un diplomate du Royaume de Xilia

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Témoignage recueilli par des moyens qu'il est certainement préférable de taire ici, mais dont la qualité ne saurait être remise en question. Disons, pour apaiser les doutes éventuels, et sans rentrer dans les détails confidentiels, que l'individu s'est retrouvé à un moment de sa vie comme écouté de près. Bon, si l'on voulait être plus précis, on dirait écouté et observé de très près, jusqu'à n'avoir plus aucun secret réellement secret. De l'espionnage ? Non, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

Quoi qu'il arrive, ils ne pourront pas me reprocher de ne pas m'être habillé pour les circonstances. Mon costume d'apparat tout juste sorti du tailleur devrait me donner la prestance que je ne suis pas sûr de réussir à conserver en-dessous. Au moins, j'ai réussi à ne pas froisser le tissu en traversant la gigantesque Place Royale avant d'arriver ici. Cette Grande Salle est vraiment terrible pour ceux qui, comme moi, préféreraient se cacher jusqu'au dernier moment. Située au centre de la Place Royale, il n'y a aucun moyen d'y pénétrer sans avoir préalablement parcouru lentement les deux cents mètres qui la sépare des bords de la place dans toutes les directions. Sans compter toute la ville qui, amassée dans toutes les rues et sur tous les balcons aux alentours, observe la lente procession des invités convergeant vers le lieu de la cérémonie depuis les huit coins de la place, interdisant le moindre pas de côté, la moindre hésitation ou la moindre tentative d'évasion.

Je ne devrais plus y penser. J'y suis arrivé, je suis maintenant à ma place au milieu du rang de mes confrères, bien droit et, du moins en apparence, aussi prêt que possible. Mais je ne sais vraiment pas comment cela va se passer... La cérémonie des affectations officielles des diplomates est pourtant assez formelle et d'habitude peu surprenante. Mais je n'arrête pas de penser que Rixo va intervenir pour essayer de me déshonorer d'une manière ou d'une autre. Étant le fils du Haut Ambassadeur du Royaume, il aurait facilement pu convaincre son père de m'expédier aux confins de la galaxie, loin ma chère planète Xiril, loin de ma famille, et loin de Xali...

Je ne sais pas si je pourrais survivre loin d'elle. Je ne sais vraiment pas. Pourrais-je refuser l'affectation ? Cela ne s'est jamais vu... Du moins, je ne crois pas en avoir déjà entendu parler. Serait-il assez vil pour se venger de cette manière ? Je n'ai pourtant rien fait pour mériter une telle animosité. Non, réellement. C'est elle qui l'a quitté, elle qui est venue vers moi. Je ne pense pas que m'éloigner suffise à la ramener à lui. Mais cela resterait une vengeance certainement fort douloureuse.

Elle est là, au premier rang de la foule de ceux qui ont le privilège d'assister à la cérémonie depuis l'intérieur de la salle. Elle est venue tôt pour pouvoir me voir « briller lors de ce grand jour ». Mais je vois bien qu'elle est aussi anxieuse que moi. Dans sa robe aux couleurs du ciel, c'est bien elle qui brille et non moi. Au milieu de toute cette profusion de dorures, diamants et marbres, tous plus colorés les uns que les autres, qui ornent la Grande Salle et reflètent la lumière pénétrant par l'immense coupole de verre, on ne voit qu'elle. Ou du moins, je ne vois qu'elle, mais je suis persuadé de ne pas être le seul.  Où que nous allions ensemble, personne ne me voit à ses côté. Personne sauf Rixo, qui, lui, ne voit que moi.  

Et dire que je devrais me réjouir à l'arrivée de ce jour. Ma dernière affectation a été couverte de succès et de louanges. Ils ne devraient pas pouvoir me rétrograder, tout le monde s'accorde pour dire que je devrais être promu.

Je n'ai pourtant fait que mon travail. Certes, cela a payé, au-delà même de mes espérances. J'ai persuadé les habitants de la planète Rigal de rejoindre le Royaume, en trois mois à peine, et sans la moindre violence. Une belle réussite, oui, qui selon moi n'est ni plus ni moins que le fruit d'une stratégie simplissime : apprendre et parler la langue des habitants. Ou tout du moins, essayer de parler, avec un fort accent et un nombre d'erreurs de syntaxe certainement déraisonnable. Néanmoins, les Rigaliens semblaient comprendre la plupart de mes discours et je voyais bien sur leurs visages la joie de m'entendre me démener dans leur langue. Plus personne ne se donne cette peine aujourd'hui, tout le monde dispose d'un traducteur automatique. Mais depuis que j'ai retrouvé dans les archives des histoires d'anciens diplomates Xiliain qui parlaient systématiquement la langue de leur planète d'affectation, j'ai trouvé cette idée tellement merveilleuse que je l'applique dès que possible. Ce n'est pas si difficile en réalité. Notre morphologie est plutôt bien adaptée pour reproduire les nombreux sons étranges que l'on trouve dans beaucoup de langues à travers l'univers. Les Xiliains possèdent plus de muscles et d'articulations dans la gorge et la boîte crânienne que la moyenne. C'est d'ailleurs grâce à cette particularité que notre peuple a rapidement pu s'imposer sur la scène diplomatique, déjà au temps des Anciens.

À l'époque, chaque espèce, chaque civilisation, voire chaque système possédait son diplomate Xiliain. Le jour des affectations ressemblait alors plus à une joyeuse foire qu'à la cérémonie pompeuse que je suis sur le point de subir. J'aurais tant aimé vivre à cette époque... Des centaines de diplomates disséminés à travers tout l'Ancien Empire travaillant ensemble au maintien de la paix galactique... De ce que je sais, il ne reste plus que deux diplomates affectés aux mondes d'origines d'autres civilisations. Deux... Ou peut-être trois après la cérémonie ? Non, inutile de rêver. Mieux vaut attendre de voir ce qu'il adviendra. Cela ne devrait plus être très long maintenant, le Haut Ambassadeur est en train de passer le seuil de la salle pour nous rejoindre, moi et les quelques cent autres candidats.  

***

Et moi qui imaginait connaître mon sort rapidement... La matinée entière vient de s'écouler et je ne suis toujours pas fixé. J'espère que mon costume ne laisse pas apparaître tout ce que je transpire. Mais voici que mon voisin, un aspirant tout juste sorti de l'école, reçoit l'annonce tant attendue qui marquera le reste de sa vie. Il rayonne de joie, s'incline dignement, avant de rejoindre les rangs de ceux dont le sort est déjà connu. Peut-être est-ce simplement cela le coup bas de Rixo ? S'arranger pour que mon nom ne soit prononcé qu'après celui de jeunes recrues sans aucun mérite réel ? Le Haut Ambassadeur reprend alors la parole :

--- Et pour notre très talentueux diplomate, Xomi, tout juste revenu de Regal, il aura le grand honneur de devenir le Représentant du Royaume Xiliain auprès du Conseil Galactique.

Je suis ébahi. J'entends à peine le tonnerre d'applaudissements. Je suis si heureux... Le Représentant au Conseil  Galactique n'a pas à quitter la capitale, je pourrai rester auprès de ma Xali ! Et en prime, j'obtiens le poste le plus honorifique qui soit !

Cependant... c'est aussi le plus honorifique dans le mauvais sens du terme : beaucoup d'honneur, mais sans aucun travail réel à effectuer, une sorte de placard doré. Clairement, le fils du Haut Ambassadeur n'est pas étranger à cette affectation. Une vengeance à la fois délicate et invisible aux yeux du monde, mais en même temps terrible
et implacable : ma carrière de diplomate et mes rêves d'ambassadeur auprès d'autres nations viennent d'être ruinés par ma nomination à la plus haute fonction qu'un diplomate puisse obtenir. Bravo Rixo, tu as gagné... mais je garde Xali, et je crois bien qu'au bout du compte, je gagne beaucoup plus que toi.  

***

Aujourd'hui est mon premier jour en tant que Représentant du Royaume de Xilia auprès du Conseil Galactique. Je sais que cela va se résumer à rester assis pendant des heures au milieu d'une pièce sombre, sans fenêtres ni possibilité d'interaction avec qui que ce soit. Mais au fond de moi, je ne peux pas m'empêcher de ressentir une certaine excitation. Aucun autre diplomate aussi jeune que moi n'a jamais pénétré dans la légendaire Chambre du Conseil. De nombreuses résolutions et lois ont été votées grâce au travail d'un de mes prédécesseurs dans cette pièce. Mais c'était il y a bien longtemps, et je risque fort de devoir attendre un millier d'années avant que les écrans de cette salle ne s'allument à nouveau. C'est à peu de choses près le temps écoulé depuis la dernière réunion du Conseil.

[Cela ne fait en réalité que 954,16 ans centraux, ce qui représente néanmoins 1143,32 années pour la planète de cet individu.]

L'Ancien Empire est maintenant éclaté et toutes les civilisations se contentent de leur petit coin d'espace.

Néanmoins, je ne dois pas oublier toute la solennité de ce lieu et de ma nouvelle fonction. C'est la tête droite que j'entre pour la première fois dans la légende...

Et s'il y a bien une chose que l'on peut affirmer sur les légendes, c'est qu'elles sont d'un autre âge. Tout dans cette pièce semble aussi âgé que le premier Ancien à avoir voyagé dans l'espace. Et l'odeur... N'y a-t-il eu personne pour occuper ce poste pendant ce millier d'années ? Finalement, je crois que je ne passerai pas ma première journée assis. Me voilà relégué au prestigieux poste de nettoyeur de placards en chef.

***

Un nouveau jour se lève et je m'apprête à débuter une nouvelle journée dans l'antre légendaire des diplomates fossilisés, comme je l'appelle maintenant. Peut-être qu'avec un peu de chance, après une semaine, la poussière sera revenue sur l'écran principal et je pourrai diluer mon ennui dans quelque séance de ménage ? Cet écran doit bien mesurer trois mètres par quatre, de quoi s'occuper un bon petit moment. Xali en rira encore en me disant quel mari parfait pour s'occuper d'une maison je suis sur le point de devenir après ce stage. Elle prend tout cela plus à la légère que moi...

J'entre et je débute par mon habituel tour d'inspection, à la recherche d'un recoin poussiéreux qui mériterait une action de ma part. Empli d'espoir, je commence par l'écran, avant de me rendre compte que c'est encore trop tôt. Je continue en passant en revue le large bureau sombre, construit dans un bois absent de nos forêts d'aujourd'hui, mais n'ayant rien perdu de sa splendeur originelle. Je vérifie les nombreux tiroirs vides qui coulissent sans un bruit, comme tout juste sortis d'usine. Je ne pense pas qu'il reste la moindre usine de fabrication de meubles en bois sur Xiril.  

Je finis par m'asseoir. Au moins ce fauteuil est confortable. Rixo n'a pas poussé la plaisanterie jusqu'à convaincre son père de le remplacer par un simple tabouret. Allez, c'est parti ! Je sais que c'est très puéril, mais je n'ai réellement rien d'autre à faire, et je suis sûr de pouvoir battre mon record de tours de fauteuil aujourd'hui. J'ai eu le temps d'étudier tous les éléments déterminants. Un, deux, trois...

Et huit... Bon, ce ne sera pas pour cette fois. Huit trois quarts pour être exact, mais j'ai déjà réussi neuf tours l'autre jour. Tiens, malgré tous mes essais, je ne m'étais jamais arrêté dans cette orientation. Resterait-il un coin de cette pièce que je ne connaisse pas par coeur ? Serait-ce de la lumière derrière ce volumineux dictionnaire Gromovien ? Oui, une poignée lumineuse dans la paroi, et si je pose ma main dessus...

Une autre pièce ! Mon monde vient de doubler de taille en un instant ! Une salle couverte d'étagères, elles-mêmes couvertes de volumes numérotés, eux-mêmes couverts de poussière... Les archives du Conseil Galactique ! Eh bien, à défaut de travail, j'aurai au moins de la lecture.

***

Un nouveau jour se lève et une nouvelle journée au coeur de la légende commence, et j'ai hâte. Une fois nettoyée, cette salle révèle de nombreux trésors. Je m'installe à mon bureau, juste devant l'écran principal, et je reprends ma lecture de l'archive BG-912. Il me tarde de connaître le résultat des discussions sur les taxes aux abords des champs d'astéroïdes.

***

Il fait de plus en plus sombre ici, ou peut-être que ma vue baisse à force de me concentrer sur ces pages historiques. Mais une fois plongé à l'intérieur, je ne peux plus lever les yeux. Je tends le bras vers l'interrupteur tout en continuant à lire, je tâtonne... Ah ! Et la lumière fut ! Enfin, une faible lumière, bien plus faible qu'à l'accoutumée. Que se passe-t-il ? Mais, la lumière vient de l'écran ?! Oh Déesse, qu'ai-je fais ? Ne me dites pas que j'ai ouvert une communication intergalactique susceptible de déranger et rendre belliqueuse une autre espèce !

L'écran s'éclaire de plus en plus, avec un petit grésillement. Et, tout à coup, un visage apparaît. Un visage gris, allongé, dénué de poils aussi bien en surface que sur le dessus du crâne. Mais ce qui choque le plus ce sont les yeux, parfaitement ronds, énormes, occupant à eux deux presque la totalité de la partie supérieure du visage, et d'un noir absolu, profond, voire abyssal, et totalement dénués d'expression. Je n'ai jamais rien vu de tel, mais je sais avec certitude que j'ai devant moi un Seelluss. Ces êtres oubliés vivant sur les bords les plus éloignés de la galaxie, voire même au-delà si l'on en croit les vieilles histoires. Et celui-ci semble commencer à parler, ou plutôt à susurrer en entrouvrant à peine ses lèvres aussi fines que quasi-inexistantes :

---  Bonjour... à vous tousss, mes...  frères d'un autre temps... et bienvenu. Nous, Seelluss, Gardiens des Portes de l'Essspace, nouss avons pénétré dans... le Ssanctuaire desss Anciens sur Coreberrrr... Nousssommes maintenant les Gardiens du Conssseil Galactique. Nous nous proclamons Détenteur des Clés et présiiiderons à toutes les sséansses futures. Nouss avons réactivé les anssiens moyens de communicassion pour que vous puissiiez touss en être euh... témoin, et... nouss ouvrons aujourd'hui une nouvelle ssession, la première ssession du nouveau... régime.