Xomi
un diplomate du Royaume de Xilia
201223-013218
Il existe différents types de cibles lorsque l'on pratique l'espionnage (du moins l'ai-je entendu dire) et certains individus semblent tout bonnement faits pour être espionnés tant leur crédulité n'a d'égale que leur naïveté. L'absence de précautions élémentaires les rend alors aussi vulnérables et disposés à être « observés » que de simples animaux domestiques en cage.
Le Conseil se réunit dans une quinzaine de minutes. M'imaginer en train d'y siéger, de réaliser un des rêves les plus fous d'un diplomate, devrait me réjouir au plus haut point et m'emplir de fierté. Mais je ne ressens plus rien de tout cela, rien d'autre qu'un abattement des plus vifs, un écoeurement pour les battements même de mon coeur, une omniprésente absence de toute volonté. Je suis brisé, sans vie, désespéré, apathique, humilié, résigné et incapable de penser, d'agir ou ne serait-ce que de continuer à vivre.
Cela doit nécessairement transparaître sans équivoque dans mon attitude, ma posture, ma nonchalance et mon désintérêt total pour... pour tout, tout simplement. Quiconque a croisé ma route ces derniers jours ne peut l'ignorer. Et pourtant, le Capitaine de l'Arche s'obstine à me parler comme si j'étais encore... quoi ? Comme si j'étais encore un digne représentant du Royaume Xiliain envoyé par le Roi pour sauver la galaxie ? Comme si notre Royaume existait encore ? Comme si notre Roi vivait encore ? Comme si la galaxie pouvait encore être sauvée ? Peut-être qu'elle le peut, du moins en partie... mais le mérite-t-elle ? Peu importe, tous ces discours n'ont tout simplement plus aucun intérêt. Et pourtant...
--- Qu'allez-vous faire Représentant ? me demande le Capitaine.
Il n'abandonne pas. Son désarroi est intense, je le vois, mais sans commune mesure avec le mien. Ou alors, peut-être est-il simplement plus brave et plus digne que moi ? Cela ne fait aucun doute. J'avais pourtant tenté de dissuader le Roi de m'envoyer ici, de le convaincre que je ne pourrais pas être à la hauteur. Nous en avons maintenant la preuve. J'avais raison, mais le savoir aujourd'hui est aussi inutile que déprimant.
--- Représentant ? m'interpelle-t-il encore.
--- Je ne sais pas... Je ne sais plus. Que voulez-vous que je fasse ? Me voici au service de ceux qui ont causé la perte de tout ce que j'aimais. Comment avons-nous pu en arriver là ?
--- La question serait plutôt : que ferons-nous à partir de là ?
Je soupire :
--- Fort juste. Mais trouver une réponse se révèle toujours aussi délicat...
--- C'est justement pour cette raison que j'insiste. La réflexion avant l'action doit rester la règle.
Oui, il insiste. Il tient absolument à faire de moi le nouveau gouverneur de Xilia en attendant que les choses s'éclaircissent au palais. Il n'a pas confiance en Rixo, et refuse de prêter allégeance.
--- Auriez-vous une suggestion ?
Je ne le pense pas, mais il faut que je trouve un moyen de saper son obstination ; chacune de ses questions n'a pour effet que de me rappeler encore et encore à quel point je suis inutile et incompétent.
--- La reprise du pouvoir sur Xilia me paraît primordiale, répond-il comme s'il n'attendait que l'autorisation de parler pour se lancer dans un cours de stratégie militaire. La gros de notre flotte obéit maintenant au traître, mais je reste persuadé qu'un discours juste et sincère saurait les ramener à la raison. Cependant, même dans ces conditions, la présence Seelluss aux portes de Xilia est trop importante pour tenter quoi que ce soit.
Le traître... Rixo. Penser à lui a au moins le mérite de me faire ressentir quelque chose. Rien de très honorable, ni digne d'être exprimé cependant... Le capitaine attend une réaction de ma part.
--- Oui, sur ce point, je vous rejoins, nous ne pouvons rien tenter.
--- Et avec la destruction de la flotte Gromov, ils n'ont plus vraiment de raison de précipiter leur retour ici.
--- Nous voici donc dans une impasse, Capitaine.
Je souffle de lassitude, mais il ne partage pas mon analyse :
--- Ou face à une possible ouverture.
Je relève la tête d'un air faussement intrigué. Je sens qu'il a besoin de me voir jouer la comédie. À défaut de sauver mon peuple, je peux au moins essayer d'atténuer les souffrances d'un compatriote. Il continue :
--- S'ils maintiennent la pression sur nos systèmes, nous ne pouvons rien tenter là-bas, mais nous avons le champ libre ici.
Il faut néanmoins que je calme ses ardeurs pour lui éviter une trop grande déception future :
--- Par la Déesse Dorée ! Vous n'y pensez pas ! Vous imaginez-vous réellement chasser les Seelluss du système et prendre le contrôle de Coreberr si facilement ?
--- Peut-être pas dans l'immédiat, mais nous pourrions jouer un jeu plus subtile.
--- Mais encore ?
--- Nous pourrions gagner leur confiance en suivant leur politique au conseil, tout en travaillant discrètement auprès des autres nations pour les évincer.
--- J'imagine que nous pourrions... si nous disposions d'un diplomate digne de ce nom.
--- C'est la seule idée que j'ai à vous soumettre avec quelque chance de succès. Mais si vous préférez nous lancer dans une bataille ouverte, je ferai tout mon possible pour rallier à notre cause la majorité des commandants de vaisseaux et pour me montrer digne de votre confiance.
--- Non, non. Cette idée me paraît être bonne. En tout cas, bien meilleure que le suicide prémédité que vous évoquez. Simplement... Je ne suis pas sûr... Par exemple, comment comptez-vous répondre aux multiples relances du palais concernant le retour de l'Arche sur Xiril ?
--- Après ce que nous venons de vivre avec les Gromov, les Seelluss ne seront certainement pas contre le fait de profiter de notre appui logistique plus longtemps dans la région. Cela ne devrait pas poser de problème. En revanche, vous devez jouer leur jeu dans la Salle des Sièges en attendant le moment venu. D'ailleurs, sauf votre respect, je crois qu'il est temps de s'y rendre.
--- Oui, bien sûr. De toute manière, je dois avouer que, pour une fois, leur proposition me paraît tout à fait sensée.
***
Tous les émissaires adoptent des postures froides, distantes, dans une atmosphère mitigée. Après l'effervescence de la victoire contre la masse noire, et le revirement d'humeur lié à l'engouement précipité des Gromov pour l'illégalité, ils ne savent plus que penser. Espérons que l'annonce du jour permettra de renouer les liens qui nous ont valu de survivre aux Myrides.
Le Seelluss officiant en tant que Détenteur des Clés s'apprête à prendre la parole. Je me rends compte que je ne connais toujours pas son nom, ni même assez bien leurs coutumes pour savoir si ses congénères ont l'habitude d'en porter. Pour être honnête, je ne suis tout simplement pas capable de savoir si celui-ci est bien le même qu'à la dernière réunion. Son apparence est tout à fait semblable et son filet de voix est bien trop ténu pour en ressortir un timbre permettant de l'identifier. Je vais malgré tout tâcher de l'écouter attentivement et d'en extraire les éventuelles particularités sonores :
--- Chersssamis, commence-t-il sans me permettre de remarquer quoi que ce soit. Nouss avons accompli beaucoup enssemble. Maisaujourd'hui, nous devonss encore faire plusss.
Tous les autres se redressent, inquiets. Ils ne s'attendaient probablement pas à une telle introduction.
--- Je laissse le Représssentant Xoomi vous détailler l'afffaire.
Ils me fixent tous à présent. Le Seelluss est un piètre diplomate, mais il sait ménager son suspens et attirer l'attention où il le souhaite.
--- Merci, cher ami, dis-je en utilisant tout ce qu'il me reste de volonté pour ne pas laisser transparaître ma colère et mon mépris pour cet être. Nous avons effectivement parcouru un long chemin ensemble, mais il semble que les dieux ne soient pas encore prêts à nous accorder le repos.
J'ai toujours éprouvé une certaine amertume à apporter de mauvaises nouvelles, mais pas cette fois. Dans l'état où je suis, cela m’indiffère presque lorsque j'annonce :
--- Un nouvel ennemi terrifiant semble déterminé à coloniser la galaxie.
--- Ben voyons ! Si vous parlez des Gromov, ils ne devraient pas revenir à la charge avant un bon siècle, ricane le Scavelaar.
--- Non, je ne parle pas d'eux. Et un siècle me paraît exagéré. Non, nos informations révèlent une colonisation de la galaxie ayant débuté aux bords derrière les systèmes 15 et 27 et arrivée à ce jour jusqu'aux systèmes 7, 23 et 34.
--- Ces systèmes sont vides, les envahir ne représente aucune difficulté, je ne vois pas ce qui vous inquiète tant, reprend le Scavelaar pour se redonner une contenance.
--- Ce qui inquiète, précisément, est la vitesse à laquelle cette invasion de tout un pan de la galaxie s'est déroulée. Les Krakenis, ainsi qu'ils semblent se nommer eux-mêmes, paraissent vouloir engloutir l'univers avec un appétit hors norme. Qui plus est, un certain nombre de rapports font état d'une agressivité peu commune et de redoutables techniques de combat, aussi bien au sol que dans l'espace.
Voilà, ils commencent tous à prendre la mesure des choses, et à effectivement réfléchir, dans le calme le plus plat. Seule la représentante des Hommes Libres s'agite, jetant des regards vers tous les autres, ou même vers les coins vides de la salle, comme prise d'une panique soudaine.
--- Je ne vous crois pas, déclare posément le nouveau représentant de la Fédération, un homme droit, peu aimable et affublé d'un bandage sur la tête, celui-là même qui semble être à l'origine de la colère Gromov.
Je m'apprête à argumenter lorsque la femme agitée prend la parole :
--- Vous devriez, se contente-t-elle de dire.
Il la regarde longuement d'un air suspicieux, puis finit par se renfrogner. Un simple mot de la part d'une de ses ennemis historiques aurait suffit à le convaincre. Peut-être que les rumeurs sur leur connivence dans l'assassinat de Korqnev sont fondées après tout.
--- Pourriez-vous être plus précis je vous prie ? Parlons-nous de techniques de combat ou de technologies ? s'enquit le Narween.
--- Le peu d'informations dont nous disposons ne permettent pas d'atteindre ce niveau de précision, mais il semblerait bien qu'il s'agisse de techniques. Des témoignages attestent qu'au sol ces êtres réellement affamés n'hésitent pas à dévorer leurs proies. Quant à leurs vaisseaux, d'autres sources indiquent qu'en cas de tournure du combat en leur défaveur, ils n'hésitent pas à se sacrifier, générant une explosion capable de détruire tout autre belligérant à proximité.
L'officier de la Fédération jette un regard vers la femme, maintenant devenue muette et au teint de plus en plus pâle, avant de reprendre la parole :
--- Si l'ennemi détient l'avantage de la force et de la technique ou de la technologie, il ne nous reste plus que la stratégie. Si ce que vous dites est vrai, nous nous casserons les dents sur le front de l'invasion. Notre seule chance consiste à contourner cette avancée pour les prendre à revers. Vos amis Seelluss devraient pouvoir plier l'espace pour nous permettre cette petite intrusion en territoire ennemi.
Mes amis Seelluss... J'éprouve les plus grandes difficultés à conserver mon calme. Hereusement, mon ami intervient :
--- Non. Nous ne... pouvons pas. Les plis sssont... bien trop vissibles. Nous perdrions l'efffet de ssurprise et l'avantage tactique. Il ffaudrait quelque chosse de plus... disscret.
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