tissu nous arrache pas la peau. Et là, t'as débarqué, avec Dank et le reste de la bleusaille, même si on en avait déjà perdu la moitié. T’étais à côté de la porte de la soute et t'as fait comme nous, forcément : t'as tout enlevé. Et t'es passé à la décontamination, au cas où. T'étais le dernier. Ça, je me souviens. Et le plus drôle, c'est que je te matais même pas, à ce moment-là. Déjà parce que je m’en foutais pas mal, de ton cul. Et puis que j'étais occupé à compter les bizuts qui me restaient pour prévenir la Nécro. Et à vérifier que j'avais toujours mes mains. Ou mes guiboles. Pas comme Rhye, hein ? On a dû l'amputer dans l'après-midi, tu savais ? Jambe droite, jusqu'à la cuisse. 'Fin bref. Je suis sorti de la "douche" et je suis passé me chercher des fringues, à côté du bunker. Et là, tu dois te souvenir, y'a Myele qu'a débarqué. Elle est rentrée, comme ça, sans se faire chier et elle t'a embrassée. De là où j'étais, je voyais sa grande bouche qui prenait la tienne et ses bras de sauterelle qui te tenaient, comme elle aurait rongé un os. Et tu la coinçais contre le sas en lui broyant les seins. Tu étais dos à moi, mais je suis sûr que t'avais la trique. Hein ? Forcément que tu l'avais.
- ...
- Et là, ben… je me suis mis à bander. Et sur le coup, je croyais que c'était pour Myele, tu vois ? Elle est pas moche, la nana, ‘faut dire. Et tu m'as toujours dit qu'elle mouillait plus qu'un jour de pluie. Mais en fait, je te regardais, toi. Je regardais ta nuque et je regardais sa tête, avec ta main entre ses jambes, et les cris de souris qu'elle lâchait à chaque fois que tu enfonçais les doigts. Et quand j'ai commencé à m'astiquer, c'est pas parce que je la voyais prendre son pied. C'est parce que je savais que c'était toi, qui la faisait mousser comme ça, et que je voyais tout ton corps qui la défonçait, qui lui pétait le dos contre le mur. Par à-coups, comme ça, bam ! Ça m’a bien fait marrer, d’ailleurs, ta baise de mitraillette. Je crois que j'ai lâché ma dose au moment où tu lui as explosé dedans. Parce que t'étais en train de jouir, tu vois ? J'arrêtais pas de t'observer pour savoir quand t’allais venir, et putain ! t'es long à gicler, mec ! J'étais à 2 doigts de te dire de te magner. Mais j'ai tenu, quand même, parce que je voulais jouir avec toi et...
- ... Dynn, bordel de merde ! pourquoi tu me dis tout ça ?! Tu veux que je dégueule ? C'est pas assez, tout ce qu'il y a sous nos godasses ? Hein ?! alors, pourquoi tu...?!
- J'ai le corps flingué. Genre, flingué. Littéralement.
- ...
- ... Ouais.
- ... Flingué comment ?
- Flingué moche.
- ...
- Quand je pense que c'est toi que je voulais trouer...
- ...
- C'est bon, mec, je déconne. Et puis, t'as pas à t'en faire : tout ce qu'il me reste de dur, là, c'est mon Colt M4.
- ...
- Après, ouais... Ben après, je sais plus vraiment. C’était là. Et ça partait plus. Comme un truc de collé sous la semelle. Mais chaque fois qu'on passait à la "douche", même quand on revenait qu'à 4 alors qu'on était partis à 10, même quand je chiais de mal à cause d'une balle dans la couenne, je me mettais à bander. Direct, comme ça, comme si on pressait une détente. P’t’être parce que j'étais là où t'avais baisé, même si c'était pas avec moi. Et encore après, je me suis mis à penser à toi. Pas qu'à ta bite, je veux dire. A toi. En entier, quoi. Enfin, tu vas me dire, on se connaissait pas. Je te connais toujours pas, d'ailleurs. Là, on se parle parce que je vais y passer. Et puis, tu me diras, t'es le seul dont y'ait pas un morceau d'intestins ou de cervelle sur mon uniforme. Et 't'façon, je serai cané avant que t'aies pu me défoncer la gueule en me traitant de pédé.
- ...
- En vrai, je pige même pas pourquoi je te raconte ça. On s'en tape, hein ?
- ...
- Ouais. Allez... Casse-toi, va. C'est toi qui le disais : y'a moyen. Si t'as le courage de venir voir à quoi je ressemble, il doit me rester des grenades dans le pack. Les petites B-12, qu'on trouve pourraves. Mais si tu vises bien - et vu ta façon de niquer, j'en doute pas - ça devrait te dégager le chemin sans t'arracher la moitié de la tronche. Tu vas te défoncer les tympans, vu la distance, mais ça partira. ‘Fin, faut encore que t’arrives jusqu’à moi. Je t’avoue que c'est pas vraiment comme ça que je voulais que tu me fouilles, pour une première.
- ...
- C’est bon, mec, je dèc’. Dis, je sais qu'il te reste déjà pas assez de plomb pour être sûr de t'en tirer, mais je t'emprunterai p’t’être une balle avant que tu me récupères le flingue. Mais t'inquiète, elle sera pas perdue. A cette distance-là, je risque pas de me rater.
- ...
- Lewis ? Tu me causes, là ? Je crois que j'entends plus que dalle. Et y'a ce putain de sang qui se barre de partout. Tu me verrais, on dirait l'abattoir du Jourdain. Ou la mission d'épuration, tu sais, dans les quartiers de Paname. Quand on devait tout canarder. Même le petit de 5 ans, là, avec les autres gamins... Remarque, je préfère que ce soit eux plutôt que moi. Ou que toi, je pense bien.
- C'est bon, c'est bon ! J'ai pigé ! Bordel, Dynn... ! Ecoute, on n’a pas le temps pour tes conneries, okay ?!
- Je viens de le dire.
- Ta gueule ! Bon ! le bloc entre nous, je vais en faire le tour : il est pas si épais et l'explosion l'a fissuré. Je dois pouvoir en péter un peu à coup de crosse et me glisser en-dessous. Et quand j'y serai, crois-moi que c'est moi qui vais te l'exploser, ta tronche ! Et t’as pas intérêt à te tirer quoi que ce soit dans ta caboche de tafiole avant que je... Dynn... ?!
- ...
- Dynn ! Oh ! Me fais pas le coup de claquer alors que je te parle ! Dynn ?! Réponds-moi, connard ! Dynn... !!
- C'est bon, gueule pas... Je suis pas encore cané. Faut te grouiller, par contre : je vais plus être très long, là.
- J'arrive, OK ? Crève pas ! Tu crèves pas, t'entends ?!
- Je fais de mon mieux, là, tu sais.
- C'est bon, ça se casse ! Ca se casse, d'accord ? ... Dynn ! Parle-moi, mec ! T'es toujours là ?
- Tu devrais laisser tomber, vieux. Tu vas te déboiter l'épaule pour que dalle. Je suis plus très loin du bout, là.
- Dynn, merde... ! Faut que tu tiennes ! Je vais te tirer de là ! On va se...
- Et puis, non, putain !
- Quoi ? Il se passe quoi ?!
- Merde, Lewis, je veux pas crever ! Pas là, pas comme ça, sans avoir revu ta tête de con, ton café le matin, ce putain de ciel rouge, et tout ce que je verrai plus jamais. J'ai plus le choix, je sais, parce que je me vide comme un porc mais... Pas comme ça. T'entends ?! Pas comme ça ! Je voudrais pas crever, Lewis ! Je voudrais pas... ! Je... voudrai...
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[...] Avant d'avoir usé
Sa bouche avec ma bouche
Son corps avec mes mains
Le reste avec mes yeux
J'en dis pas plus
Faut bien rester révérencieux [...]
Boris Vian
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