01. Embauché, déjà saoulé

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Alexei

— Alexei, il y a un monsieur à l’accueil pour toi, minaude Christine à mon intention.

— Un monsieur ? Il me veut quoi ?

— Je ne sais pas. Il demande à te voir, me répond la jeune femme en venant me bécoter.

Je soupire. Il va falloir que je me lève alors que je serais bien resté encore un peu dans ce lit avec la jeune serveuse qui agrémente mes nuits depuis quelques jours. D’ailleurs, je la retiens avant qu’elle ne reparte et je l’attire contre moi en lui mettant la main aux fesses. Elle se colle à moi et répond à mon baiser, pleine d’envie de reprendre nos ébats de la nuit dernière.

— Alexei, on n’a pas le temps, là… soupire-t-elle, clairement frustrée.

Elle me repousse gentiment et je la regarde partir avec regrets. Il va falloir que j’applique ma règle rapidement et que je la quitte. Elle s’attache déjà trop à moi alors que je ne veux que des relations sans sentiments. Et sans complications. Dommage, j’aimais bien son petit cul. Je m’habille rapidement en enfilant un short et un tee-shirt et descends voir qui vient m’importuner ici, directement dans le restaurant où je travaille en ce moment. J’y retrouve un homme d’une cinquantaine d’années, un peu bedonnant et grisonnant. A part un magnifique regard vert, j’ai l’impression d’avoir affaire à un marchand d’antiquités ou à un vieux libraire, abîmé par la vie et sans consistance.

— Vous me cherchez, il paraît ?

— Vous êtes Alexei Lioubov ?

— Oui, c’est moi, qui me demande ?

Je suis suspicieux. Peu de monde connaît mon vrai nom, j’essaie de rester discret à ce sujet, et encore moins de personnes savent où me trouver. Il n’a pas l’air d’un flic, en tous cas, je les sens des kilomètres à la ronde, eux.

— C’est Dimitri qui m’a dit que vous pourriez m’aider. Il a dit que vous étiez l’homme de la situation et que vous pourriez remplir la mission que je vais vous donner.

Dimitri. Cela fait plusieurs années que je n’avais pas entendu parler de lui. Et voilà que tout à coup, son nom ressurgit. Un nom du passé. Un nom que je voulais oublier. Comment cet homme en face de moi en est arrivé à le contacter ? Il ne ressemble aucunement aux clients habituels de l’homme d’affaires russe qui l’a orienté vers moi.

— Vous voulez que je fasse quoi pour vous ? Vous payez combien ?

— Votre prix sera le mien. J’ai besoin qu’on surveille mes affaires de l’intérieur.

— Vos affaires ? Je ne sais pas ce que Dimitri vous a dit, mais je ne fais rien d’illégal, moi.

— Il n’y a rien d’illégal là-dedans. Mon imbécile de nièce a repris le restaurant de mon frère et je détiens la moitié des parts. Je n’y connais rien en cuisine, j’ai besoin de savoir ce qu’elle vaut et comment ça se passe, voire peut-être de la faire galérer pour qu’elle daigne me vendre ses parts.

Je comprends pourquoi Dimitri a pensé à moi. Le milieu des restaurants, je connais. Déjà quand j’habitais à Moscou… Non, je ne vais pas repenser à tout ça, c’est encore trop douloureux. Par contre, je ne comprends pas comment cet homme a pu se retrouver mêlé à un parrain de la mafia russe.

— Comment vous connaissez Dimitri ?

— Peu importe, l’essentiel c’est qu’à présent vous et moi nous connaissons. Je suis prêt à y mettre le prix, je veux ce restaurant.

— Ça ne m’intéresse pas alors. J’aime pas les gens qui jouent pas franc jeu avec moi. Soit tu me dis comment tu connais Dimitri, soit tu te casses.

Je m’énerve un peu, mais je sais que je ne veux pas tomber dans un piège. Et cette histoire, pour l’instant, n’est pas claire pour moi. Et quand ce n’est pas clair, je ne m’engage pas, un point c’est tout.

— J’ai vécu quelques années en Russie. Lui et moi avons sympathisé, soupire-t-il. Appelez-le si vous voulez tout savoir. C’est moi qui lui ai présenté sa deuxième femme.

— Ok. Donc, je surveille, je fais galérer et je vous rends des comptes ? C'est tout ?

— C’est déjà pas mal, elle est coriace, la gamine.

— La gamine ? Votre nièce ? Pourquoi vous ne lui laissez pas sa chance ?

Je ne peux m'empêcher d'être un peu curieux. Je ne comprends pas pourquoi ce type en veut autant à quelqu'un de sa famille. Juste l'appât du gain ?

— Mon frère m’avait promis de me léguer son restaurant, jusqu’à ce qu’il voit un putain d’article dans le journal sur le Truck pourri de sa fille. Il m’a volé la femme que j’aimais, et aujourd’hui il m’a trahi une nouvelle fois en me faisant partager les parts. Ce restaurant peut devenir un grand dans la région, viser des étoiles, mais avec cette petite peste, aucune chance, s’énerve-t-il.

— Je vois. C'est bon pour moi. Je peux commencer demain. Vous me donnez l'adresse et on s'y retrouve demain dans la matinée ?

— Parfait, dit-il avec un sourire satisfait. J’espère que vous avez le cœur bien accroché, c’est une sacrée emmerdeuse !

S'il savait… Je n'ai pas de cœur. Il a été brisé et rien ne pourra jamais le réparer. Si j'accepte sa proposition, c'est juste que ça me donne une excuse pour rompre proprement avec Christine. Et qui sait ? Peut-être que je pourrais me faire la petite emmerdeuse ?

— Une dernière chose. J'y vais en tant que serveur ? L'hébergement est prévu ?

— Oui, un poste vient de se libérer. Et il y a un appartement disponible au-dessus, mitoyen au sien.

— Encore mieux pour la surveiller. Je veux une avance de cinq cents euros demain matin.

— Entendu, dit-il en me tendant sa carte de visite. Ravi de faire affaire avec vous, Alexei.

Le lendemain matin, après une dernière nuit où Christine a subi ma fougue et mon excitation, je la laisse au lit et me rends bien en avance au lieu de rendez-vous. J'aime prendre le temps de repérer les endroits où j'interviens. Et je ne suis pas déçu de ce que je découvre. Je comprends pourquoi celui qui m'a recruté tient à ce restaurant.

Je suis sur la plage et j'observe le bâtiment entouré de trois côtés par la mer. La terrasse est bien orientée et semble bénéficier de l'ensoleillement toute la journée. D'où je suis, je vois les parasols refermés autour des tables et bancs en bois. Pas de plastique ni de faute de goût dans cet extérieur. Tout a été réfléchi, ça se voit.

Le bâtiment en lui-même est à la fois imposant mais a un certain cachet. Pas de grosse affiche criarde avec le nom, mais les lettres du nom du restau se détachent par leur côté coloré sur la toiture bleutée de cette bâtisse au charme typique de la région. Des guirlandes colorées définissent le chemin qui mène à la porte d’entrée, les mêmes que celles qui traversent la terrasse à l’arrière.

J'essaie de m'approcher un peu et je constate qu'il y a un chemin qui mène directement au port. Un des voiliers porte d'ailleurs le même nom que le restaurant. Je me demande si l'ancien propriétaire faisait de la voile ou s'il louait tout simplement le bateau à ses clients.

La première impression que j'ai, en tous cas, est très positive. L'emplacement près du centre ville au bord de la mer est idéal et je ne comprends pas comment la nouvelle proprio n'arrive pas à en faire une affaire florissante. J'ai l'impression d'être de retour au bord de la mer de Crimée et je me perds quelques instants dans mes souvenirs, bercé par le bruit des vagues.

A dix heures, comme prévu, je me gare dans le parking du restaurant. Il y a de la place pour une bonne trentaine de voitures, ce qui est vraiment bien vu la localisation, et je pénètre dans le bâtiment, le sac avec mes affaires en bandoulière. Dans la pénombre de l'entrée, je peine à distinguer les détails de la grande salle et, alors que je cligne des yeux pour m'habituer au manque de lumière, une jeune femme me rentre dedans. Je jure et me retourne vers elle pour lui reprocher sa maladresse.

— Vous pourriez pas faire un peu attention ? J'espère que ce n'est pas comme ça que vous accueillez tous vos clients !

Je la dévisage alors. Elle a l'air toute jeune, dans la vingtaine assurément. Un petit mètre soixante-dix, sans doute, brune, des yeux verts émeraude, et des formes généreuses à souhait, bien mises en valeur par une petite robe blanche d’été, nouée sur sa nuque. Elle m’observe une seconde, prenant elle aussi le temps de détailler la marchandise, avant que ses traits ne marquent un certain agacement.

— Je vous demande pardon ? Le restaurant n’est pas encore ouvert. Vous êtes qui, d’abord ? Je peux savoir en quel honneur vous vous permettez d’entrer ici comme si vous étiez chez vous ?

— Excusez-moi. Je suis venu voir votre patronne. Je vais venir travailler ici et nous allons être collègues, dis-je en souriant, énervé en même temps que l'on puisse tout de suite se rendre compte de mon léger accent que j'ai du mal à dissimuler.

— Je suis la patronne, et je suis quasi certaine de ne pas avoir embauché qui que ce soit, rétorque-t-elle en mettant ses poings sur ses hanches.

J’ouvre grand les yeux. Non pas parce qu’elle met bien en avant sa poitrine et sa cambrure avec cette posture, mais bien parce que je croyais m’adresser à une serveuse et non à la propriétaire du restaurant. Je la dévisage un moment, ne sachant quoi lui dire et lui répondre.

— C’est votre oncle qui m’a dit de venir ici aujourd’hui, pour le poste de serveur. Je pensais qu’il vous avait prévenue, dis-je tout doucement, incertain de la conduite à tenir face à elle.

— Bah voyons, quel foutu co… Pardon, heu… D’où vous le connaissez, au juste ? Et pourquoi est-ce que l’on devrait vous embaucher ? C’est lui qui vous a proposé le job ? Ou vous qui avez demandé ? C’est quoi son objectif, vous êtes un espion, c’est ça ? débite-t-elle, clairement exaspérée.

— Euh… Moi, je suis juste venu vous donner un coup de main, j’avais besoin d’un travail et on m’a dit de venir. Je repars si vous n’avez pas besoin de moi.

La demoiselle m’observe un moment, suspicieuse, avant de soupirer et de me contourner pour allumer la lumière de la pièce.

— Voilà le restaurant. J’ai besoin d’un serveur en salle pour au moins quinze jours, mon imbécile de pote a oublié qu’il y avait une marche entre l’intérieur et la terrasse, il s’est foulé la cheville. Donc, faites attention à la marche, dit-elle en avançant dans la pièce. Je vais demander à Sonia de vous montrer tout ce qu’il faut, je dois filer en cuisine. Suivez-moi, n’attendez pas planté là, voyons !

Je n’ai pas le temps d’en placer une. J’ai l’impression qu’après m’avoir rejeté, elle a accepté mon embauche. Je me demande bien où est son oncle d’ailleurs, et pourquoi il ne l’a pas prévenue. Bref, elle va me saouler, je pense, mais j’ai besoin de ce boulot, alors je ne dis rien et la suis en silence jusqu’à la cuisine où je me permets enfin de reprendre la parole.

— Ça veut dire que je suis embauché ?

— Non non, je vous offre une visite touristique gratos, voyons. La cuisine ! Pas le temps de s’y arrêter, dit-elle en ouvrant une autre porte, le magnifique couloir, la porte de mon bureau, et celle de la salle pour vous changer, aussi appelée inutilement la salle de repos. Quelle taille ?

— XL, et on m’a promis une chambre aussi, me dépêché-je de dire alors qu’elle m’offre l’occasion de caser un mot.

— Merci, quand je lui ai posé la question, le dernier m’a donné la taille de sa qu…, commence-t-elle avant de se tourner brusquement vers moi. Pardon ? Une chambre ?

— Ben oui, je ne vais pas dormir sur la plage, non plus ? Votre oncle m’a dit qu’il y en avait une à l’étage. Si vous me laissez y aller, je pourrai déposer mes affaires et commencer à travailler tout de suite.

— Oh le foutu enfoiré, il va m’entendre celui-là, bougonne-t-elle en entrant dans la pièce que je crois être son bureau, si j’ai bien tout suivi de sa présentation.

Je m’apprête à la suivre mais elle ressort comme une flèche, attrape ma main et y dépose brusquement une clé.

— Vous sortez par la porte, là, montez les marches. C’est la porte de droite. Je vous préviens, la salle de bain est commune. Si vous entrez dans mon appartement, je vous coupe votre service trois pièces.

Cette femme est vraiment un phénomène. Pas moyen d’en placer une. Une vraie furie. Elle a l’air si jeune pourtant, mais elle sait ce qu’elle veut et moi, je me dis que ça va être difficile de supporter ce moulin à paroles.

— Parfait, Malychka. Vous êtes toujours aussi speed ?

— Non, quand je dors, je le suis beaucoup moins. Ou au réveil. Je vous déconseille la musique à fond le matin, d’ailleurs, soupire-t-elle avant de souffler un coup et de me tendre la main. Je m’appelle Clémentine, enchantée.

— Moi, c’est Alexei.

Je lui tends la main et la serre doucement. Nos regards se croisent et j’apprécie le silence qui s’est installé entre nous. Un peu de calme qui laisse du temps à mon cerveau pour réfléchir à la suite des événements. Et je sens qu’il va falloir que je profite de toutes ces trop rares pauses si je ne veux pas devenir fou.

— Ah, vous êtes là ! vient nous interrompre son oncle qui débarque enfin. Je vois que vous avez fait connaissance !

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