1 Le maître des clefs
Son téléphone sonnait pour la cinquième fois consécutive, mais Barney Walker dormait toujours profondément. Il rêvait de quitter sa Louisiane natale, attendant désespérément l’opportunité qui lui permettrait de s’échapper de son quotidien morose et sinistre. À bientôt quarante ans, il n’attendait plus grand-chose de la vie. Il voulait se réinventer en changeant d’air et de vie. Barney était de ceux qui espéraient qu’un miracle vienne le sauver de sa vie insipide et sans perspective. Cependant, il n’était pas non plus prêt à tout abandonner ; il aimait son petit confort de mari et de père de famille. Il travaillait comme gardien et agent de sécurité pour la Safe Liberty Corporation, une agence privée de sécurité et de gardiennage qui proposait divers services de surveillance à des tarifs variés. Cela faisait quinze ans qu’il travaillait pour cette entreprise et il se posait beaucoup de questions sur son avenir et sur ce qu’il aurait aimé être.
Barney n’était pas du genre à remettre en question son avenir, mais après avoir fêté ses quarante ans la semaine passée, le doute s’insinuait de plus en plus en lui. Ce n’était pas qu’il n’aimait pas son travail, mais la routine de la vie quotidienne l’épuisait au point qu’il était au bord de la dépression.
Carole, sa femme, était hôtesse de l’air et passait donc la plupart de son temps à bord des avions, laissant son mari et ses deux enfants, Devon et Monika (nommée en référence à sa star préférée, Monica Bellucci), à la maison. Avec le temps, Barney ressemblait de plus en plus à un ours et ne cherchait pas à changer cela. Il estimait qu’à son âge, il était trop tard pour prendre soin de lui. Du haut de son mètre quatre-vingt-deux pour une centaine de kilos, il s’abandonnait à la nourriture rapide tous les jours, se suicidant à petit feu. Carole, au bord de l’anorexie, essayait de le convaincre de manger plus sainement, mais heureusement, elle n’était pas à la maison pour le voir sombrer dans l’obésité morbide.
D’apparence virile et d’ours sauvage, il possédait un charisme naturel. Il lui suffisait de hausser le ton pour faire fuir les petits malins qui désiraient un endroit pour faire la fête ou les pilleurs qui cherchaient du métal à revendre. En ouvrant péniblement un œil, Barney fixa longuement le message qui s’affichait sur l’écran de son téléphone portable : "Contrat de gardiennage à Louisville pour une durée indéterminée, début de surveillance dans deux semaines pour un début de travaux au plus tôt.."
Barney relut plusieurs fois le message, sentant son cœur se serrer de plus en plus dans sa poitrine. Le père de famille n’osa pas crier de joie, de peur de réveiller ses enfants, mais intérieurement, exultait. Enfin, Barney allait quitter la Louisiane qu’il connaissait que trop bien pour des pâturages plus verts. Il n’eut aucune hésitation, sans même prendre le temps de se concerter avec sa femme, accepta en répondant aussi vite qu’il le put. Était-ce le signe qu’il attendait ? Pour lui, il était évident que Dieu était intervenu en personne. Croyant et pratiquant, il allait à la messe chaque dimanche avec ses enfants qui, comme tout jeune de douze et quinze ans, n’y allait en trainant les pieds que pour faire plaisir aux parents.
Devon, en proie au doute, se posait beaucoup de questions sur l’avenir et sur ce qu’il allait devenir. Son passe-temps favori était de jouer sur son ordinateur en parlant à des amis virtuels. Quant à Monika, elle voulait devenir écrivaine, elle restait enfermée dans sa chambre à lire et à écrire des histoires romantiques fantastiques. Elle-même ne savait pas comment elle avait eu cette idée, mais elle la sentait au plus profond de son être. Barney n’était pas contre, même s’il ne savait pas vraiment en quoi consistait le métier d’écrivain ; il ne lisait pas, et écrire était une punition.
N’ayant pas terminé le secondaire, il faisait des fautes à chaque mot et ne savait pas construire des phrases correctes. Son métier ne l'obligeait pas à rédiger des courriers ou des rapports. De ses doigts épais, semblables à des boudins, il rédigea sa réponse qu’il envoya sans attendre.
«J’accepte, dans l’attente de plus de précisions.»
Il se prépara en quatrième vitesse et écrivit un message à sa femme pour lui annoncer de manière abrupte qu’ils allaient déménager dans la semaine. Il lui fallait être rapide et organisé, il devait trouver une maison pas trop chère et assez grande pour y faire vivre une famille. Il redoutait néanmoins la réponse de sa femme : attachée à la Louisiane, elle n’allait pas accepter aussi facilement. Mais par chance, Barney avait prévu sa défense. N'étant pas souvent à la maison, cela ne poserait pas beaucoup de problèmes à Carole, contrairement aux enfants : leur vie était ici, leurs amis, et changer aussi brusquement n’était pas recommandé pour leur équilibre. Pour Barney, il s’agissait là d’une opportunité incroyable qu’il fallait saisir sans attendre. De plus, le montant du salaire indiqué dans le contrat le confortait dans son idée. Refuser aurait été de la folie !
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