chapitre 4 partie 2
De nos jours, Louisville, Kentucky
Barney était seul face à cette gigantesque bâtisse, abandonnée et délabrée. Ayant de bonnes connaissances en bricolage, il voyait tout son potentiel, tout ce qu’il pouvait faire pour améliorer son espace de travail. La plupart du temps, il passerait ses nuits ici, heures auxquelles il devait être présent pour éviter les squatteurs et autres désagréments. Il n’avait pas d’horaires fixes pour cette mission, hormis qu'il devait effectuer un minimum de 35 heures par semaine . Mais s'il suivait la logique de ses précédentes missions, il y serait entre 40 et 47 heures, au grand désespoir de sa femme.
En voyant les fenêtres brisées et les murs décrépis, fissurés par endroits, Barney eut comme un sentiment de regret de ne pas avoir connu le bâtiment en bon état. Au lieu de voir de belles briques rouges, il avait affaire à des dégradations juvéniles, des dessins et des graffitis.
"Je ne sais pas par où commencer !" s'exclama Barney à voix haute en voyant l'ampleur des dégâts. Il parcourait les longs couloirs au sol dégradé, aux murs ternis par le temps et le manque d’entretien. Un vent frais s’insinuait par les fenêtres brisées. Il nota sur son calepin de prendre pour les prochains jours un poêle à pétrole pour ne pas mourir de froid la nuit, ainsi qu’un générateur pour installer une lumière. Ce n’était pas la première fois qu’il devait surveiller un bâtiment dans un tel état de délabrement ; par le passé, il avait gardé une vieille cathédrale en cours de rénovation pendant huit mois.
Il n’y avait plus d’électricité depuis bien des années : l’obscurité générale accentuait l'ambiance sinistre et malsaine du sanatorium. Barney poursuivit sa visite du rez-de-chaussée muni de son plan et de sa lampe. Par chance, à cette heure de la journée, il pouvait voir relativement facilement quand il était proche des fenêtres. Mais à mesure qu’il s’enfonçait au cœur du bâtiment, la lumière se faisait de plus en plus rare. Il passa devant un dortoir, ou ce qui semblait en faire office car de vieux lits en fer se succédaient, séparés par des paravents en bois. Tout était d’époque, du sol au plafond.
Des tables de chevet en bois brut accompagnaient les lits. On avait l’impression d’être figé dans le temps, comme si rien n’avait changé, alors que pourtant… La moisissure et la poussière recouvraient tout, témoins de la vie qui s’arrête inexorablement. Certains murs, qui jadis arboraient un blanc cassé, étaient recouverts de graffitis à caractère sataniste. Barney en profitait pour prendre des photos afin de constituer un dossier spécial pour cette mission.
— 666 ! Encore des gamins qui aiment se faire peur ! Une génération plus tard et c’est toujours les mêmes conneries, quelle originalité, annonça Barney en fixant le mur saccagé.
Sur un autre il tomba sur une représentation du diable avec d’imposantes cornes, semblables à celles du bouc de Mendès.
Barney ne comprenait pas l’intérêt de dégrader des bâtiments par plaisir, était-ce l’oisiveté qui poussait les jeunes aux méfaits ? se demandait-il en scrutant les murs vandalisés. Sur une des tables de chevet, une lettre avait été abandonnée.
« Suzy chérie, Ma douce et tendre bien aimée, j’espère te revoir très prochainement et en bonne santé. Je suis las, d’être loin de toi, d’être malade. Pour ma part, j’ai été licencié dans le cadre d’un redressement judiciaire. Ce n’est pas facile tous les jours. J’ai demandé un droit de visite, mais comme tu le sais c’est compliqué avec cette fichue maladie. J’attends la réponse de la direction, je pense fort à toi, Ton bien aimé Henry ».
Barney esquissa un sourire en terminant la lettre qu’il reposa à sa place. Par moment, il avait l’impression d’être dans un musée. Il y avait tant de choses à découvrir, des pièces peut-être inexplorées par le public, des objets abandonnés sur place à l’instar de la lettre. Il vit également une balle verte au sol qui semblait être là depuis fort longtemps elle aussi, la couleur ayant perdu de son éclat. Tout comme les dessins aux murs, Barney prit des photos de la lettre ainsi que de la balle. Qui sait, un jour il pourrait s’en servir pour raconter une histoire. Alors qu’il bifurquait dans un couloir subsidiaire, Barney fût arrêté par un bruit lointain.
— Qu’est-ce que c’était ? chuchota-t-il à voix basse.
Il tourna sa lampe vers la direction du bruit, qu’il n’avait pas pu identifier convenablement. Il ne savait pas s’il s’agissait de bruit de pas ou d’un grincement. Il sentit son rythme cardiaque grimper à mesure qu’il se dirigeait vers l’escalier principal.
— Qui est là ?! Vous êtes dans un lieu privé maintenant, il est interdit de squatter. Je suis en droit de faire usage de la force en cas de refus, vociféra Barney en pointant sa lampe devant lui afin d’y voir plus clair.
Il prit l’initiative de gravir l’escalier qui menait au premier étage qui était dédié en majeure partie au personnel.
Le premier palier comprenait des bureaux, une pharmacie, des salles de classe et un laboratoire. Toute une aile était à l’époque réservée aux patients où ils pouvaient profiter de l’air frais et s’exposer au soleil, comme prévu par leur protocole de soins.
Barney longea l’imposante salle, celle-ci remplie de fauteuils permettant aux patients de se reposer tout en recevant leurs soins. Une ombre passa au loin, au détour d’un couloir, et disparut en un quart de seconde.
— Hey, vous là-bas ! arrêtez-vous tout de suite ! cria-t-il.
Barney sursauta, surpris par cette subite apparition. Il avait même cru entrevoir un chien blanc passer à vive allure. Était-ce son imagination ? Pourtant il ne dormait pas. Il courut dans la direction où il avait aperçu l’inconnu et le chien. En arrivant au croisement qui menait à un long corridor, il ne vit personne hormis des chariots entassés dans un coin et des chaises en bois usées. Son cœur battait à tout rompre, lui qui pensait être tranquille pour son premier jour, il avait droit à un début agité.
Il inspecta chaque angle, espérant retrouver le fuyard et le chien qui ne passaient pas inaperçus. Pourtant rien, comme s’ils avaient disparu par enchantement. Alors qu’il comptait retourner à l’étage inférieur, il se retrouva nez à nez avec l’inconnu et son chien blanc.
— Hors de chez nous ! aboya l’inconnu d’un ton féroce, découvrant des dents jaunâtres, gâtées.
Barney recula sous l’effet de la surprise, l’homme était à quelques centimètres de son visage. Barney faillit en tomber à la renverse. Tandis qu’il reprenait ses esprits, l’homme disparut en un quart de seconde avec son chien. Barney ne parvenait pas à comprendre ce qu’il venait de se passer…
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