Chapitre 2 - Le couloir de la mort
Chapitre 2 - Le couloir de la mort
Traversant la chaussée, j'entrai dans la grande rue piétonne. Elle s’étendait sur presque tout le centre ville, jonchée de ses grands réverbères qui me montraient le chemin, l'axe principal me menant directement à ma destination au bout d'un kilomètre de marche environ. Même le chemin semblait me retenir, ses pavés abîmés et difformes menaçaient de me faire tomber tant j'étais distrait. Mon corps me guidait tout droit vers sa maison tandis mon esprit fuyait dans l'autre sens, le plus loin possible pour ne pas assister à mon fardeau journalier. Mon esprit s'en allait loin dans le ciel nuageux de la ville. Au dessus des toits et des cheminées, loin de toute trace de chaleur ou de compagnie humaine. Il avait laissé mon corps là en bas, seul dans la nuit.
Cela ne m’empêchait pas de continuer le chemin et j'avançais malheureusement trop vite à mon goût. J'arrivais à un tournant, j'entrai dans la rue des bars, comme j'avais l'habitude de l’appeler. En effet ici dans la douce nuit de la ville, trois bars se tenaient côte à côte. Le premier était moderne, ses murs blancs fraîchement peints pouvaient en attester. J'entendais à peine la musique venant de l'intérieur, les portes étant fermées, seul la lumière s'échappant de la fenêtre m'indiquait la présence de quelques personnes. Le deuxième bar était déjà plus accueillant, c'était le plus grand des trois, et sans aucun doute le plus bondé. Les clients étaient tant dehors que dedans. Les quelques fumeurs sur la terrasse me regardaient passer du coin de l’œil, sans pour autant me prêter grand intérêt. Ils étaient protégés sous la lumière de l'enseigne et par la chaleur réconfortante de l'alcool.
C'est sur le troisième et dernier bar de la rue que je portais mon regard, il était installé à l'angle, marquant la fin de ce passage de chaleur et de lumière au milieu de la nuit froide de la ville. Ce bar était d'architecture et de décoration ancienne, je voyais très bien à travers ses vitres à carreaux l'intérieur du bâtiment. Les meubles tout en bois et les poutres m’évoquaient un style de pub anglais. Cette décoration et les gens joyeusement arrosés et rieurs me donnaient une envie irrépressible de courir m'y chercher une pinte et de noyer ma folie dans l'alcool. Bien que je rêvais de me jeter dans ce bar pour quitter ma marche funèbre, mon corps me trahissait en continuant son inarrêtable parcours et je crois bien que mon esprit n'étais plus là, ou du moins plus assez fort pour l'en empêcher.
C'est ainsi que je quittais cette rue, qui était tel un îlot au milieu de l'océan sauvage, un endroit de salut avant la perdition. J'entamais alors la dernière rue avant sa maison, le lieu tant redouté, à la fois à cause de celle qui le garde et de son atmosphère emplie d'un trop plein de bonheur. Le pont qui enjambait le canal était le dernier rempart avant la confrontation. Au bout d'une quinzaine de minutes à marcher seul dans les rues de la ville j'étais arrivé là. Comme chaque soir de la semaine, c'était ma messe obligatoire de minuits, j'entrais dans la cour du bâtiment, en retrait de la petite ruelle qui passait par là. A peine arrivé, la lumière automatique de l'escalier extérieur me démasquait et annonçait ma venue. Elle me découvrait de mon manteau d'obscurité pour me laisser là, nu face à ma réalité. D'un pas lourd mais décidé je grimpai alors à l'escalier, avalant ma dernière goutte de salive au fond de ma bouche en espérant qu'elle ait un goût de bière réconfortant, mais seul un goût amer et sec dégringola dans ma gorge. Je n'avais plus le choix. J’appuyai sur la sonnette de son appartement, attendant le bruit grave qui déclenchait l'ouverture de la porte. Le bruit retentit dans tout mon corps tel un électrochoc qui me secouait et me fis alors ouvrir la porte. Je n'entendais plus rien, ni le vent calme de la nuit, ni les rires des ivrognes des bars ni le doux ruissellement de l'eau du canal. Rien, je n'entendais plus rien. J'étais là ébloui par la lumière, au milieu du couloir, il y faisait chaud et une odeur de lavande parfumait l'endroit. C'est alors que je l'entendis, le dernier bruit avant ma sentence, "clac", elle venait de déverrouiller sa porte. Je montai les quelques marches me séparant du pas de la porte et entrai dans l'appartement sans même dire un mot.
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