34. L'écolière, la Cuisinière et Papa-Thor

8 minutes de lecture

Clémentine

— J’ai l’impression que tu es meilleure de minute en minute, Lisa.

Je jette un œil à son cahier de dictée et constate qu’elle s’en sort plutôt bien pour une étrangère dans une classe française. Bon, il y a encore du travail, mais elle n’est ici que depuis une semaine et elle s’applique énormément sur ses devoirs. Lisa diversifie son vocabulaire, s’applique à parler français. Alexei ne lui parle quasiment plus qu’en français d’ailleurs, même s’il repasse en russe quand tous deux ne se comprennent plus.

Lisa prend ses marques ici, et elle semble s’y plaire. Je crois qu’elle s’attache à moi, et c’est plus que réciproque. Cette gosse est tout simplement adorable. Une crème, douce et souriante. Enfin, quand elle ne pleure pas. C’est un peu compliqué tout de même. Je me suis découverte maternelle et protectrice. J’ai déjà envie d’étrangler le sale gamin qui l’a embêtée à l’école. Bon, ok, pas vraiment l’étrangler, mais j’irais bien dire deux mots aux parents qui l’éduquent.

Je dépose délicatement mes blancs en neige dans le chocolat fondu et m’empare de la maryse pour les incorporer. Lisa soupire lourdement, installée sur le tabouret à mes côtés, le nez sur son cahier.

— Tu devrais faire une pause, tu sais ? Je ne le dirai pas à ton père, promis !

— Je dois travailler. Pour bien parler français.

— Tu dois aussi reposer ton cerveau, ça fait une heure que tu es là-dessus, c’est normal d’arrêter un peu, tu seras plus… efficace ? Enfin, tu y arriveras mieux après, j’en suis sûre.

Je m’impressionne moi-même, quand je parle à Lisa. Finie la folle qui parle plus vite que son ombre, je prends le temps. Bon, ok, parfois, les vieilles habitudes ont la vie dure, et j’ai bien vu à sa tête qu’elle me prenait pour une dingue en cuisine, quand elle passe alors que nous sommes en plein service. Mais je prends garde à mon débit et mon articulation en sa présence.

— Allez, ferme ce cahier cinq minutes et viens m’aider, tu veux ?

— Je peux t’aider ? Vraiment ? Tu veux que je fais quoi ?

— On dit “Tu veux que je fasse quoi ?”. Je sais, c’est compliqué, le français, ris-je en fermant moi-même son cahier. J’ai besoin d’aide pour décorer les cupcakes.

Je récupère le nécessaire pour décorer les gâteaux dans un placard et la crème au beurre avant de tout déposer sur le plan de travail. Je ne peux m’empêcher de faire la comparaison avec ma propre expérience dans cette cuisine, quand je venais avec ma mère pour pâtisser. C’était toujours un bonheur de venir cuisiner avec elle. Je passais des heures à décorer des gâteaux avec elle.

— Ce qu’il y a de bien avec les cupcakes, c’est que tu peux t’amuser à tous les décorer différemment, dis-je en récupérant la poche de crème au beurre que j’ai colorée en bleu pour recouvrir un premier gâteau. Et ensuite, tu y ajoutes des petites décos. Ce que tu veux, j’ai acheté plein de choses, fais-toi plaisir.

— C’est comme avec maman, dit-elle en m’adressant un sourire.

— Moi aussi, je faisais ça avec ma maman quand j’étais enfant. Mes meilleurs moments en cuisine, souris-je en lui tendant une poche. Mais je comprendrais si tu ne veux pas le faire avec moi, je ne t’oblige à rien.

— Si, je veux le faire. Mais c’est quoi ce truc ?

Elle a l’air de ne pas savoir ce que c’est que la poche que j’ai dans les mains. Je la glisse entre les siennes et récupère un gâteau que je dépose devant elle, puis la guide pour presser la poche à douille et faire une jolie spirale sur le cupcake.

— Ça, c’est pour la crème au beurre. Avec ça, tu peux faire plein de choses, mais ici, l’idée c’est de monter la crème doucement pour que ton père en ait sur le nez quand il croquera dedans.

— Je vais en mettre beaucoup alors !

— Tu as raison, ce sera plus rigolo, ris-je en parsemant la crème de petites boules de sucre colorées.

— Et toi, tu viendras lui prendre avec des bisous !

— Peut-être bien. Ou alors on le mettra tout habillé sous la douche, faut voir. Ça peut être drôle aussi.

— Faut pas abîmer ses habits, sinon on n’aura plus de sous !

— Ils seront juste mouillés, pas abîmés, promis. Et puis… De la crème sur le nez, c’est drôle, non ? lui demandé-je en plongeant mon doigt dans la crème au beurre du cupcake pour lui en mettre sur le nez.

— Clem, c’est toi qui es drôle, me répond-elle en léchant la crème.

— Sans doute ! Tu le diras à ton père, parce qu’il ne rit pas toujours, lui !

— Il l’était avant que mama…

Je ne sais pas trop quoi répondre à Lisa, pour le coup. Je comprends, mon père aussi a été très affecté par la mort de ma mère. Enfin, les circonstances étaient bien différentes. Pour autant, j’ai vu ses sourires tristes, ses yeux fatigués, malheureux, son caractère s’assombrir. C’est après la mort de ma mère qu’il a commencé à vouloir à tout prix m’apprendre tout ce qu’il savait de la cuisine.

— Je comprends. Ça rend malheureux de perdre quelqu’un qu’on aime.

— Toi aussi tu as perdu quelqu’un que tu aimes ?

— Ma maman, il y a longtemps, et puis mon papa, cette année… Alors je comprends très bien que ton père et toi soyez tristes.

— Oh Clem…. Je suis contente d’être là !

Elle vient se lover contre mon corps et m’enlace dans ses bras, sa tête contre mon ventre. Je la serre contre moi alors que je remarque Alex à la porte, en train de nous observer.

— Moi aussi, je suis contente que vous soyez là, ton père et toi. J'ai l'impression d'avoir à nouveau une famille, ça fait du bien…

— Je peux venir aussi pour le câlin ? Ou c’est un truc de filles ? demande Alexei en souriant.

— Hum… je ne sais pas. Je crois qu'on ne dit pas non à un câlin de Papa-Thor.

— Papa-Thor ? C’est quoi ça, demande Lisa en ouvrant de grands yeux.

— C'est ton père ! Thor c'est un grand et beau super héros, je te montrerai une photo, tu verras.

— Et si on arrêtait un peu de travailler et qu’on allait sur la plage ? On a le temps de profiter un peu avant le service du soir. Ça vous tente ?

— Pourquoi pas, mais tu as parlé de câlin quand même, je crois.

— Ah oui, le câlin, je pensais que j’en étais privé car je n’avais pas été sage.

Alexei vient s’asseoir près de moi et nous enserre toutes les deux dans ses grands bras puissants à l’abri desquels j’ai l’impression que rien ne peut arriver. Un pur délice dont j'ai peur de ne plus pouvoir me passer.

— Une petite baignade alors ?

— Mon maillot est dans la machine, dit Lisa tout timidement.

— On va se débrouiller. Je te proposerais bien un maillot à moi mais, clairement, tu nagerais dedans, vu comme je suis grosse, ris-je.

— Quand je serai vieille comme toi, je veux être belle comme toi ! répond-elle candidement.

— Eh, je ne suis pas vieille, bougonné-je en lui chatouillant les flancs.

Alexei me dépose un petit bisou avant de se lever pour aller enfiler son maillot. Je prends le temps de ranger la cuisine et récupère le cahier de Lisa qui avait déjà replongé son nez dedans.

— Stop les devoirs, on va se baigner, ma belle.

Nous montons toutes les deux aux appartements pour nous changer et je retrouve Alexei dans la cour, paré d'un short de bain fleuri, en contradiction totale avec son côté froid naturel. Il prend le temps de me détailler comme j'aime tant le voir faire, même s'il m'a déjà vue plusieurs fois ainsi vêtue.

— Range-moi ces yeux baladeurs, beau blond.

— Je peux les ranger sous le maillot ?

— Je préfère quand ce sont tes mains qui sont sous mon maillot, murmuré-je à son oreille avant de déposer un baiser sur sa joue.

— On laisse Lisa faire ses devoirs et on va à la plage juste toi et moi ? me susurre-t-il, coquin, alors que ses mains se posent sur mes fesses.

— Père indigne, ris-je. Tu vas aller te rafraîchir les idées dans la Manche, ça va te calmer.

Alex éclate d’un rire franc et fort, chose qu’il ne fait pas souvent et qui me permet d’apercevoir, l’espace d’un trop bref instant, la joie de vivre qui peut exister chez lui.

Il n'y a personne à la plage lorsque nous y descendons, et, au contraire de mon restaurant, voilà bien un endroit où j'apprécie ne pas voir de touristes. Lisa avance déjà vers l’eau après avoir déposé sa serviette.

— Lisa, attends. Vous êtes blancs comme des meringues, vous devriez mettre de la crème solaire. Viens-là, dis-je en récupérant le tube dans mon sac de plage.

La jolie blonde fait la moue mais me rejoint tout de même et je prends le temps de lui barbouiller le dos, le cou et le visage, alors qu’elle se charge du reste de son corps. Alex lève les yeux au ciel quand je lui tends le tube, mais commence tout de même à se crémer.

— Tu m’en mets dans le dos, la Normande bronzée ? me demande-t-il, le regard joueur.

— Ça dépend, moi aussi, j’y aurai droit ?

— Tu crois que je vais reculer devant une occasion de te toucher ? rit-il en me tournant le dos.

Je commence à étaler la crème sur ses reins tout en posant mes lèvres sur son omoplate, sur le magnifique lynx qui y est tatoué. J’entends Lisa rire au loin et profite de ce mini tête-à-tête pour me presser dans son dos une fois ma tâche terminée, et glisser mes mains sur son ventre, à la lisière de son short de bain. La présence de Lisa ici, si agréable soit-elle, m’impose une petite barrière qui m’empêche d’être totalement naturelle avec Alex.

Mon beau Russe se retourne finalement pour m’enlacer étroitement et m’offrir un baiser à la fois tendre et passionné qui me laisse légèrement pantelante. Est-ce égoïste de rêver d’un tête-à-tête où je pourrais gémir à ma convenance ? Parce que ça fait une semaine qu’on s’acoquine en silence et à la va-vite, et j’en suis presque à rêver de le voir me faire languir encore et encore.

J’agrippe sa nuque alors que je sens ses mains glisser sous le bas de mon maillot venir caresser mon fessier, sa bouche toujours pressée contre la mienne, son excitation clairement affichée contre mon ventre.

— Papa ! Clem ! Venez ! Elle est bonne !

— On arrive, ma chérie, lui crie-t-il avant de rajouter tout bas, dès que j’ai fait jouir la jolie femme qui est dans mes bras.

— Là ? Maintenant ? T’es fou, ris-je. Lisa ne tiendra pas trois minutes sans venir nous chercher, elle va s’ennuyer toute seule dans l’eau.

— On peut toujours rêver, mais, oui, je suis fou, rit-il avant de m’attirer avec lui vers l’eau, le sourire aux lèvres.

Nous passons un moment dans l’eau tous les trois, à nous taquiner, nous arroser, profiter simplement des beaux jours de ce début Septembre en Normandie, alors que le temps devrait rapidement virer à l’orage. Un moment hors du quotidien comme nous en partageons le plus possible depuis que Lisa est arrivée, et je savoure ce bonheur de ne plus me sentir seule, comme c’était le cas il y a encore quelques semaines. J’ai retrouvé une famille, et j’espère ne pas la voir m’être arrachée à nouveau. Bien sûr, j’avais mis de la distance avec mon père, et je le regrette d’autant plus maintenant qu’il n’est plus là, mais il était mon dernier lien du sang en vie, et si Alex et Lisa ne partagent pas ma génétique, ils m’offrent aujourd’hui ce qu’il y a de plus proche d’une famille.

Annotations

Vous aimez lire XiscaLB ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0