50. Le réveil du Chef

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Clémentine

Ce matin, je me lève bien plus en forme que ces derniers jours. J’ouvre grand la fenêtre de mon coin chambre et défais mes draps avant d’aller les mettre à la machine à laver. Comme eux, j’ai besoin de me sentir propre et je me fais couler un bain pour ne pas faire de bruit et ne pas risquer de réveiller Lisa et Alexei. Y a pas à dire, mon père, quand il a fait refaire les appartements, a dû se dire que l’isolation sonore ne servait strictement à rien ici. On partage tout. Je récupère un bouquin et mon téléphone avec mes écouteurs, puis me plonge dans l’eau chaude et mousseuse avec un soupir de contentement. Est-ce que c’était la grippe ? Je n’en sais rien, toujours est-il que je suis rarement malade et que, généralement quand tel est le cas, je suis couchée. J’ai encore un peu mal partout et de la toux, mais ce n’est rien comparé à ces derniers jours. Pas de fièvre à déplorer depuis plus de vingt-quatre heures, c’est le signal qu’il me fallait pour reprendre le cours de ma vie.

Bon, pour être honnête, j’ai apprécié ces quelques jours de repos. Vraiment. Je crois que j’en avais besoin, même si je suis encore crevée. Cependant, une part de moi culpabilise d’avoir lâché le restaurant, même si Alexei a tenu la barque comme il a pu. Je suis impressionnée par sa façon de gérer les choses. Je ne pensais pas qu’il irait jusqu’à ouvrir quand même le restaurant et se mettre derrière les fourneaux, même s’il m’a dit avoir déjà tenu ce rôle. Et puis, il est passé me voir plusieurs fois par jour, en restant tout de même à distance, pour prendre de mes nouvelles, me demander systématiquement si je voulais qu’il appelle le médecin, m’apporter à manger. Ça ne fait pas de mal, parfois, de se faire chouchouter.

Je bouquine une petite vingtaine de minutes dans mon bain en écoutant de la musique classique tout bas, et finis par en sortir pour me préparer. J’ai encore le teint pâle, ce qui contraste avec la rougeur de mon nez ridicule, et j’applique une touche de fond de teint et du mascara pour avoir bonne mine avant de retourner dans mon appartement pour enfiler un jean et un tee-shirt. Puis je m’attelle à la réalisation du petit-déjeuner, faisant des pancakes pour les habitants du restaurant. Je presse des oranges qu’il me restait et prépare un bon chocolat chaud. J’installe le tout sur un plateau et, vu le soleil qu’il y a dehors, vais mettre la table en bas, dans la cour. Lisa doit être en train de se réveiller, vu l’heure, et je vais frapper à la porte vitrée de mes voisins. Je vois à travers le carreau la tête de la jolie blonde apparaître au-dessus du dossier du canapé, puis elle regarde en direction de la chambre avant de sortir du lit pour venir faire coulisser la porte de quelques centimètres seulement.

— T’es plus malade ? Papa m’a dit de pas venir te voir pour pas attraper ta maladie.

— Je vais beaucoup mieux, Lisa, et j’ai vérifié sur internet, normalement je ne suis plus contagieuse. Papa-Thor dort encore ?

— Oui, ça fait quelques jours qu’il est super fatigué. Il fait que travailler.

— Je vois de quoi tu parles, ris-je. Et si tu allais t’habiller ? J’ai préparé le petit déjeuner et je vous propose de profiter du soleil, ce matin. Tu crois qu’on laisse ton père dormir et que je t’emmène à l’école ? Ou je vais le réveiller ?

— Comme tu veux. Moi, j’y vais pas. Il râle trop quand je le réveille.

— Bien, je me dévoue alors. File te préparer, et mets des manches longues quand même, il ne fait pas très chaud.

Lisa me sourit et coulisse davantage la porte avant d’ouvrir le placard pour récupérer des vêtements. Elle exécute chaque geste avec douceur pour ne pas faire de bruit et je me demande comment son père l’accueille au réveil, alors que je n’ai pas remarqué, lorsque nous étions ensemble, son côté bougon. Sans doute parce que je suis du genre bougonne aussi tant que je n’ai pas bu mon café. On a dû se réveiller en douceur sans bousculer l’autre… Quand on ne partait pas sur un réveil plus interdit aux enfants, évidemment.

Je traverse doucement la pièce de vie et observe Alexei, encore endormi, ou du moins pas planqué derrière l’armoire. Il est sur le ventre, étalé de tout son long. Une étoile de mer tatouée, musclée et sexy. Je m’assieds sur le bord du lit lentement et Alex ne bouge pas d’un poil.

— Je sais que tu ne dors plus, ris-je en caressant son dos doucement.

— Si, je dors. Il faut m’aider à me réveiller, bougonne-t-il dans sa barbe, les yeux toujours fermés.

— La dernière fois que Mathou m’a dit ça, elle a fini avec un verre d’eau en pleine tête. Tu veux vraiment de l’aide ?

— T’es pas cool, Clem. Je suis crevé, et tout ce que tu me proposes, c’est un verre d’eau dans la gueule ? Si j’avais su, j’aurais enregistré toutes mes heures supp pour que tu te rendes compte que tu me tues à la tâche !

Il ouvre les yeux et les tourne vers moi en souriant. Son regard clair et la petite lueur que j’y devine me feraient presque craquer et me donnent une envie folle de l’embrasser. Ma main continue de parcourir son dos et je viens déposer un baiser sur son omoplate.

— Je te propose tout de même un petit dej', Thor, ce n’est pas non plus la mort.

— Mmmm… Va pour un petit déjeuner alors. Si tu me prends par les sentiments, je ne peux que me laisser faire.

Il se redresse alors dans son lit et sort ses jambes musclées de sous les draps. Maintenant assis à côté de moi, sa proximité est troublante et je sens mon corps frémir en raison de la chaleur qui se dégage de cette intimité. L’érection qu’il ne peut cacher dans son boxer est flatteuse et le baiser qu’il me dépose sur la joue avant de se lever me donne des envies folles d’oublier tout le reste et de me jeter sur lui.

— Merci pour ce réveil en douceur.. J’arrive tout de suite, Clem. N’oublie pas le Nutella, ajoute-t-il avant de s’éclipser

Je l’observe se diriger vers la salle de bain alors que Lisa en sort tout juste, et souris en les voyant se faire un câlin pour se saluer. Je me lève à mon tour et rejoins mon appartement pour récupérer les dernières victuailles que je vais déposer dehors, puis frappe à la porte de la salle de bain.

— Eh, Miss Russie, tu as bientôt fini ?

— Miss Russie ? Tu as l’air d’aller vraiment mieux, toi ! Te revoilà avec tes blagues pourries !

Il ouvre la porte et je me retrouve face à son torse aux abdos bien dessinés. Instinctivement mes doigts viennent se poser dessus mais il me repousse gentiment.

— Si tu ne t’arrêtes pas, on n’aura pas le temps de prendre le petit déjeuner et d’amener Lisa à l’école, me dit-il en me souriant.

Je me demande ce que je suis en train de faire. Est-ce parce que mon corps est en manque ? Est-ce parce que mes hormones ont repris le dessus maintenant que je suis guérie ? En tous cas, s’il ne m’avait pas repoussée, je me demande si je ne me serais pas jetée sur lui tellement j’ai envie de son corps contre le mien, de ses mains sur moi, de sa bouche qui me dévore. Je suis folle, surtout que c’est moi qui ai décidé de me priver de tout ça. Depuis quand est-il plus raisonnable que moi, le Russe ?

— Désolée, j’aimerais bien avoir les mêmes tablettes de chocolat, ça doit être ça, dis-je avant de faire demi-tour pour éviter toute tentation. Ta fille nous attend, le chocolat va être froid.

— Tu as d’autres arguments que les tablettes de chocolat, me chuchote-t-il en lorgnant vers mon décolleté.

— Obsédé, ris-je en passant ma main devant ses yeux à plusieurs reprises. Mes yeux sont plus haut !

— Ah oui, là aussi il y a de quoi argumenter, s’exclame-t-il en riant. Tu veux vraiment nous mettre en retard ?

— Si je voulais vraiment te mettre en retard, je t’aurais réveillé autrement, Alex, crois-moi.

— Je confirme, tu es en forme ! Ça fait plaisir, Clem.

Il s’installe au soleil sur la terrasse, près de Lisa qui est déjà en train de prendre son chocolat chaud. Je sens son regard qui ne me quitte pas et cela me fait tellement plaisir, me donne tellement confiance en moi que je me mets à sourire bêtement. J’ai bien fait de m’apprêter un petit peu ce matin, vu l’effet que j’ai sur lui. Je crois que s’il pouvait, il se jetterait sur moi et m’enlèverait jean et tee-shirt pour me faire l’amour, ce qui ne serait pas pour me déplaire. J’ai vraiment les hormones en ébullition ce matin.

Nous petit-déjeunons dans une ambiance agréable, et je suis contente de partager ce moment avec Alex et Lisa. C’est un peu trop comme avant, comme quand je ne savais rien des agissements de mon Russe, quand je profitais tout simplement de la vie en compagnie de cette famille sans que me revienne en tête la triste réalité. Et ce matin, je mets de côté la petite pointe de rancœur qui apparaît, pour écouter Lisa me raconter ses derniers jours d’école sous le regard fier de son père.

Je débarrasse la table alors qu’ils partent pour l’école et prends le temps de faire ma vaisselle avant de redescendre au restaurant. Tout est clean, et je ne parle même pas de ma cuisine, qui brille de mille feux. J’ouvre les frigos et file au stockage, constatant qu’Alex a dû gérer aussi les livraisons. Il ne manque rien des produits de base même si je vois qu’il a réduit la carte, et je peux même constater qu’il a prévu le plat du jour, si j’en crois la quantité d’escalopes de dinde dans le réfrigérateur. Les mets sont moins diversifiés, mais il y a de quoi satisfaire les papilles. Sur le plan de travail, une feuille griffonnée contient, j’imagine, ce qu’il a prévu pour les menus du jour. Constatant qu’il semble assuré quant à savoir quoi proposer, je me contente de rajouter quelques desserts, puisqu’il ne semble pas être aussi à l’aise avec le sucré, en fonction de ce que j’ai dans la réserve. Une idée germe dans mon esprit et je me demande si Alex serait d’accord. Je me dis cependant que je dois prendre le temps d’y réfléchir et ne pas balancer ça sur un coup de tête parce que, soyons honnêtes, cela aurait forcément un impact sur notre relation.

— Contente d’avoir retrouvé ta cuisine ?

Je sursaute et manque de renverser mon pot de farine. Alexei sourit en voyant ma maladresse, et vient me rejoindre devant le plan de travail. Sa proximité me trouble, encore, mais je ne recule pas pour autant.

— Contente de ne plus être malade, surtout. Tu restes en cuisine aujourd’hui ? Je vois que tu as tout prévu.

— Oh, je ne voudrais pas prendre ta place, Clem. Je vais retourner en salle si tu préfères.

— Alex ? Comment étaient les retours des clients sur tes plats ?

— Personne ne s’est plaint, Clem, rassure-toi, je n’ai pas essayé de te couler en servant de la merde. C’est fini tout ça, soupire-t-il, visiblement résigné face à l’interprétation qu’il fait de mes propos.

— Ce n’est absolument pas ce que j’insinuais, Chef. Je voulais savoir comment tu t’en étais sorti avec les spécialités normandes, c’est tout.

— J’ai bénéficié des conseils de Paul, heureusement ! C’est fou ce que vous mettez comme crème ou fromage ! se déride-t-il en voyant que je ne suis pas en train de l’accuser de quoi que ce soit.

— Effectivement, ris-je. Donc, les clients ne se sont pas plaints. Est-ce tu aimes être en cuisine ? Enfin, je veux dire… Hormis la fatigue, tout gérer seul. Cuisiner, quoi.

— Pourquoi tu me demandes ça ? me demande-t-il suspicieux.

Il réfléchit un instant et ajoute :

— Oui j’aime bien, en fait. Enfin, je comprends un peu Linguini, et je ne voudrais pas faire que des plats normands !

— On est en Normandie, bougonné-je, logique de faire des plats normands. Bref… Tu as préparé le menu du jour, donc je te propose de rester en cuisine aujourd’hui. Maintenant, si tu préfères retourner en salle, pas de problème, c’est comme tu le sens.

— Tu me ferais vraiment confiance ? Même pour l’escalope normande que j’ai prévue ?

— Je ne te le proposerais pas si ce n’était pas le cas. Tu as assuré pendant que j’étais hors service, et je t’en remercie encore, d’ailleurs.

— J’accepte avec plaisir, Clem, mais à une condition, me répond-il en me serrant dans ses bras, ravi de ma proposition.

— Quelle condition ? N’abuse pas non plus…

— Qu’on ne s’engueule pas comme tu t’engueulais avec Linguini !

— Ne critique pas mon camembert, ma crème et ma Normandie plus généralement, et tout ira bien.

— Non, je commence à m’y faire. La Normandie est vraiment pleine de saveurs insoupçonnées, ajoute-t-il en me lançant un regard plein de sous-entendus.

— Bien, on a un deal alors… Aux fourneaux, Chef Lioubov !

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