1.
- Jaimie, dépôt de plainte à l’accueil, tu t’en charges.
Un lourd soupir passa mes lèvres. J’étais vraiment le larbin de leur service. La chaleur étouffante faisait coller le col de ma chemise à mon cou alors que d’un pas nonchalant, je me dirigeais vers le comptoir où se trouvait l’une de ces mondaines à qui on avait dû dérober un sac ou un de leurs bijoux lors d’une soirée. Bien sûr, il n’y avait pas qu'elles pour venir nous importuner pour si peu à cette heure-là de la nuit. Les lumières incrustées dans le faux plafond ne cessaient de clignoter, nous rappelant dans leur dernier soubresaut, que l’on devrait bientôt les remplacer. Ce qui rendait la rédaction de l'énième plainte de cette dame pour vol, une allure de tripes sous LCD. Heureusement, mes souffrances furent vite abrégées. Un homme rentra à son tour dans le bâtiment public dans lequel j’exerçais et tendit à la dame la chose qu’on ne lui avait pas volée, mais qu’elle avait simplement perdu en chemin entre la sortie de sa soirée et sa voiture au prix exorbitant. Très bien. Merci. En revoir.
Les aiguilles de l’horloge semblaient avancer à reculons. Cette énième garde ne prendrait donc jamais fin ? Un nouveau soupire se faufila entre mes lèvres alors que je me dirigeais d’un pas lourd vers la machine à café. Comment en été je arrivé là ? J’avais pourtant toutes les cartes en mains pour réussir : un grade à l’armée, une place de major de promo à l’école des officiers, toutes les aptitudes pour la DGSI. La seule réelle chose qui me manquait, c’était l’argent, et le piston. Je m’étais donc retrouvé ici, dans le petit commissariat d’un des arrondissements le plus en vogue de Paris, à régler des affaires sans réelle importance. J’avais beau chercher ce qui m’avait voulu une telle baffe du karma, du destin, mais rien à faire.
Dans le silence emprunt de la chaleur de ce milieu d’été, le téléphone sonna. Mais ce n’était pas celui de l’accueil, comme cela pouvait l’être habituellement, c’était celui du commissaire. J’entendis de vague parole, atténué par les parois qui d’habitudes, laissaient tout passer, avant de voir l’homme qui en faisait le moins, sortir en trombe de son bureau. Quand il m’aperçut, seul, comprenant que j’étais encore celui de garde, je vis un instant sa mine se défaire avant qu’il ne reprenne sa contenance. D’une allure vive que je ne lui connaissais pas, il se dirigea vers moi, m’empoigna le bras, et approcha son visage du mien. De sa voix enraillée par la clope et puant la vieille bière, il m’annonça :
- On nous amène le criminel que tout le monde essais d’attraper depuis des années. Je ne te veux pas dans mes pattes. C’est enfin le moment de gloire dont j’avais besoin.
Je levais les yeux au ciel instantanément avant de simplement acquiescer. Bien sûr, le seul moment où cette garde pouvait devenir intéressante, j’étais de nouveau relégué au second plan. Je me laissais tomber sur la chaise derrière le comptoir. À ce moment-là, le chant des sirènes et le balai des lumières colorées annoncèrent l’arrivée des voitures. Le bruit des portières me fit lever un regard curieux, alors que quatre hommes en sortirent, avants d’extraire de leur véhicule une silhouette frêle, rien de bien méchant. Ça ne pouvait pas être la grande affaire dont le chef venait de me parler. Le dispositif me paraissait tout de même un peu exagéré.
Je n’aurais jamais imaginé, pourtant, que le criminel, tueur à gages, qui aurait pu faire de l’ombre à Jack l’éventreur s’il avait vécu à notre époque, venait de passer les portes de notre pauvre commissariat de banlieue, et allait bousculer mon existence.
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