La tour du Sorcier

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Sous le soleil brûlant, celui qui se faisait appeler Âakhéperenrê regardait ses esclaves travailler sous l'ombre de la tour. Malgré l'obscurité qui les cachait, ils avaient la peau brûlée par la canicule, tel de pauvres paysans. Âakhéperenrê avait lui une peau lisse et légèrement huilée ; un homme qui n'avait jamais travaillé, un homme qui vivait sous une ombre oisive et naïve des gens qui vivaient en-dehors de leurs gens.

On l'appelait le Sorcier, autoproclamé Âakhéperenrê ; signifiant la grandiose manifestation de Rê, Dieu du soleil. Mais lorsque que personne n'était là pour l'entendre certains l'appelaient Apophis ; démon personnifiant le mal, ennemi de son Rê adoré. Personne ne connaissait son vrai nom. Comme unes espèce de créature apparu soudainement sur Terre.

Âakhéperenrê ou Apophis, un homme sans nom ; un Dieu nouveau et inconnu. Et pourtant, il avait dans ses mains tous les esclaves d'Egypte. Le Sorcier, on l'appelait également ; car il avait une emprise telle que l'on aurait dit qu'il avait lancé un sort sur l'Empire entier. Un sorcier apparu comme par magie, comme une brise douce soudaine ; ou plutôt une tempête brusque et rapide. Certains l'adoraient et l'adulaient, au point qu'ils oubliaient leur statut assujetti ; se voyant comme de fiers serviteurs d'un Dieu bon. D'autres le haïssaient, priant les vrais divinités afin qu'il soit puni de son orgueil et de son imposture.

Quoi qu'il soit, le Sorcier avait une maîtrise sur toute la population. Tout le monde le suivait, comme ensorcelé. Il n'y avait plus d'Âakhéperenrê ou d'Apophis ; il n'y avait plus que le Sorcier. Un ensorceleur qui utilisait sa magie noire sur tous. Un Sorcier avec une ambition : construire une tour qui toucherait le ciel et les dieux ; pouvoir survoler au-dessus des mortels avec eux ; une ambition à la hauteur de son égocentrisme.

La tour se construisait depuis des années maintenant et personne n'en voyait le bout.

« Le sorcier nous esclavage, et pour quoi ? Pour de sales superstitions qu'il n'atteindra jamais. » dit un pauvre esclave.

Tout le monde le regarda, surpris. Personne n'osait parler mal du Sorcier, et surtout sur un tel chantier divin. Mais soudain leurs yeux parus apeurés et leurs bouches s'agrandirent de façon grotesque. Certains commençaient même à fuir discrètement.

Le pauvre esclave se retourna alors, voyant les faces décomposées de ses confrères. Qu'elle n'en fut pas sa surprise – et sa frayeur – de voir le Sorcier se tenir derrière lui, l'air grave et à la fois mesquin d'une personne qui s'apprête à jouer un mauvais tour.

« Des superstitions. Dis-moi, as-tu déjà reçu la visite des dieux ? Une illumination ? Moi, oui. Les dieux me sont apparus dans un rêve et ils me parlaient, à moi. Je suis devenu leur vassal, comme vous êtes mes vassaux à moi. Et ils m'ont confié que je n'étais pas être humain, mais dieu comme eux. Et ils m'ont ordonné d'élever la plus grande tour pour pouvoir les toucher eux et les cieux. - Si tu es un dieu pourquoi es-tu coincé ici-bas avec nous ? »

Le Sorcier gifla violemment le pauvre esclave, avec une telle force que ce dernier tomba dans la poussière.

« Qu'est-ce que tu dis de ça comme réponse, pauvre fou ? Relevez-le. » Des esclaves se ruèrent vers lui et le firent remonter sur ses jambes encore flasques.

« Donnez-moi mon fouet. »

Un homme mieux habillé que les autres apparut avec un fouet immense. Il le donna au Sorcier en lui tirant une révérence avant de s'écarter.

Le Sorcier brandit son fouet haut dans le ciel, le faisant claquer dans les airs quelques fois avant de s'écrier :

« Sois puni par les dieux, toi ! »

Il le fouetta plusieurs fois jusqu'à ce que le dos de l'esclave ne fut que des lambeaux de sang rouge. Il criait aux dieux, priant de punir cet hérétique et de leur venir en aide mais il ne reçut que de vigoureux coups de fouet en réponse. Finalement, le Sorcier sembla s'être calmé de sa folie et s'arrêta subitement, faisant tomber son arme à terre.

« Que cela vous serve de leçon à tous ! Personne n'ose défier les dieux, personne ! » Après cela, plus personne n'osa défier le Sorcier. Tout le monde le maudissait mais nul ne voulait se frotter à lui et son fouet.

Nul à part Ânkhtyfy. Son nom signifiait « celui qui vivra » et il le portait bien. C'était le plus vieil esclave et il réussissait à survivre malgré son âge alors que d'autres hommes plus jeunes et vigoureux avaient péri. Ânkhtyfy commençait à monter une révolte en silence. Il tenait régulièrement des réunions dans le secret, prenant le soin de ne garder aucune trace de son passage. Il savait que ses fidèles ne parleraient pas, il leur faisait confiance.

« Peuple d'Egypte, » s'exclama-t-il « le règne du faux dieu va bientôt prendre fin. Je l'ai vu dans un rêve, un preux héro va nous venir en aide et va bientôt nous libérer

- Ânkhtyfy, l'héros ! s'exclamait son audience

- Non, je ne suis qu'un simple mortel et les héros sont des êtres divins. Mais je saurai le reconnaître parmi nous. Nous devons encore être patients.

- Et combien de temps encore, s'écria un homme dans la foule. Tu n'es pas le seul à promettre un futur salvateur, et pourtant nous sommes toujours là. Je ne crois plus en ces fables.

- Je sais que vous désespérez mais il faut encore être patients. Nous devons montrer aux dieux notre force, ils nous viendront en aide.

- Que des paroles.

- Tu perturbes notre réunion ; nous n'avons pas besoin de toi et de ton pessimisme. Sors ou je te ferai sortir par moi-même. »

L'homme partit en jurant sur les dieux. Le peuple entier en avait marre d'attendre et était fatigué mais il n'avait plus personne sur qui compter à part Ânkhtyfy.

« Ecoutez, je sais que vous croyez mais que vous avez perdu votre foi. Le ciel sera toujours trop haut pour le Sorcier, jamais il ne pourra toucher même les étoiles et les dieux le puniront pour ça. Je sais que vous perdez votre foi mais je vous jure de vous la rendre. »

Certains prenaient alors Ânkhtyfy pour le nouveau dieu sensé les sauver. Il leur arrivait de lui donner de petites offrandes, comme leur ration de nourriture ou d'autres cadeaux. Un véritable culte s'était fondé autour de lui et bien qu'il ait proclamé qu'il n'était qu'un Homme il appréciait ces intentions et ne les empêchait pas. Un jour, l'homme qui s'était dressé contre lui vint le voir et lui dit :

« Je vois ce que tu fais là, tu te prends pour le Sorcier. Tu n'es pas mieux que lui, tous les deux vous vous prenez pour ce que vous n'êtes pas ; des divinités. Vous paierez tous les deux, mais toi en premier pour donner à notre peuple des espoirs vains. » et il partit sur ces mots énigmatiques.

La nuit-même Ânkhtyfy fut pris de sa couche par des gardes du Sorcier. Il se réveilla dans la tente de ce dernier. Des lumières maléfiques émanaient de grandes torches posées au sol.

« Alors, comme ça tu montes une rébellion contre moi ? Ton dieu et empereur ?

- Tu n'es ni dieu ni empereur et tu vas payer pour tout ce que tu as fait à notre peuple.

- A mon peuple, oui. Tu sais ce que cela coûte de défier un dieu ? - Je sais ce que coûte de défier un imposteur hérétique comme toi.

- Bien, ne sois pas donc surpris si tu te fais poignarder par mes hommes. » Et sur ce, un des gardes brandit une arme qu'il enfonça entre les côtes d'Ânkhtyfy. Un cri inhumain s'échappa dans la nuit et réveilla la plupart des esclaves. Tous savaient de quoi il s'agissait, mais tout le monde ne fit comme de rien n'était. Comme si Ânkhtyfy n'avait jamais existé.

Les années défilèrent comme les autres, dans la souffrance. Puis un beau jour la dernière pierre fut érigé. La tour dépassait les nuages et on ne pouvait pas en voir le bout tellement elle était immense mais elle était enfin finie. Des décennies de labeur et de souffrance venaient d'être achevées et le Sorcier était devenu un bien vieil homme, mais toujours aussi puissant. Il se tendait devant ses esclaves, droit comme un i.

« Mon cher peuple, vous avez enfin terminé votre devoir. La tour est finie et vous allez bientôt pouvoir témoigner de ma divinité. Je vais monter tout en haut de cette tour et je vais sauter jusqu'à voler et pouvoir toucher les cieux ; pouvoir voir les dieux et être parmi eux. Soyez tous témoins. » Le Sorcier monta les premières marches et tous les yeux se braquèrent sur lui. Après des heures, il arriva en haut et son immense ombre se projeta sur le sable fin, recouvrant tous ses sujets comme sa dominance les gouvernait tous.

On ne voyait qu'un petit point haut dans le ciel, mais tout le monde ne voyait que le Sorcier. On pouvait le voir marcher avec fierté et une certaine lenteur, comme s'il craignait tout de même quelque chose. Il avança jusqu'à être au bord du gouffre. Le temps sembla s'arrêter un moment et tous les esclaves retinrent leur respiration. Est-ce que leur dur travail avait payé ? Est-ce que le Sorcier était ce qu'il prétendait vraiment être ? Un dieu ? Tout le monde ne vivait que pour cet instant.

La silhouette du Sorcier s'immobilisa un instant, pendant un temps qui parut une éternité tant tout le monde était impatient de voir le verdict.

Puis, enfin, il sauta.

Il parut léviter un instant dans les airs, comme s'il volait mais il tomba bien réellement. Avec une vitesse vertigineuse. Sa silhouette se rapprochait de plus en plus du sol jusqu'à s'écraser platement contre le sable qui lui sembla si dur. Le Sorcier resta inanimé devant tous es sujets, le temps semblait s'être arrêté et personne ne dit mot.

Etait-ce bien réel ? Le Sorcier était mort, mort de son orgueil. Il avait manipulé tous ces gens par leur foi, et maintenant ils l'avaient perdu à jamais. Personne ne pouvait croire ce qui s'était passé mais pourtant c'était bien réel.

Mais une certaine joie s'installa tout de même. Le règle du Sorcier était fini. Plus personne ne serait sous sa tyrannie. Mais où allaient-ils aller maintenant ? Ils avaient perdu leurs dieux, leur foi, leur vie. Ils n'avaient plus rien à faire maintenant sur cette terre.

« Rends-nous notre foi, » disaient-ils. « le ciel était trop haut pour toi. »

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