Rick

18 minutes de lecture

un soldat de la Fédération Humaine

201222-220345

Témoignage issu du nouveau mémo-disque de l'individu.

Aarrgh ! Saloperie de mal de crâne. J'ai l'impression d'entendre encore en boucle le bruit des bombes qui explosent tout autour de moi, sauf que maintenant, c'est l'intérieur de mon crâne qu'elles pulvérisent. Qu'est-ce qu'ils foutent, ils ont encore oublié la dose de calmants dans la perfusion ?

--- Eh ! Y'a quelqu'un ici ?

Toujours la même histoire. On se réveille sur un lit d'hôpital en ayant l'impression d'être encore en train de mourir et toute la clique de médecins et officiers s'attend à ce qu'on soit heureux et reconnaissant d'être encore en vie.

--- Ohé ! Je suis réveillé !

J'imagine qu'il y a un paquet de monde en train d'hurler dans le même état que moi ici. On était bien un millier encore en vie sur Cibella quand les armoires à glace elfiques déguisées en actrices de porno ont largué les feux de l'enfer sur nos tronches. Je m'en rappelle... Je vais m'en rappeler encore quelques jours, de moins en moins précisément, jusqu'à oublier complètement le jour de ma dernière mort. Ça fait partie du processus. Il paraît que ce n'est pas sain de vivre en se souvenant de sa mort... Et j'avoue qu'en général ça m'arrange plutôt bien. Mais pas cette fois. Je veux me rappeler, pouvoir me souvenir de la beauté de Cibella, et ne jamais oublier comment ces affreux l'ont massacrée et transformée en enfer, avant de finir par tout brûler. Je suis sûr que le climat n'est pas parti en vrille tout seul. Je ne sais pas comment, mais les Gromov y sont pour quelque chose. Le timing était trop bon.

--- Ah ! Eh bien en voilà un qui ne perd pas de temps pour revenir à nous, dit la jeune femme en blouse blanche en entrant dans la chambre.

--- Et en voilà une qui sait accueillir ses invités. Dites-donc, vous ne pourriez pas me donner quelque chose de vraiment utile contre les migraines ?

--- Désolé monsieur le costaud, mais vous êtes déjà sous la dose maximum, dit-elle avec un petit sourire triste.

Elle pourrait être attirante si je ne la haïssais pas déjà autant. Des formes que la blouse blanche a du mal à masquer, de grands yeux à vous faire fondre et des longs cheveux bruns retenus en queue de cheval, du moins pour le moment...

[Nous entrevoyons ici la propension des humains au plaisir charnel que j'ai maintes fois eu l'occasion d'observer dans mes recherches. Mais n'ayez crainte, j’omettrai autant que faire se peut les détails, peu ragoutants pour des personnes aussi civilisées que vous et moi, des ébats de ces êtres sans sens apparent des convenances.

NB : Est-ce bien raisonnable de considérer le lecteur comme civilisé ? Mmm, je ne sais pas... mais peu importe, seul l'opinion des êtres civilisés compte in fine, et les autres pourront toujours se plaindre auprès de leur tavernier favoris sans me porter le moindre préjudice.]

--- OK, OK, vous êtes juste venue pour me faire la conversation alors ?

--- Oui, je ne voulais pas manquer la chance d'une petite discussion en si bonne compagnie... mais je vais quand même en profiter pour vérifier votre état, dit-elle sournoisement en regardant tout le paquet d'appareils reliés à mon corps par un bout ou un autre.

--- Alors, on en est où ?

--- Toutes les constantes ont l'air bonnes, vous devriez pouvoir sortir d'ici rapidement.

--- Ça, je le savais déjà. Je parlais des autres. Combien sont revenus et vont pouvoir sortir d'ici comme moi ?

--- Ah ça... eh bien disons que sur les 534 soldats dont les sauvegardes de disques mémoires sont revenues de Cibella jusqu'ici sur Mars, la moitié devrait réellement s'en sortir...

Elle ne sourit plus, ne joue plus. Les trois quarts de mes hommes au tapis. Ces enfoirés de Gromov me le paieront !

--- Du calme gros dur, je sais que ce n'est pas facile, mais c'est encore trop tôt pour se laisser aller à de tels sursauts de tension.

--- C'est ça, faut que je fasse attention à moi au lieu de penser à mes potes morts ou presque.

--- Désolée, vraiment. Je vais prévenir le général Macarty, il voulait vous parler dès votre réveil. À moins que vous ne préfériez que j'attende un peu ?

--- Non, c'est bon, allez-y. Ça ne changera plus rien de toute manière.

Et ce n'est jamais bon de faire attendre Macarty. Je me demande ce qu'il peut me vouloir. Si c'est pour me faire porter le chapeau de ce fiasco, il va m'entendre. Il pourrait bien être celui qui a ordonné au transporteur de ne pas venir nous chercher quand on était en train crever sous le soleil. Personne n'ose lui tenir tête à celui-là. Personne, sauf moi. Je suis ses ordres, mais pas toujours sans broncher, et je ne me gêne pas pour lui faire remarquer quand ils me paraissent débiles. Je crois qu'il aime ça dans le fond. Il doit reconnaître le courage de quelqu'un d'assez fou pour lui parler franchement. Ou alors, ça l'amuse de voir un mec comme moi se démener inutilement devant lui, comme une mouche dont on tient une aile entre deux doigts. Peu importe, dans tous les cas, il ne m'a jamais fait payer ma franchise et je compte bien en profiter aujourd'hui. Les gars méritaient mieux que ça !

--- Encore moi beau gosse. Je voulais juste te prévenir que le général arrive, il est juste au bout du couloir, dit-elle avec un sourire plus doux qu'auparavant.

--- Tiens, tiens, je passe de la brute sans bonnes manières au beau gosse à qui on paie une visite juste pour le plaisir ?

--- L'un n'empêche pas l'autre. Et je devais vérifier que tu ne t'étais pas rendormi avant la venue du général.

Je m'apprête à répondre en entrant dans son jeu quand la porte s'ouvre sur l'homme le plus rigide et le plus strict qu'il m'ait été donné de croiser.

--- Bonjour Lieutenant. Remis sur pieds et prêt à l'emploi ? lance-t-il, plus comme une affirmation qu'une question.

--- Oui mon général, ce médecin me dit prêt à sortir rapidement.

--- Quand exactement ? demande-t-il à la jeune femme.

--- Demain matin, sauf accident ou imprévu, répond-elle pour mon plus grand plaisir. Quoique l'idée d'un accident imprévu ne me réjouisse pas vraiment.

--- Bien. Alors veillez à laisser les imprévus en dehors de cette chambre et laissez nous, commande le général, comme si les imprévus n'étaient que des erreurs dont les gens pouvaient être tenus responsables.

--- À nous deux Lieutenant. Commencez donc par m'expliquer comment les trois bataillons sous vos ordres se sont retrouvés tout à coup aussi utiles que des saucisses éparpillées sur un barbecue dans le jardin du voisin. Et faites-le avant que votre ramassis de neurones qui vous sert de cerveau ne finisse en compote de souvenirs confus je vous prie.

Il a son franc-parler. Rien que ça suffit à effrayer la plupart de ceux qui ont le plaisir de se retrouver face à lui. Mais pas moi.

--- Je pense que vous le savez bien mieux que moi. Alors dites-moi plutôt pourquoi ce foutu transporteur n'est pas venu nous chercher. Mon général.

Il me fixe longuement, sans bouger le moindre cil... puis soupire :

--- Je vous avoue que tout ça ne me plaît pas plus qu'un barbecue sans côte de boeuf. Contrairement à ce que vous pouvez croire, je n'aime pas plus que vous perdre des hommes et je ne contrôle pas toutes les décisions. Le Haut Commandement de la Fédération sur Mars a aussi son lot de têtes de veau.

Ça me fait une belle jambe. Au moins, je vais peut-être éviter le savon. Il continue :

--- Mais c'est pas pour ça que je vais rester les bras croisés en attendant la fin du monde. Vous repartez en mission demain matin, et vous avez plutôt intérêt à être celui qui tient la fourchette à barbecue cette fois-ci.

Demain ? On nous a plutôt habitués à des sermons sur la quinzaine de jours de repos nécessaires pour pouvoir se rétablir après une remise en service. Il se passe quelque chose. Quelque chose d'assez effrayant pour troubler la tranquillité de Macarty.

--- Que se passe-t-il mon général ?

--- Ce qu'il se passe ? Je viens de vous le dire : la fin du monde. Pendant que monsieur se fait dorloter sur son lit d'hôpital par des médecins en jupons, les Seelluss ont repris le contrôle de Coreberr. Et ces foutues faces de mouches comptent bien y gouverner la galaxie entière !

--- Quoi ?

--- Écoutez-moi bien Lieutenant, je vais vous dire ce qu'il va se passer maintenant. Toutes les civilisations capables de voler d'une étoile à l'autre vont se bouger les fesses comme un tas de serpents dans lequel serait tombé une souris. Ils vont se rendre compte qu'ils se sont fait avoir et qu'ils auraient dû avoir cette idée de génie avant les Seelluss et alors... Alors, ils vont regrouper toutes leurs flottes et les envoyer droit sur Coreberr, et je peux vous garantir que l'orbite de cette maudite planète va très vite ressembler à un sacré beau merdier.

Impossible...

--- Fermez-moi ce clapet qui vous donne l'air débile et écoutez-moi encore, il me reste deux trois choses à vous incruster dans le crâne avant de vous laisser partir pour votre prochaine mission. Premièrement, il n'est pas question, absolument pas question, qu'un alien gouverne la galaxie, on ne peut pas laisser ça arriver. Vous vous imaginez ployer l'échine devant une face de mouche le restant de votre vie Lieutenant ?

--- Euh non, je ne crois pas...

--- Moi non plus. Mais ne vous inquiétez pas, cela n'arrivera pas. Les Gromov sont probablement déjà en route pour écraser cette vermine. Mais vous voulez que je vous fasse un dessin de ce que serait la galaxie avec ces brutes au pouvoir ?

--- Non mon général, je visualise très bien.

--- Bien, alors vous serez d'accord avec moi. Sinon qui voudriez-vous comme Détenteur des Clés ?

--- Les Xiliains peut-être ? Ils me semblent plutôt sympas avec leur côté pacifiste...

--- Vous vous foutez de moi Lieutenant ? Et pourquoi pas ces tirs au flan d'Hommes Libres tant que vous y êtes ? Je vous le répète Lieutenant, aucun alien ne se verra confier les clés de la galaxie, aucune de toutes ces espèces de macaques emplumés ne siégera sur Coreberr de mon vivant !

--- Oui mon général !

--- Bien, j'espère que cela restera bien ancré au fond de votre tête de saucisse brûlée. Maintenant, soyez bien attentif à ce que je vais vous dire : la Fédération Humaine ne pourra jamais gagner la guerre contre les autres espèces.

--- Sauf votre respect mon général, je ne vois pas bien comment éviter le règne alien en perdant la guerre... et je ne suis pas aussi sûr que vous qu'on ne puisse pas la gagner. J'avoue que mes états de service des derniers jours ne sont pas très glorieux, mais je vous jure que je ne me laisserai pas faire si facilement la prochaine fois.

--- Je l'espère bien. Mais vous n'écoutez pas. Je vous le dis : nous ne sommes pas de taille pour gagner. Ne prenez pas cet air offensé. Je ne parle pas de vous, ni de la plupart de mes soldats, mais de nous en tant que nation. Notre nom lui-même suffit à définir notre perte.

--- Notre nom ? Je ne comprends pas...

--- Je vois bien que vous ne comprenez pas. Peut-être que la chair à saucisse dans votre crâne ne s'est pas tout à fait rebranchée dans le bon sens, alors laissez-moi vous aider. Que signifie réellement notre nom ?

--- La Fédération Humaine... Que tous les humains se sont regroupés ensemble ?

--- Tous les humains ? Vous semblez oublier les Hommes Libres. Mais oublions ces pirates d'eau douce deux minutes. Une Fédération n'est pas un tout unifié, mais simplement un ramassis de petits paquets de saucisses hétérogènes collés les uns contre les autres sous le couvercle dorée d'une belle casserole. Et à votre avis, que se passe-t-il quand la pression monte ? Le couvercle explose et les saucisses sautent dans tous les sens en s'éloignant le plus vite possible de leurs anciennes soeurs. Voilà ce qu'il se passe.

J'avais jamais considéré que les saucisses puissent avoir des liens familiaux aussi compliqués avant.

--- Ça vous en bouche un coin on dirait ?

--- OK, OK, j'ai compris, l'homme aime trop la guerre et le sang pour rester longtemps ami avec son prochain.

--- Oui, et non... Les grandes brutes aux cheveux de princesses ne sont pas des agneaux non plus, mais ils ont quelque chose que nous n'avons pas.

--- La discipline.

--- Oui, la discipline, et le sens du devoir envers l'espèce entière.
Nous ne sommes que des êtres individualistes Lieutenant, et c'est cela qui causera notre perte. Toutes les autres grandes nations sont unies au-delà de ce que les hommes ne pourront jamais accomplir. Écoutez simplement leur nom. Le Royaume de Xilia, le Collectif de Narween, la Communauté Scavelaar, l'Empire Gromov... Que peut espérer réussir une Fédération au milieu de ces blocs unis au plus profond de leurs êtres ?

--- Vu comme ça... pas grand chose j'imagine.

--- Foutaises ! Maintenant écoutez la troisième leçon du jour : même si nous devons perdre la guerre, nous ne resterons pas plantés là, la queue entre les jambes, en attendant de voir apparaître la tronche du babouin sorti vainqueur de ce gros merdier à la télé. Nous allons leur montrer qu'on existe et nous allons botter le cul à tous ceux qui se croiront assez malin pour gouverner la galaxie jusqu'à ce que nos bottes soient usées ou qu'un de ces marioles ne finisse par viser juste et nous crève au combat. Est-ce bien clair, Lieutenant ?

--- Oui mon général !

--- Y'a intérêt, parce qu'en l'occurrence, c'est vous le bout de ma botte que je m'apprête à fourrer dans le cul de ces vaniteux de Gromov. Vous allez avoir votre vengeance Lieutenant. Veillez à ce qu'elle soit suffisamment douloureuse et mémorable pour que le jour où j'irai parlementer moi-même devant leur Amiral, je vois dans ses yeux la marque de ma botte.

***

La danse des moustiques, les reliefs ondulés, ma terrasse... Je me rappelle encore, je n'oublierai pas. Je n'oublierai jamais l'enfer qu'est devenu ce monde si beau, ni le bruit des bombes transperçant le ciel. Je ne me laisserai pas oublier. Ce voyage est une aubaine pour me laisser le temps d'y repenser entre les séances d'entraînement. S'il y a bien une chose qu'on peut dire sur la Fédération, c'est qu'elle prend soin de ses troupes d'élite. Ses transports de troupes ne sont pas les boîtes de conserves standards utilisées par les autres nations, mais des vaisseaux capables à la fois de soutenir une attaque et de rivaliser de vitesse avec les croiseurs les plus rapides. On s'y sent en sécurité.

La danse des moustiques, les reliefs ondulés, ma terrasse... Une danse avec elle, ses courbes ondulées, ma couchette... Ah ! Voilà que je mélange encore tout ! Décidément, cette médecin a dû ajouter je ne sais quelle drogue dans ma perf. Et dire que je ne connais même pas son nom. Bon, je ferais mieux de me concentrer sur le briefing de la mission sur Garmina. C'est déjà pour demain. Je sourie, oui. J'ai hâte d'y être et de « botter le cul » à ces Gromov pour leur faire payer Cibella.

Les gars sont prêts. Tout autour de moi, je les vois en train de faire leurs derniers préparatifs, leurs dernières prières, leur dernier petit rituel d'avant combat. Pour beaucoup d'entre eux, cela se résume à démonter, remonter, réviser et astiquer leur fusil d'assaut. Ces petits bijoux sont les meilleurs amis des soldats, auxquels ils parlent tendrement et se confient. Chaque arme a son petit nom choisi par son propriétaire. Cette habitude est née il y a plusieurs siècles avec les commandos qui gravaient au couteau un cri de guerre ou un message à destination de l'ennemi le long du canon. Aujourd'hui, il y a une case prévue sur chaque bon de commande et la gravure est faite au laser en usine. On peut même choisir la police et le style pour quelques crédits supplémentaires. Dave est justement en train de nettoyer minutieusement le creux des lettres de La Flèche de Dieu. Derrière lui, Boris a préféré graver le sien lui-même, la case du formulaire ne permettait sûrement pas un message aussi long que Si tu arrives à lire la fin de ce message en vie, tu peux te considérer comme mon ami. Il y a aussi beaucoup d'armes nommées Ange de la Mort, Épée du Destin, Cracheur de Feu, ou plus laconiquement Crève Charogne, Tueur d'Aliens, ou encore  Troueur de Corps.  Quelques-uns à l'âme plus poétique ont préféré Excalibur, Âme en Peine, Pourfendeur d'Ennemis, ou Libérateur de l'Humanité. Dans la série « message au mec d'en face », on trouve des Commence à Prier, Cours Trouillard, Recule ou Meurs, ou Laisse Tomber T'as Aucune Chance, et aussi quelques Eh Non Tu Ne Rêves Pas C'est Bien Moi, et des jolis Sois Poli et Dis Bonjour Avant de Mourir...  Le mien s'appelle simplement Billy, du nom du chien que j'ai perdu peu de temps avant de m'engager. Il n'était pas plus féroce que ça, mais il savait me réconforter.

***

--- Repasse-moi les jumelles Dave.

Il faut que je me fasse une idée précise de la situation. Les Gromov dans les rangs en face sont droits et alignés comme des poils de balais brosse, formant un épais tapis impénétrable. Et nos rangs, tapis derrière cette dune attendent mon signal pour aller s'y frotter.  

--- Je dirais qu'ils sont autant que nous Lieutenant, à peu de choses près, dit Dave.

Et Dave sait compter, on peut lui faire confiance pour ça. À forces égales contre ces brutes... on peut l'emporter. Nos troupes d'élite ne s'appellent pas comme ça pour rien. Oui, mais à quel prix ? La moitié des gars tapis là-derrière y resteront sûrement...

--- Et pis merde, ça doit être pour ça qu'on touche une prime en tant que chef d'unité...

Je m'avance de trois pas en tenant Billy bien au-dessus de ma tête. Je m'arrête et le pose sur le sol. Puis je continue, le coeur aussi serré que si j'avais abandonné mon chien. J'avance les mains en l'air, lentement, mais de manière déterminée. Je n'ai plus aucune arme sur moi. Juste une oreillette pour communiquer avec Dave, et une autre avec ma musique. Quoi qu'il arrive à ce niveau, Dave ne peut pas me sauver. Autant monter le volume de la musique et apprécier la douce ambiance joyeuse de la bonne vieille country.

C'est mon truc, ce qui me permet de rester à la fois apaisé et concentré, observant le moindre mouvement dans les lignes en face. Je n'écoute plus que ça maintenant, depuis que Judith m'a emmené de force dans le musée archéologique de Titan. Je n'avais jamais éprouvé le moindre intérêt pour ce qui était mort depuis plus de dix minutes, mais elle savait y faire pour m'obliger à faire tout ce qu'elle voulait. Et elle ne respirait que pour l'archéologie, toujours à la recherche de nouvelles découvertes, à essayer de comprendre ce qu'il s'était passé deux mille ans plus tôt.

[NB : il faudrait que je mène une enquête plus approfondie sur cette charmante femme aux intérêts si bien choisis.]

Je ne voyais pas bien l'intérêt de tout ça, mais dès que j'ai entendu les premières notes de ce morceau de country dans le casque du musée, j'ai su que cette musique était faite pour moi. Je ne comprends pas un mot des paroles dans cette langue ancienne, mais tant pis. Judith a bien proposé de m'en traduire par la suite, mais ça aurait cassé le charme de la mélodie. Allez, montons le volume...

Country rooad... take me hooome... to the laaand I belooong, West Virginia, mountain mama, take me home, on country road...

Il reste une centaine de mètres entre moi et la première ligne ennemie. Ça y est, ça bouge, le moment de vérité... Trois balaises s'avancent vers moi. Trois, et non trois cents, c'est bon signe. Le premier semble porter un uniforme plus coloré que les deux autres qui restent légèrement en retrait. Bien, c'est donc lui qui commande ici. On se rejoint à cinquante mètres de leurs troupes, mes potes à deux cents mètres derrière moi, la plupart cachés derrière un semblant de colline qui les empêchera de faire quoi que ce soit pour me sauver.

Je baisse le son, mais je laisse un faible filet de musique percer dans mon oreille, j'en ai besoin. Les trois gaillards ont gardé leur arme en main, canon pointé vers le sol. C'est bon pour moi. N'empêche, je savais qu'ils étaient grand, mais de près, ça reste impressionnant. On va la jouer cool.  

--- Salut les amis !

Oups, le balaise de gauche a l'air choqué :

--- Pas ami, mais Monseigneur Commandant des Troupes Gromov sur Garmina. Encore un manque de respect et je vous perce le bide humain.

--- OK, OK, désolé.

--- Que voulez-vous ? demande le Monseigneur Commandant des Troupes Gromov.

--- Juste discuter un peu et voir si on trouve un arrangement pour éviter le massacre.

--- L'humain a peur de mourir ?

--- Non, pas vraiment, mais l'humain préférerait éviter de tuer trop de monde par une si belle journée. Honnêtement, vous savez que vous risquez gros ici, alors arrêtez de jouer aux durs.

Le troisième larron à l'air sévère se renfrogne, mais les autres rigolent. OK, on a brisé la glace.

--- Ah ah, en voilà un qui croit nous faire peur. Et comment voyez-vous cet arrangement, humain ?

--- Ben je me disais que vous pourriez commencer par déposer toutes vos armes par terre. Ensuite, vous pourriez lever les bras en l'air et peut-être bien commencer une petite danse du ventre pour nous divertir ? Avec de si beaux cheveux on doit forcément savoir danser un peu non ?

Le sévère sent quelque chose, il regarde partout, renifle l'air ambiant avec son museau d'elfe... Il a compris, va pas falloir perdre de temps.  

--- Qu'est-ce que c'est que ces foutaises ? Nous ne sommes pas ici pour échanger des plaisanteries, annonce le commandant. C'est votre dernière chance. Réfléchissez bien, car si je n'aime pas ce que j'entends, vous serez le premier à mourir aujourd'hui.

--- OK, vous avez gagné, allez tous vous faire foutre !

Un bruit mate et gluant alerte le commandant, qui se retourne vers son larbin de droite pour voir d'où ça vient. Son visage se change en un masque de surprise et de rage à la vue du corps sans tête de son sous-fifre, mais il n'a pas le temps de comprendre que son genou explose, l'amenant à ma hauteur. Je lui brise l'autre genou d'un coup de pied et attrape sa chevelure de la main gauche tout en le délestant de son arme de la droite.
En moins de trois secondes, les deux lourdaux sont étendus à terre et le chef est à ma merci, le canon de son propre fusil sous le menton.

--- Ça va Lieutenant ? demande Dave dans mon oreillette.

--- Nickel. Pas mal le coup du genou, mais fais-moi penser à changer les mots de code. Le grand terne de droite a tilté à cheveux, et allez vous faire foutre est un peu trop évident à mon goût.

--- OK désolé, c'est toi qui avais raison, c'était un peu pourri.

Bon, et maintenant on va voir si ça peut vraiment marcher ou si c'était juste une belle connerie.

--- Toi, le commandant de mes deux, tu vas dire à tes gars de baisser leurs armes bien gentiment et je leur épargnerai la danse du ventre.

Tout se joue maintenant. Les Gromov se définissent par leur fierté et leur discipline. Je mise gros sur ces deux-là aujourd'hui.

--- Jamais !

Ça paraît pas gagné. N'empêche, pour le moment, ces guignols n'osent pas tirer, ils attendent les ordres de celui que je tiens par la crinière. Ils ne bougent pas d'un poil, bien disciplinés.

Cette belle enflure entre mes mains me rappelle Cibella, mon coeur s'accélère et je suis à deux doigts de lui exploser la cervelle, mais je sais qu'il ne vaut mieux pas...

--- Écoutez-moi bien, Monseigneur, sinon tu pourras ravaler ta fierté de gros dur et considérer que toute ta famille se souviendra de toi comme du faible qui s'est fait rabaissé au niveau d'un microbe humain et buté comme un débutant à trois contre un.

Il ne réagit pas...

--- Mais si tu commandes à tes troupes de se rendre, alors je te promets que tu pourras retourner chez toi comme un héros qui a sauvé la vie de ses troupes. Oui, je te laisserai repartir toi et tes soldats, mais sans les fusils.

Toujours aucune réaction.

Fiente de guano, on va pas y passer la nuit, je sais pas combien de temps ça peut durer avant qu'un sniper ne répande ma cervelle par terre... Nom d'un Minitel, va falloir accélérer mon pote !

--- Je compte doucement jusque trois et après je considère que t'as pas écouté. Un...

Allez sale ruffian, aide-moi un peu... Ruffian ? Minitel ? Ça y est, ça me reprend. Je recommence à utiliser les vieilles expressions de Judith. Et elle n'est même pas là pour me corriger quand je mélange tout et que ça n'a plus aucun sens. Je dois être nostalgique à cause de ces malotrus et Cibella...

--- Deux !

Il prend une grande inspiration. Fais pas le con l'ami, je te surveille...  

--- Déposez vos armes ! Nous repartons !

--- Eh bien voilà, on a fini par le trouver ce petit arrangement. Dave, ramène tout le monde, on va dépouiller ces guignols.

Un bon arrangement, mais j'avoue que j'aurais préféré pouvoir leur faire payer autrement... C'est Macarty qui risque d'être déçu. Mais bon, c'est certainement mieux comme ça, et ils en baveront peut-être même plus de rentrer humiliés que de mourir au champ d'honneur.

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