La délivrance

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La grotte de Bellevue méritait bien son nom. De là où ils étaient cachés, les villageois avaient une vision panoramique à 180 °. Ils avaient une très belle vue sur la plaine agricole traversée par la route principale, la voie Aix, Draguignan . Mais le bourg leur était dissimulé ils ne savaient pas ce qui s’y tramait.

Ce n’était pas la première fois que la population se massait à cet endroit . Cette planque les avait sauvés des sarrasins et des huguenots autrefois.

Un homme un peu plus téméraire que le reste du troupeau décida que l’attente n’avait que trop durée. Il partit en éclaireur.

Au bout d’un très long moment, il revint rouge comme une pivoine, il bégayait de joie

— Pu, pu, putain, c’est, c’est, les Américains, les Américains.

Un énorme cri de joie lui répondit

La Mado, la plus jolie du village le serrat sur sa plantureuse poitrine et l’embrassa goulument, il n’en demandait pas tant, mais ne bouda pas son plaisir.

Le maire en premier,ceint d’une écharpe tricolore qu’il avait cachée jusqu’à là , emmenât son troupeau. Il savait que bientôt il devrait rendre des comptes, mais aujourd'hui, il s'en foutait royalement. Il avait tant attendu ce moment. Il comptait sur la reconnaissance de ses administrés, il leur avait épargné le pire. De toute façon, ça ne servait à rien de penser à ça maintenant, son âme était dans la main de Dieu. En braillant aussi fort que les autres il allait prouver qu'il avait toujours espéré la victoire des Alliés !

Sur la place Majourale, c’était l’effervescence. Les jeeps garées en quinconce barraient les rues. Des troupiers hilares accueillaient les habitants .

— N’ayez pas peur, le cauchemar est fini, la Frouancce est libérrrouéee !

La belle Mado en tête , toutes les femmes tombèrent dans les bras de leurs sauveurs.

Ça criait ça dansait ça chantait.

— La guerre est finie, la guerre est finie ! Youpi ! Hourra ! Alléluia !

Tous arboraient fièrement maintenant des cocardes bleu blanc rouges . Les soldats alliés n’étaient pas venus les mains vides . Ils savaient vivre ces amerloques tout de même. Des bouteilles de coca, du chocolat des cigarettes blondes des alcools des boites de singe c’était fou tout ce qui pouvait sortir des bâches des camions. Un trouffion avait trouvé une radio il la mettait à tue tête, une musique nouvelle et entrainante s’envolait du haut-parleur .

— Jazz, Jerk, Fous danssaies Maydemoisaylles !

Ah ! C’était autre chose que Maurice Chevalier !

Ça swinguait !

Dans un coin une vieille se plaignait !

— Mais c’est tous des noirs et des bicots ! Qu’ils sont laids !

Fort heureusement une voix lui répondit

— Ta gueule la vieille, on le sait, si tu avais été plus jeune et moins moche tu aurais couché avec la kommandantur ! Salope !

— Mais laissez là, elle n’a plus toute sa tête, elle n’est jamais sortie du village ! Et puis c’est fête, c’est jour de fête !

Un peu plus tard, la dame agée, saoule complètement ,tenait le bras d’un bel éphèbe couleur d’ébène. Elle chantait à tue-tête avec lui.

— J’ai deux amooouurs….

Elle pleurait de bonheur.

Dans un coin, quatre GI, mitraillettes au poing, gardaient l’enclos ou étaient parqués une dizaine de prisonniers, des redoutables fridolins. Pour eux aussi la guerre était finie.

La fête battit son plein toute la nuit.

Une nouvelle ère commençait, remplie de promesses .

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