Chapitre 3
Les mains derrière le dos, Jonathan observait avec fascination l’imposante collection de livres du docteur Godric. La plupart traitaient de psychothérapie, d’autres de médecine légale, et certains n’étaient autres que des classiques de la littérature. Il y retrouva principalement du Victor Hugo, du Charles Baudelaire, quelques nouvelles de Maupassant, et des contes pour enfants.
- Y trouvez-vous un quelconque intérêt ? lui demanda le docteur Godric revenu dans son bureau.
Jonathan se retourna lentement et saisit la tasse de café que le psychiatre lui tendait. Sans le remercier, il se contenta d’en humer la consistance, une vieille habitude qu’on ne pourrait lui enlever, s'assurant que nul poison n'avait pu y être glissé. Sans se formaliser de ce qui aurait pu paraître insultant, le docteur Godric passa devant son interlocuteur et attrapa un livre qui traînait sur l’étagère.
- Alice Davis, hum ? C’est pour elle que vous êtes ici ce soir, c’est bien cela ?
- En effet, confirma le professeur en prenant place dans un fauteuil en cuir faisant face au bureau.
- Je vois… Qu’êtes-vous venu chercher ?
- La vérité.
Un petit sourire naquit sur les lèvres du psychiatre qui tourna la tête en direction de son interlocuteur.
- Quelle vérité, monsieur Around ?
- La vérité. En tout cas je l’espère. Alice Davis a tué plus d’une vingtaine de personnes au cours de ces sept dernières années. Vous le savez, je le sais.
- Comment l’avez-vous connue ?
- Elle a été l’une de mes étudiantes pendant trois ans.
- Puisque vous semblez si sûr de vous, pourquoi n’est-elle pas derrière les barreaux d’une prison ?
- Je ne fais pas partie de la police, docteur, comme on n'a de cesse de me le répéter.
Un nouveau sourire étira les lèvres du psychiatre qui joignit ses mains entre elles.
- En quoi puis-je vous être utile, dans ce cas ?
- J’aimerais comprendre pourquoi. Je l’ai longtemps côtoyée, vous savez ? Je ne suis pas du genre à m’encombrer de bagages inutiles dans mes relations, mais elle avait un charme fascinant. Lorsque je la regardais, je lisais en elle une grande délicatesse qui se mêlait toujours à une force insoupçonnée. Dieu seul sait – s’il existe – que je n’apprécie guère la gente féminine, mais elle n’était pas commune.
- Vous parlez avec la passion d’un homme amoureux, lui fit remarquer le docteur.
Un masque de dégoût se peignit momentanément sur les traits de Jonathan.
- Non, pas de l’amour. De l’admiration.
Un petit rire amusé s’échappa des lèvres du psychiatre qui s’enfonça dans son fauteuil en soupirant.
- Vous recherchez donc la vérité pour comprendre pourquoi. Si vous êtes ici, c’est donc que vous n’êtes pas sans savoir qu’Alice a eu un parcours tumultueux...
- J’ai cru comprendre que ses parents étaient morts. Qui l’a élevée ?
- Un homme l’a adoptée. Elle n’avait que quatre ans, la pauvre enfant.
- Meurtre, d’après les dossiers ?
- Oui, ses parents ont bel et bien été tués. L’affaire a rapidement été classée sans suite, faute de preuves. Avec la technologie de notre époque, c’est tout de même malheureux…
- A votre place, je remettrais plutôt ça sur le dos de la connerie humaine. La plupart des flics que j’ai croisés ne sont pas de mauvais bougres, mais le système dans lequel ils sont ancrés n’est qu’une vaste blague. Je me demande encore pourquoi j’ai quitté l’Angleterre pour venir m’installer en France, quand on voit le système judiciaire il y a de quoi vomir.
- Je le sais mieux que personne.
Jonathan voulait bien le croire ; en tant que directeur d’un hôpital psychiatrique, il devait régulièrement se retrouver pris entre deux eaux. Un petit silence s’installa avant que Jonathan ne le brise, il n’était pas là pour perdre son temps.
- Selon les dossiers, elle est restée cinq ans dans votre institution... Pour psychose, c'est bien cela ?
- En effet. Un confrère l’avait recommandé à nos soins après avoir décelé quelques symptômes liés à la schizophrénie. Mais Alice n’est, et n'a jamais été, ni psychotique, ni schizophrène. Elle était seulement traumatisée par la mort de ses parents. Mais traumatisé, qui ne l'a jamais été par un événement ou un autre ? Pas de quoi interner une enfant. Tout au plus aurait-elle dû être suivie de près et avec attention.
- Alors pourquoi l’avoir gardée ?
- Ça ne dépendait pas de moi, mais de la direction de l’époque dont je ne faisais pas partie. Malgré mes avis appuyés, ils ont insisté pour que nous la gardions dans l’établissement. Argent, stupidité, aveuglement ? Qui peut le dire aujourd’hui ? Quoiqu’il en soit, elle a sûrement vécu les pires années de sa vie, rythmée par le pavillon des enfants fous. Un monde empli d’angoisses pour une enfant. Alors, afin d'échapper à la réalité trop oppressante, elle a construit un monde interne fascinant… Ses « merveilles ».
A SUIVRE.
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