La rue

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 Il est à genoux, assis sur ses chevilles. Sa tête penchée vers l'avant me fait penser à la tristesse qu'il ressent en ce moment. Son bonnet de laine à rayures rouges et blanches à comme une odeur de Noël. Malgré la senteur des fêtes de fin d'année, il me semble qu'il ne pourra pas festoyer à sa convenance. Je le sais car il a une pancarte, un bout de carton où l'on lit « J'ai faim ». Cet homme vêtu d'un épais anorak troué et une écharpe jaune bien fournie ne me paraissent pas suffisant pour combattre le froid. Il est recroquevillé sur lui-même, seul sur son bout de trottoir. À quoi pense-t-il ? Peut-être à sa vie passée, celle où il mangeait à sa faim, celle où il avait une femme et un travail, celle où il pouvait voir ses enfants. Maintenant, il se retrouve à la rue sans-abri. Il lui faudra composer le 115 pour avoir une place au chaud ce soir ou alors attendre à la queue qu'on lui dise qu'il pourra profiter d'un lit de camp pour cette nuit. Il sera au milieu d'une quarantaine de personnes, elles aussi sur un lit de camp. Il n’appellera pas aujourd'hui, il s'est fait voler son portable par un « camarade » hier soir. Une soirée comme toutes les autres, sûrement un peu trop arrosée mais foutu pour foutu, à quoi bon ? Il pouvait se passer de l'alcool dans son ancienne vie.

 Il possédait pourtant une cave bien remplie où il s'y rendait de temps en temps pour chercher le vin qui irait le mieux avec le met que son épouse préparerait et celui qui plairait le plus à ses invités. Il faisait bon dans cette demeure, les cris de ses chérubins étaient joyeux. Souvent il se mettait à l’embrasure de la porte de la cuisine lorsque sa compagne était au fourneau et il la contemplait, d'un regard aimant, se disant qu'il était chanceux d'avoir une épouse aussi belle. Ses enfants, Laure et Jules s'entendaient comme un frère et une sœur. Ils se chamaillaient mais il arrivait à leur dire avec douceur qu'il fallait se calmer. C'était un père et un mari tendre.

 À présent, il est juste un homme qui a le ventre vide et qui cherche un endroit pour se reposer. Les regards médisants des personnes qui le croisent, il s'en fout. Il le connaît ce regard, il avait le même lorsqu'il ne savait pas ce qu'était la vie de rue. Il se souvient que lorsqu'il voyait un homme dormir dehors, faisant la manche, il ne pouvait s’empêcher de se dire « mais qu'il cherche un travail au lieu de quémander, en plus je suis sûr qu'il va s'acheter un litron de vinaigre » .

  Qu'est-ce qu'il vous reste lorsque vous êtes dans la rue ? Il n'a plus de moitié, plus de progéniture, plus de chez lui, plus d'activité, plus d'argent. Il n'a même plus l'estime de lui, il n'existe presque plus, on l'a oublié. Il vagabonde de quartier en quartier mais revient toujours au point de départ car il ne dort jamais dans un autre endroit que le sien, cela serait trop dangereux pour lui. L'Homme est un loup pour l'Homme. La rue, c'est la jungle, il a bien des amis, des camarades de rue mais il sait très bien qu'il ne peut compter que sur lui-même. Il lui ait arrivé de tabasser un copain avec les autres pour 50 balles. Le lendemain soir, il recommençait à trinquer avec ce même copain, c'est comme ça. Les jours où il veut en finir et qu'il se demande s'il ne ferait pas mieux de se jeter sous un train, il repense aux moments doux et chaleureux.

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