2 Une ville étrange

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Louisville, Kentucky

Les Hellington vivaient à Louisville depuis cinq générations dans la maison familiale qui se trouvait non loin d'un imposant bâtiment à l'abandon. Ils y vivaient bien avant la construction du sanatorium de Waverly Hills. Comme beaucoup de vieilles familles, les Hellington ne portaient pas le projet de reconstruction dans leur cœur. Comme beaucoup, ils connaissaient trop bien l'histoire de ce bâtiment de malheur. Le vieux père, dans les moments les plus sombres, ressassait le passé en tremblant d'effroi, et ce, durant des années plus tard. Il n'osait plus sortir de la maison de peur de voir des choses, d'entendre les cris des victimes agonisantes. Chaque seconde passée entre ces murs était un supplice pour le vieux Harold. Il ne pouvait s'empêcher d'en parler avec gravité, son visage usé, cireux le rendant que plus sombre. Pour beaucoup, le vieux aimait raconter des histoires pour faire peur, mais le regard ne mentait pas, sa voix tremblante, effrayée, non plus.

— Comment les gens peuvent-ils laisser faire une telle chose ? Il ne faut jamais réveiller le mal, soit on l'éradique, soit on le laisse tranquille ! Ils ne savent pas ce que j'ai vu, entendu, entre ces murs sinistres.

— Papa, arrête avec ça, il n'y a pas plus de fantômes que de monstres à Waverly Hills, ce ne sont que des légendes, s'exclama Ruth, qui, après toutes ces années n'y croyait plus.

Elle ne contredisait pas son père afin de ne pas le blesser, mais elle était lasse d'entendre les mêmes histoires à dormir debout.

Waverly Hills était, dans le temps, un sanatorium spécialisé dans le traitement de la tuberculose. Cependant, suite à quelques incidents isolés, le bâtiment se vit fermé et laissé à l'abandon, devenant le lieu privilégié des jeunes cherchant un coin pour faire la fête. Pourtant, les personnes d'un certain âge ayant vécu lors de la période où les infections à la tuberculose étaient au plus haut, tenaient étrangement le même discours : "Ce lieu est maudit, des milliers d'âmes y sont mortes entre ces murs de briques orange". Ruth, avocate à l'esprit pragmatique, rétorquait souvent avec conviction et fermeté que d'éventuelles maltraitances dans un tel bâtiment ne sauraient être tolérées. La police et même l'ordre des médecins seraient intervenus depuis longtemps pour y mettre fin. Il s'agissait là plus d'histoires visant à faire peur aux enfants lors des soirées d'Halloween.

— Je l’ai vue, tu sais, Birgit sauter du haut de ce rebord sans hésitation. J’ai vu la chose derrière elle qui l’a entraînée vers le fond ! Et mon père à l’époque me disait que j’étais fou, mais je sais ce que j’ai vu. Le mal rôde entre ces murs.

Tout en le disant, il fixait au loin l’imposant bâtiment abandonné qui, avec la pénombre, avait des allures de maison hantée. Il sentit soudain un froid glacial parcourir son corps. Il laissa alors son imagination reprendre le dessus : il entendait de nouveau le chant des enfants résonner dans sa tête.

“Ring around the Rosie, A pocket full of posies, Ashes, Ashes, We all fall down!”

Il revoyait cette pauvre femme sauter et atterrir violemment sur le bitume. À cette époque, il était le jardinier du sanatorium. Il entretenait la pelouse et les arbres, même s'il n'y travaillait que trois fois par semaine. Il en était traumatisé à vie.

— Je connaissais Birgit, elle n’était pas du genre à se suicider. C’était une fervente catholique, une femme correcte. Et la pauvre Emily, retrouvée pendue, elle allait être maman. Je la voyais mal mettre fin à ses jours sans raison. Je ne suis pas fou ! J’ai vu cette masse, cette ombre qui rôde dans le bâtiment.

Ruth, énervée, se redressa d’un coup et se planta devant son père. Les enfants, terrorisés, regardaient leur grand-père au teint blafard.

— Tu arrêtes, papa ! Tu fais peur aux enfants ! Si tu continues, je vais te placer en centre. Je n’en peux plus de tes histoires à dormir debout. Les premières fois c'était rigolo, mais là, c’est assez ! Tu délires, ces pauvres femmes se sont suicidées d'elles-mêmes ! Il n’y a pas plus de monstre que je ne sais quel esprit.

Harold, triste et abattu d’être le seul à connaître la vérité, passait pour un fou auprès de tout son entourage, il n’avait guère le choix que de s’enfermer dans sa chambre et prier pour les pauvres diables qui auraient l’audace de s’aventurer à Waverly Hill.


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