Jane

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la chef des Hommes Libres

201223-003423

Fort heureusement pour nous, retirer un mémo-disque d'un individu est une opération assez complexe (du moins de son vivant). Nous avons ainsi un peu de répit avant de devoir quitter la capitaine, non, pardonnez-moi, la Chef, des Hommes Libres.

Respire. Respire. C'est pas le moment de paniquer. Voilà, c'est ça. Marche tranquillement. Ne laisse rien transparaître. Marche. Et respire.

C'est ça, passe la porte géante. Prend à droite. Passe encore huit couloirs sur la gauche et tu pourras te relâcher.

OK, je respire. Mais putain ! Comme si ça suffisait pas d'avoir peur des Krakenis ! Voilà maintenant des monstres qui arrivent à dos de soleils noirs qui se déplacent aussi vite que mon croiseur. Je pourrai même pas les distancer. Ni arriver sur Taklo avant eux s'ils y vont... Non, non, non, ne panique pas. Respire...

Ça y est. Le couloir. La porte des quartiers. Fermée. Je souffle enfin.

--- Saloperie de galaxie de merde !

--- Un problème chef ?

--- Oui. Un putain de problème. Une nouvelle espèce de monstres vient de se pointer dans l'univers.

--- Ils sont si méchants que ça ?

--- Ils viennent de bousiller la planète mère des Narween sans qu'ils puissent réagir. Ils n'ont même rien vu venir. Ces bestioles ont les équipements les plus perfectionnés de l'univers et ils n'ont rien vu. Un soleil noir de la taille d'une planète et ils ne l'ont pas vu !  Et maintenant... Eh ben personne ne sait où ils sont. Ni ce qu'ils vont faire. Mais je suis prête à parier qu'ils ne rentreront pas chez eux bien gentiment.

--- Ce serait pas les enfoirés qu'on a déjà croisés par hasard ?

--- Non. Justement. C'est ça le problème. On a deux races de tarés prêts à nous bousiller...

Respire. Et réfléchis. Je peux pas attendre ici qu'on se fasse bouffer. Il faut que j'en sache plus sur ces trucs.

--- Allez, on décolle. On part à la chasse aux monstres.

--- OK, mais on va où ?

--- On lance un message à tous les raideurs. Qu'ils sillonnent toute la galaxie entre le système 43 et Taklo. Je veux être sûre de voir venir ces bestioles avant qu'elles se pointent à la maison.  

***

Ils avaient raison. J'avais que moyennement confiance dans cette équipe. Celle qui se fait appeler les Têtes brûlées. Ils appartenaient à Gary, et depuis longtemps. Mais je vois que je me suis trompée. Ils m'ont acceptée eux-aussi. Ils sont prêts à m'obéir. Et ils ne sont pas si mauvais que ça. Ils ont réussi à dénicher les monstres plus vite que je ne le pensais. Quoique si tous les raideurs libres ont suivi mes ordres, il ne devait pas rester beaucoup de systèmes où se planquer.

Les monstres... Le Narween nous avait prévenus. Et il avait été convaincant. Mais je ne m'étais pas imaginée ça. Rien que pour rassembler tous les matériaux pour construire un truc pareil, il nous faudrait un an de raids. Et ils en construisent un deuxième ! Là, au milieu de l'espace.  Le premier a l'air de servir de chantier naval et d'entrepôt. Des centaines de petits engins de fabrication entrent à l'intérieur et ressortent chargés de poutres et de composants divers. Mes vieux réflexes me dictent tout ce qu'il faudrait piller en priorité... Mais mon instinct de survie me dit de me tenir tranquille. Ces constructeurs mobiles ne sont pas petits. Ils paraissent juste minuscules devant la masse noire.

Mon instinct de survie ? Ou ma trouille ? J'en ai marre de me sentir comme ça. Je n'ai jamais eu peur de toute ma vie. Jamais pendant un raid. Jamais en face de tarés dans la rue. Jamais devant Gary. Mais depuis Harry, il ne se passe pas une nuit sans que je me mette à trembler. Et maintenant, ça. Même en plein jour, je me retrouve avec une boule au ventre comme une petite fille.

Je n'ai pas peur qu'ils nous trouvent. Pour rester planqués, on sait y faire. Mais je pense à ce qu'ils feront quand ce nouveau monstre de l'espace sera terminé. Il faut faire quelque chose. Tout le monde autour de moi y pense. Mais quoi ? Je n'ai clairement pas la force de frappe nécessaire pour égratigner ce truc. Personne n'imagine qu'il faut attaquer. Mais personne n'a de meilleure idée. Même Silvio a arrêté de chanter. Ils sont tous dépités.

--- J'ai une idée, avance John depuis son pupitre de navigation.

Tout le monde le regarde plein d'espoir. Mais personne n'y croit vraiment.
Je l'invite à continuer d'une manière qui le montre clairement.  

--- En fait, c'est plutôt une moitié idée... voire juste un début...

--- Accouche mec, s'impatiente Ricco.

--- Bon. Vous voyez ce truc, là ?

Il pointe un petit module au centre de la masse en construction.

--- C'est de là que vient toute la projection, affirme John.

La projection. Ce qui rend le second engin en cours de fabrication aussi visible et effrayant que le premier. Seul un quartier de l'immense sphère est formé. Un agencement de panneaux métalliques. Troué d'ouvertures. Hérissé de tuyaux et câbles laissés encore libres de flotter. Mais déjà aménagé à l'intérieur. On distingue des salles, ou plutôt des hangars en pensant à la taille. Les extrémités sont couvertes de poutrelles et échafaudages. Prêtes à recevoir la suite de l'édifice, comme une prise qu'il suffirait de brancher. Mais tout le reste est déjà matérialisé par un gigantesque hologramme. L'emplacement du moindre pan de blindage, de la moindre cabine, du moindre boulon est projeté avec précision par les lasers de ce petit module. Un guide pour tous les ouvriers et engins semi-automatiques de fabrication. Un monumental schéma tridimensionnel à taille réelle. La promesse d'horreurs sans fin pour nous.
À moins que...

--- À quoi tu penses John ?

--- Ben... je me dis que ce serait quand même con d'avoir ce truc-là juste nos yeux et de pas repartir avec.

--- T'as prévu une soirée disco en rentrant ? s'énerve Ricco.

Tout le monde est tendu, tout le monde a peur. Je ne suis pas la seule. Ce qui n'est pas rassurant.

--- Non, l'inverse. J'imaginais plutôt qu'on arrête de sortir picoler et qu'on analyse les plans de ce foutu engin qui doivent être stockés dans le module projection, répond John un peu irrité.

Faut que je calme le jeu ici. On a déjà assez d'emmerdes comme ça.

--- T'as raison John. On peut pas les arrêter. Mais on va pas rester sans rien faire pour autant. Comment tu comptes t'y prendre pour ramasser ce truc au milieu de toute cette fourmilière ?

--- Justement, c'est pour ça que ce n'est qu'une moitié d'idée...

Je m'en doutais.

--- On pourrait se laisser dériver pour entrer par ici sans se faire remarquer, puis pousser les moteurs à fond pour ressortir par là avant qu'ils ne réagissent, dit Ricco d'une manière soudain bien plus enjouée et en tapotant sur son écran pour faire apparaître la fameuse trajectoire.  

--- J'ai toujours trouvé plus amusant de manipuler le bras robot en pleine course, renchérit Silvio en souriant, ça me donne l'impression d'être un cowboy avec un lasso.

Alors c'est ça son grigri de la Vieille Terre à lui ? Un chapeau et un lasso ? John se lance dans les calculs :

--- OK, si tu nous mets sur cette trajectoire à cette vitesse, on devrait voler tranquillement jusqu'au module en vingt-quatre secondes. Puis, avec les moteurs poussés à fond, on devrait pouvoir ressortir en face en six secondes, et être hors d'atteinte en moins d'une minute.

S'ils ne nous transforment pas en passoire avant...

--- Je n'utiliserai que les propulseurs secondaires, par petits à-coups discrets... réfléchit Ricco. Il ne me faudra pas plus d'une minute pour nous lancer vers le centre de la fourmilière.

Merde. Ils sont sérieux. Ils y croient tous. Pourquoi je n'y crois pas moi ? Avec tous les engins de construction et les matériaux en suspens dans le coin, on devrait pouvoir passer inaperçu. Les moteurs éteints, on ressemblera à un caillou ou un amas de panneaux métalliques de plus. Mais sur une trajectoire inhabituelle quand même. C'est pas vrai ! Qu'est-ce que ça peut être chiant d'avoir la trouille !

--- Refaites vos calculs correctement. On n'a pas le droit à la moindre erreur sur ce coup-là.  

--- Oui chef ! crient-ils en coeur.

Ils ont retrouvé la forme. Pas moi. Pas encore.

--- John, passe-moi les Têtes brûlées. On va voir s'ils ne portent pas leur nom pour rien.

--- Tu veux les envoyer là-dedans ?

L'idée m'a traversé l'esprit. Et ça éviterait de risquer la vie de la seule famille qu'il me reste, mais...

--- Non. Je ne leur fais pas encore assez confiance. Leur donner les plans de la plus grande arme de destruction massive de l'univers ? Très peu pour moi. Mais il nous faut une diversion.

Le regard de John me fait presque culpabiliser. Mais il se détourne rapidement. Il sait que j'ai raison.

--- Yo boss ! Ici les Têtes Brûlées. Contente du poisson qu'on a pêché ?

--- Bien joué les gars, mais on a encore rien pêché du tout. Va falloir se mouiller un peu maintenant.

--- Sérieux ? T'as vu la taille de ce machin-là ?

--- Oui.

--- Tu veux nous faire payer pour Gary ? C'est ça ?

--- Non.

--- Tu sais, notre nom... c'est surtout pour foutre la trouille aux gros riches.

--- J'm'en doutais. T'inquiète pas. On s'occupe du gros poisson. La seule chose que j'vous demande, c'est de rentrer chez votre mère le plus vite possible. Mais en faisant du bruit.

Il ne répond pas tout de suite.

--- C'est marrant mais j'crois m'souvenir que t'avais parlé d'une vitesse de pointe à faire pâlir nos croiseurs dans ton invitation à la chasse...

--- C'est vrai. Mais accroché comme il est à l'autre carcasse ça m'étonnerait qu'il quitte le chantier si vite que ça.

Je sens encore de l'hésitation à travers la radio.

--- Écoute, je force personne. Quoi que vous fassiez, nous on y va. Ce qu'on va choper là-dedans est trop important pour laisser tomber. Mais j'te cache pas que nos chances de l'ramener à la maison dépendent pas mal de vous.

--- OK, OK, t'as gagné. On va leur chauffer les oreilles et mettre la gomme avant de se faire descendre. Mais... qu'est-ce que je dirai aux mecs qui m'demanderont c'que t'allais chercher quand t'es morte ?

Un comique celui-là.

--- T'auras qu'à leur dire d'ouvrir les yeux. J'serai juste derrière toi. Maintenant, préparez-vous. On lance la musique dans trois minutes.

Tout le monde est reparti à son poste. Ricco et John sont en pleine discussion. C'est bien. Ils ont intérêt à être raccord avant de commencer. Allez, juste un petit passage éclair, et on se tire.

--- Mmm mm... et c'est ainsi, que nos braves amis, croyant bien faire, mordirent la poussière...

--- Merde Silvio c'est pas le moment ! Concentre-toi plutôt sur le robot ! T'auras le droit qu'à une seule chance avec ton lasso.  

--- Mm mm mmm... pourtant le brave Silvio, le grand as du robot, avait pris le gros lot, avec son grand lasso...

Putain c'est pas vrai ! Je vais vraiment finir par mourir ici...

--- On y est chef. La séquence de positionnement est préenregistrée. C'est quand tu veux, affirme Ricco.

--- Têtes Brûlées, à vous de jouer. Ricco, donne-leur vingt secondes d'avance et lance la séquence.

C'est le moment de respirer. Respire. Respire. Tout va bien se passer. On va leur piquer leur jouet à ces monstres.

Ouais, c'est ça, on va juste prendre le jouet des mains d'un gros monstre et repartir tranquillement. Comme si de rien n'était. Bien sûr. No problemo comme dirait Harry. Et merde, c'est pas le moment de penser à Harry...

--- C'est parti, annonce Ricco. En douceur.

--- Les monstres ont repéré nos copains, déclare John qui a retrouvé sa voix calme. Mais pas nous. Du moins, j'ai pas l'impression.  

--- Ricco, t'en a encore pour longtemps ?

--- Et... top. Moteurs éteints, en roue libre jusqu'au but. Y'a plus qu'à prier pour que la trajectoire calculée par John soit bonne.

Et que les monstres ne nous repèrent pas Ricco. N'oublie pas ça dans tes prières. J'ai pas l'habitude, mais je crois que je vais prier aussi. Quand on s'approche, ces structures deviennent vraiment énormes...

--- Entrée dans l'hologramme dans trois, deux, un, zéro, décompte Ricco. Silvio, huit secondes avant interception du module.

--- OK, je le vois, dit Silvio d'un air confiant.

Je sens une secousse.

--- Oh ! C'était quoi ça ? John, tu vois quelque chose ?

--- Un débris nous a touché. Adieu la couverture, trois chasseurs foncent sur nous ! Au moins, ils n'osent pas nous allumer avec les canons de la masse noire au milieu du chantier.  

--- Ricco, fonce ! Silvio, tiens-toi prêt avec ton lasso !

Robot. Merde. Peu importe. Je me retrouve collée au siège sous la pression des moteurs. J'aurais dû laisser Silvio s'entraîner au lasso à vitesse maximum plus souvent.

--- Ah ! Le choc avec le débris nous a dévié, on part en vrille ! hurle Ricco.

--- Heureusement, on serait mort sinon ! Ces tarés nous avaient collé deux torpilles au cul !

--- Merde ! crie Silvio dans la radio.

--- Me dis pas que tu l'as loupé !

--- Non, mais le robot a morflé. Il ne tient plus que par la moitié de ses ancrages !

--- Ricco, tu nous stabilises et tu mets la gomme. Silvio, tu pries pour que le robot tienne le coup. On n'a pas le choix. Les autres, on s'accroche. Et on se barre tous d'ici en vitesse !

--- Négatif chef, je ne vais pas prier si je peux faire autre chose de plus excitant.

--- Silvio, qu'est-ce que tu fous ?

--- Laisse-moi juste deux secondes...

Putain, je le retiens celui-là. Il a quand même le don de m'énerver.

--- Je l'ai ! Marchandise sécurisée ! exulte Silvio. Je t'avais bien dit que c'était plus malin de garder un deuxième bras plutôt que de la place dans la cale !

--- Tu nous vanteras tes idées plus tard mec, glapit John, ils reviennent, juste derrière nous, on va avoir du mal à les semer !  

--- Ricco, si t'as une manoeuvre d'évasion en tête, c'est maintenant. T'as carte blanche.

--- Je fais ce que je peux chef...

--- Un chasseur touché. Il s'écrase sur le second. Deux chasseurs en moins, déclare John.

--- Comment c'est arrivé ?

--- On dirait que les Têtes Brûlées portent bien leur nom finalement ! répond John.

--- Yo les amis ! Un petit coup de main ?

--- T'es pas encore chez ta mère toi ?

--- Elle est morte y'a longtemps, t'es la seule qui m'reste.

--- On en reparlera plus tard. Tout le monde se barre, maintenant !

Putain, je me suis vraiment plantée sur ces mecs. Des vrais Hommes Libres. Prêts à tout pour leur liberté.

--- On est hors d'atteinte, annonce Ricco plus serein.

--- Et les Têtes Brûlées ?

--- Juste derrière. Merde. John ?

--- Désolé Jane, ils viennent de se faire descendre.

Non ! C'est pas vrai ! Pas encore !

--- Vitesse de croisière atteinte. Ils ne pourront pas nous rattraper. C'est fini les gars, on rentre au bercail, déclare Ricco.

Non Ricco, ce n'est pas fini. Il y en aura d'autres. D'autres qui mourront par ma faute. Encore et encore. Ça ne s'arrête jamais.

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