Comicsboris
Une vingtaine de nouvelles écrites en 25 ans. Juste pour le plaisir.
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"J'aime" reçus
Œuvres
Une aventure avec des mouches, des nurses, du sexe, des dizaines de milliers de morts, des clandestins, des déserts, des océans, une usine, des champs, un mariage, du bricolage, des substances illégales et un aventurier intègre et valeureux !
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Ce fut mon plus bel été. Ou peut-être le pire. C’était il y a 17 ans. J’étais lycéen et suivais, sans doute pour la dernière fois, mes parents sur leur lieu de vacances. L’année suivante m’attendait, à n’en pas douter, la liberté et la découverte des plaisirs de la majorité, vitre ouverte, cheveux au vent, permis de conduire en poche.
Les premiers jours du séjour, je passais mes après-midis à hanter d’une aura cafardeuse la chambre qui m’avait été octroyée en lisant et relisant les poèmes de Raymond Carver. Parfois ponctuées de quelques suées dues aux sauts endiablés effectués au son de Miss You des Rolling Stones auxquels je m’astreignais afin d’éviter de sombrer dans un état léthargique, ces lectures me transportaient dans une humeur mélancolique tout autant délectable que terrifiante.
Lassé d’entendre à longueur de journée la rengaine de ma mère se lamentant de me voir à peine sortir de ma chambre, je lui offrais chaque soir le plaisir de m’éclipser gouter la douceur de la fin de l’été en bord de mer. La location se trouvant à l’écart de toute vie active et festive, j’errais sur les chemins de la lande bordant la maison et caressant sur des kilomètres la dune nous séparant de la mer. Terriers de lapin et bruyères accompagnaient mes errances nocturnes répétées où je me rêvais parfois en Sherlock Holmes lunaire.
Ce fut le dixième ou onzième soir que l'habituel ressac berçant des vagues laissa émerger une voix à la fois douce et forte. Mue par le vent, la mélodie qu’elle produisait était accompagnée d’accords de guitare sèche et provenait d’un des vieux blockhaus tagués datant de la seconde guerre mondiale qui semblaient avoir été déposés là par un géant distrait. Je m’approchais sans discrétion et découvris une sorte de grotte sombre et abandonnée au milieu de laquelle trônait une fille pas beaucoup plus vieille que moi, ni beaucoup plus jeune d’ailleurs, assise en tailleur sur un tabouret bancal. La flamme d'une bougie soufflée par le vent luttait pour laisser paraitre un visage rond que recouvraient en partie des cheveux blonds bouclés. Je la devinais revêtant une veste en jean plutôt passée de mode, un tee-shirt blanc échancré et un short en toile. Malgré ma présence, elle poursuivit sa chanson jusqu’à son terme, laissant alors planer un silence un peu gêné, parfumé des effluves résiduels de la mélodie.
-Salut !, lâcha-t-elle, confirmant la douceur de sa voix et me gratifiant d’un sourire amical.
-Salut !, dupliquais-je sottement, sans savoir quoi rajouter.
Voyant mon tâtonnement maladroit, elle me proposa de m’asseoir sur un tabouret à peine plus présentable que le sien.
Elle s’appelait Margaux et se remit à chanter dans la lueur vibrante de la bougie. Ce fut notre premier moment magique.
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Lorsque le téléphone sonna, Ed venait d’avaler sa troisième tasse de café, assis sur la terrasse du chalet de la plage. Le soleil donnait déjà fort et la matinée était douce. Il rentra à l’intérieur du chalet et décrocha. La voix de Mary, la voisine d’Ever, son ex-compagne, traduisait un certain agacement, peut-être un peu de panique aussi. La fille d’Ever âgée de 8 ans venait de débarquer chez elle à l’improviste. Ever avait fait une nouvelle crise et l’ambulance venait de partir pour l’hôpital.
- Et que fait Sarah chez vous ? Personne ne s’en occupe ? questionna Ed, agacé à son tour.
- Elle a pris peur quand Ever a fait sa crise et s’est cachée. Elle n’est ressortie que lorsque le calme est revenu. Et la voilà chez moi ! Faut vous en occuper Ed !
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Lucy sortit de la douche, enfila un déshabillé rouge et se rendit sur la terrasse. Ed ne donnait pas signe de vie. Elle alla se servir une grande tasse de liquide noir. Posé à côté de la machine à café, un mot griffonné à l’encre bleue qu’Ed avait rédigé à la hâte, annonçait qu’il serait de retour le lendemain matin. Un problème avec Ever, concluait sommairement le court message impersonnel. Ever ! Un nom dont Lucy n’avait pas entendu parler depuis plusieurs années. Ever. Sa maladie mentale. Ses excès. Ses dérives.
Lucy alla s’allonger sur un transat de la terrasse. Le regard perdu dans l’immensité de la plage, elle se demandait pourquoi Ed était parti sans la réveiller et sans lui expliquer son départ de vive voix. Ever était un sujet qu’ils n’aimaient aborder ni l’un ni l’autre. Pour Lucy, elle était l’ex encombrante et un peu barrée. Pour Ed, elle était le passé. Un passé trouble qu’il préférait ne pas évoquer. D’ailleurs, Lucy n’en savait pas grand-chose, à l’exception de ses problèmes psychologiques qui étaient en partie la raison de leur séparation.
Dans l’après-midi puis dans la soirée, Lucy tenta à plusieurs reprises de joindre Ed sur son téléphone. Lassée, elle se résigna à laisser un message, qu’elle voulut apaisant, ne souhaitant pas créer de tensions inutiles. Son sommeil fut loin d’être serein. Un vent s’était levé en soirée et des bruits inhabituels ponctuèrent sa nuit perturbée.
Lorsque la voiture de Ed apparut au bout du chemin, Lucy venait juste d’émerger. Assise sur la terrasse, elle suivit du regard la Ford avaler le chemin à vitesse réduite. Un nuage de poussière s’élevait dans son sillage. Ed gara sa Ford dans l’allée de gravier et descendit du véhicule qu’il contourna et alla ouvrir la porte côté passager. Lucy se redressa alors sur son fauteuil. Son cœur se mit à marteler dans sa poitrine.
- Viens, descends, dit Ed avec douceur.
La petite fille qui extirpa son corps de la Ford avait de longs cheveux blonds et revêtait une salopette jaune. Lucy se leva de son fauteuil mais n’approcha pas, pausant seulement sa tasse de café sur la table. Au loin, sur la mer légèrement agitée, telles des étoiles scintillantes, de minuscules surfers fusaient. Ed et la petite fille escaladèrent la poignée de marches qui menaient à la terrasse. Sa chemise auréolée de sueur, Ed ouvrit la bouche en premier.
- Je te présente Sarah. Ma fille.
Lucy fit une moue crispée.
- Bonjour, Sarah, se contenta-telle de dire, décontenancée.
- Sarah, voici Lucy, ajouta Ed.
La petite ne répondit rien, se recroquevillant sur elle-même. Ed voulut l’enlacer de son bras mais Sarah recula légèrement.
-Viens boire quelque chose, Sarah, lui dit Ed en rentrant dans la maison, sans accorder un regard à Lucy.
Quelques instants plus tard, Ed et Lucy se retrouvèrent sur la terrasse alors que Sarah s’installait dans la chambre habituellement destinée aux invités.
- Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? s’emporta Lucy. Pourquoi tu ne m’as jamais parlé d’elle, Ed ?
- Ca a toujours été compliqué avec Ever, tu le sais. Je n’ai pas vu Sarah depuis cinq ans. Ever ne voulait pas que je la vois. C’est un passé avec lequel je voulais couper !
-Tu disparais comme ça sans explication et tu débarques avec elle aujourd’hui sans crier gare ! Tu t’imagines que je ne vais rien dire ?
- Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Sa mère est à l’hôpital, il fallait bien que j’aille la récupérer !
Lucy repoussa brusquement son fauteuil avant de s’éclipser dans la maison.
Plus tard dans la soirée, le chalet résonna de cris que Sarah ne pu distinguer mais qui l’empêchèrent à coups sûrs de s’endormir. Lorsqu’elle se réveilla, le lendemain matin, le silence régnait dans la maison. Ed était assis seul sur la terrasse. Sarah prit place en face de lui. Sans un mot, Ed lui servit un verre de lait et approcha un bol de céréales. Une fois le petit déjeuner englouti par la petite fille, Ed dit :
- Habille-toi, je t’emmène à la plage.
Suivant le chemin bordé de palissades en bois, un cerf-volant sous le bras, Ed guida Sarah vers la plage de sable fin. Le vent s’était levé. A mi-chemin entre la dune et la mer agitée, Ed déplia le cerf-volant. Le maintenant entre ses mains, il en glissa les poignées entre celles de Sarah. Tirant puissamment, les bras frôlant ceux de la petite fille, Ed tenait fermement les fils.
- Laisse-moi faire toute seule, papa ! dit alors Sarah.
Ed relâcha doucement les poignées et laissa Sarah se débrouiller seule. Il se recula et l’observa un long moment, les cheveux virevoltants. Et il pensa qu’il n’avait pas passé un si bon moment depuis bien longtemps.
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