Etre utile pour être aimé ?

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Je suis seul. J'ai froid. Je n'en peux plus de ce vent. Et ce bruit incessant, non... vraiment, je n'en peux plus. Depuis combien de temps suis-je ici ? Je n'en ai aucune idée. J'en ai vu des journées défiler. De l'aube au crépuscule, d'une saison à une autre. J'ai perdu de ma couleur qui était si vive, je me souviens. Je suis également un peu usé, mais... ce n'est rien, n'est-ce-pas ? Oui, il est loin le jour où l'on m'a déposé ici. J'étais tellement heureux de sortir enfin de ce carton. De sentir la chaleur du soleil me réchauffer, de voir toutes ces couleurs comme une douce mélodie. Mais surtout, on me voyait ! On me cherchait même ! De la première boisson chaude du matin à la dernière bière du soir, on avait besoin de moi. C'était tellement merveilleux ! Mais aujourd'hui, je sens bien que je ne suis plus indispensable. On me délaisse. On m'évite même parfois. J'essaie de passer le temps, comme je peux. Je regarde les gens défiler d'un pas souvent préssé, je leur imagine une destination, un but, une vie. Pourquoi cette jeune femme pleure-t-elle ? N'y a-t-il personne pour la soutenir ? Peut-être qu'elle espère qu'une épaule amicale soit disposée à l'écouter ? Pourquoi cet enfant marche-t-il en ayant les épaules si péniblement baissées ? On dirait qu'il y porte le poids du monde. N'y a-t-il personne pour le délester de cet excédent de nuages noirs qui obscurcissent ses pensées ? Peut-être qu'il espère simplement que ses parents l'entendront, enfin. Et ce groupe d'amis là-bas, pourquoi se disputent-ils ?

Tiens ! Enfin de la compagnie ! Un couple s'assoit près de moi. Ils sourient. Cela me fait frissonner. Pas par peur, ni crainte, non, c'est tout autre chose. Je ne suis plus seul, et je n'ai plus froid même si je sens encore quelques bourrasques se heurter contre moi. Laissez-moi vous observer ! Vos regards échangés sont si profonds, intenses, que je m'en délecte. Vous êtes beaux, vous êtes heureux. Me remarquerez-vous ? Je suis là, avec vous à cette terrasse ! Allez-vous avoir besoin de moi ? Je peux être utile vous savez. Vous buvez vos cafés, vous riez à ces mots que vous vous échangez. Je me nourris de ces sons si merveilleux mais déjà je vous vois vous lever. Vous partez. Non ! Ne me laissez pas ici ! Je me ferai tout petit, c'est promis ! Mais vous avancez sans un regard vers moi, vous tournez à droite, vous n'êtes plus là.

Je suis seul. J'ai froid. Je ne regarde plus autour de moi. J'attends simplement que le temps passe. Que les lumières s'éteignent. Qu'on me rentre. Qu'on me lave, peut-être... je serai enfin au chaud pour la nuit, en attendant qu'une autre journée recommence, seul.

Mais que se passe-t-il donc ? Je m'envole ! Mais non, on vient de me subtiliser et de me fourrer dans une poche ! Là, comme ça, sans prévenir ! Mais monsieur ! Reposez-moi voyons ! Vous n'avez pas le droit de m'emmener ainsi ! Où allons-nous ? Allez-vous me jeter dans une des ces poubelles nauséabondes au coin de la rue ? J'entends de drôles de bruits au loin. Il semblerait qu'on se déplace mais je ne sens plus le mouvement des pas. C'est un peu comme si nous glissions sur du métal. Une sorte de ronronnement interrompu par des pauses avec un son très aigu avant de repartir. C'est une étrange sensation. Au bout d'un moment, je finis par me sentir bien, calfeutré dans ce petit endroit douillet. J'ai toujours un peu peur, mais au moins je suis bien installé. Ah, voilà que la marche reprend. Que va-t-on faire de moi ? À l'instant où j'allais me résigner à rester dans ce nid indéfiniment, voilà qu'on me reprend pour me faire découvrir un nouveau lieu.

Nous devons être chez lui. La température est agréable ici, pas comme au bar. Une musique un peu ringarde résonne depuis la pièce d'à côté. Puis, à ma grande surprise, cet homme me regarde. Oui, c'est bien moi qu'il regarde ! Et il me sourit ! Et comme par enchantement, je n'ai plus peur. Je n'ai plus froid. Je ne suis plus seul. Il me tourne et me retourne dans ses mains légèrement calleuses. Puis, il m'emporte. Me donne un bain, me frotte comme pendant ma jeunesse. J'ai de la mousse partout, ça me chatouille, je ris de plaisir. À la fin, il me fait même briller avec un doux tissu. Je me délecte de ce massage si délicat. Je sens bon, je ne me souvenais même pas que cela était possible. Et je semble même moins terne. Est-ce pour cela qu'on ne me regardait plus ? Nous avançons, puis il me dépose, en hauteur, et continue à me sourire. Ne me laisse pas l'ami ! Nous sommes amis, n'est-ce-pas ? Et à ma grande surprise, il me parle. Bonjour ! Bienvenue chez toi ! Je prendrai bien soin de toi, tout comme je le fais avec tes amis, c'est promis. Et là, je regarde autour de moi. Est-ce réel ? Je n'arrive pas à y croire ! Je vois des dizaines, non plutôt des centaines de mes cousins ! Ils se mettent à parler tous en même temps. Dans ce brouhaha j'entends "bienvenu" par ci, "comment ça va" par là. Ils sont de toutes les couleurs, de toutes les formes, de toutes les tailles. "Nous sommes une collection" me disent-ils en cœur. Je n'arrive pas vraiment à réaliser. Je pensais ne plus jamais être utile. Je pensais être trop usé. Je pensais être devenu inutile. Mais il a suffi que cet homme me voit vraiment pour qu'enfin je ne sois plus ignoré. J'ai une famille maintenant. Une grande et superbe famille.

Je ne serai plus jamais seul. Je n'aurai plus jamais froid. Je ne suis peut-être qu'un vieux cendrier inutile, mais je suis aimé.

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