Maxime-Axel
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– Assez !
Le métal, aiguisé comme jamais, venait de trancher la chair, proprement.
– Assez !
Le cri fut rauque et incontournable. Le silence qui s'ensuivit, immédiat. Silence de stupeur. On eût dit que le temps avait suspendu son vol, comme par crainte de troubler l'intensité du moment. Plus personne n'osait bouger, parler encore moins. L'instant était comme magique, l'air saturé d'une telle rage qu'il en semblait plus lourd, presque solide, comme palpable.
Le cri avait paralysé tous les mouvements. Les personnes présentes dans la pièce n'osaient pas exprimer leur surprise par autre chose qu'un échange de regards entendus. Ce regard qui en disait long. De ceux qu'on échange en silence quand on assiste à l'extraordinaire.
Le cri fut rauque et incontournable. Extraordinaire. Celui qui l'avait poussé était tendu de la tête aux pieds, tous les muscles contractés comme ils ne l'avaient jamais été de sa très courte vie. Mais ce n'était pas cela qui avait pétrifié tout le monde. Son visage était violacé à la limite du naturel pour un être humain. Mais ça non plus, personne ne semblait s'en étonner. Ses yeux bleu ciel prirent subitement une couleur noir jais qu'il garderait pour le restant de sa vie. Personne pour remarquer cette métamorphose. Son corps frissonnant était recouvert de sang, ses mâchoires plus serrées que jamais.
Mais l'extraordinaire était ailleurs.
Passé le court instant de stupeur, vint un moment d'embarras. C'est comme dans ces passages, rares, de l'existence durant lesquels l'impossible s'invite dans notre ordre établi. L'impossible, ce genre d'invité non convié, non voulu, qui bouscule notre trop confortable façon de voir les choses.
Les gens qui entouraient l'auteur des cris firent ce que toute personne saine d'esprit et voulant le rester aurait fait : elles travestirent ce qu'elles avaient entendu. Elles refusèrent l'impossible. Ainsi se persuadèrent-elles que le cri qui avait fusé et les avait stupéfiées ne signifiait pas ce qu'il signifiait. C'était impossible, plus même, il était ridicule de penser que le tranchant du métal qui avait incisé sa chair ait pu être à l'origine de ces deux syllabes. Ces syllabes avaient plus que certainement été produites par hasard. Cela ne pouvait être autrement.
Ici, s'en convainquirent-elles sans échanger un seul mot, « Assez ! » ne signifiait pas « Assez ! ». Le cri était dû au hasard. Il n'y avait rien à redire. Personne n'avait jamais à leur connaissance crié « Assez ! » à ce passage douloureux de l'existence, et ce qu'ils avaient cru entendre, ils ne l'avaient, pour ainsi dire, pas entendu.
Haussement d'épaules des uns, haussement de sourcils accompagné d'une moue de la bouche des autres et le cri primal fut bientôt oublié.
Parce qu'un nouveau-né ne pouvait pas crier : « Assez ! » au moment où on lui coupe le cordon ombilical. Un nouveau-né ne savait pas parler. Il fallait des années d'expérience pour apprendre le langage des mots.
Tout revint à la normalité alors. La sage-femme de s'occuper du placenta, l'infirmière de confier le bébé à sa mère, le père de remplir son rôle fébrile de spectateur de père et la mère de sortir son sein pour le présenter au bébé. Le bébé de s'endormir d'un sommeil brutal.
Pourtant...
Pourtant, le cri avait bien un sens. Anselme, tel était le prénom improbable du bébé, avait bien exprimé ce qu'il voulait exprimer.
Son cri marquait une saturation, sa venue au monde était un refus.
Telle fut l'extraordinaire et banale naissance d'Anselme parmi les hommes.
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« Axel, debout, c'est l'heure, entonna la voix toujours mélodieuse de sa mère. »
Le jeune adolescent émit un inaudible son guttural et s’enveloppa plus profondément dans ses couvertures. L’hiver se montrait rigoureux dans le Royaume Fédéré des Trois Rivières. Glacial et humide. La fenêtre de la chambre d’Axel laissait plus passer le froid que la lumière et il n’était pas rare que les températures y soient négatives. Sortir de son lit constituait le premier exploit de sa journée. Seule l’odeur des beignets et du lait chaud au miel préparés tous les matins par sa mère lui donnait assez de courage pour braver les morsures du froid et gagner la cuisine deux étages plus bas.
Axel se leva, sortit de sa chambre, fut en quelques bonds félins au rez-de-chaussée. C'était son jeu. Ne pas faire un bruit en descendant des escaliers, se placer silencieusement dans le dos de sa mère et attendre qu'elle l'appelle une deuxième fois pour la surprendre d'un « Bouh ! » habituel. Le plus difficile étant toujours de faire craquer le moins possible les marches de ce vieil escalier en colimaçon. Il y parvenait toutefois avec de plus en plus d'aisance et se surprenait lui-même à être aussi silencieux. Depuis trois-quatre mois, il prenait parfois appui le long de la partie centrale avec ses mains et posait ses pieds avec retenue sur les murs en maçonnerie. Il devait tendre ses muscles au maximum pour avoir une surface de contact assez importante et ne pas chuter. Des capacités athlétiques qu'il développait facilement pour en posséder naturellement d'exceptionnelles. Il le savait et ne s'en étonnait plus.
Le premier étage de la maison était occupé par deux grands espaces que séparait la cage d'escalier. A droite, l'immense cuisine, qui faisait aussi office de salle à manger, était pourvue d'un superbe corps de cheminée de quatre mètres de long. A gauche, l'atelier de son père, qui y travaillait déjà.
Axel glissa son corps souple et musclé dans l'embrasure de la porte de la cuisine sans un bruit. Il adorait s'approcher d'elle en silence pour le premier câlin de la journée. Il retint sa respiration et fit trois pas dans sa direction quand elle l'interrompit :
– Bonjour, ma petite araignée !
Comment faisait-elle pour se rendre compte de sa présence ? Lui qui pouvait à mains nues attraper de petites bêtes sauvages dans la forêt ! Il l'ignorait et elle le fascinait pour cela. Elle se retourna et ouvrit des bras dans lesquels Axel se blottit.
Il prit ensuite son petit-déjeuner préparé par sa mère, dégustant chaque gorgée comme si elle était unique et se prépara pour se rendre à l'école du possible.
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Une onde, minuscule, me souffle à demi-mots
Les accents du bonheur,
Et les nuages passent, qui trouvent leur écho
A te reprendre en chœur.
Je ressemble à cet homme, qui, dans un rude hiver,
Artisan-forgeron,
Modèle dans la force et rythme dans le fer
L’empreinte du flocon.
Sa main, qui cogne dur, sa main, qui sait tenir
L’indomptable élément,
Sa main, toute noueuse, elle seule, sent venir
L’infime dénouement.
Tout son être durci accueille la matière,
Il respecte et transforme,
Ses yeux sembleront loin quand son regard-frontière
Fécondera la norme.
A sonder la pénombre, sa main le veut lumière
Cette lueur, énorme,
Qui fit de lui son lieu, il la tient en lisière
Et se joue de l’informe.
Et cette ligne neuve, il la sait écrouir,
Purement, simplement,
Peu d’élues la verront et viendra s’y blottir
Celle du cillement.
Ses gestes, nuitamment extirpés de l’enfer,
(Ainsi vit un dragon),
S’envolent patiemment et gagnent dans l’éther
L’éclat dans l’abandon.
Ainsi, dedans mon corps, une chaleur éclôt,
Je me veux créateur :
Effleurer puissamment ta douceur et, bientôt,
Brûler tout jusqu’au cœur.
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Défi
« Le gars est mort, il n’y a pas photo. » conclut mon père, meurtrier malgré lui. Pas de souvenir donc de cette journée de mariage qui vit l’union de mes deux parents. Le photographe était mort pour avoir flatté d’un peu trop près les formes généreuses de la mariée.
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Sa chevelure,
Je la voyais,
Elle, si pure,
Je m’en voulais
De rester coi,
Et cependant
Que faire ? Quoi ?
Et surtout quand ?
Elle était blonde,
Un élastique
Ornait son monde,
Tout en plastique.
Son monde blond,
Tout de cheveux,
Ses angles ronds
Et mes deux yeux
Ne savaient pas,
Ne savaient plus,
Ne savent pas,
Ne savent plus
Où regarder,
Car son regard
Se lézardait
Sur nulle part,
Et mes yeux fous
Cherchaient les siens
Tristes cailloux
Sans leur écrin.
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Balbutiant, tout en cœur,
Sous le pont des étoiles,
L’ange roux marmonnait :
Il enchantait ses voiles.
De son souffle moqueur,
Que créait son nez-toile,
L’ange roux marmonnait :
Si tu l’entends, crois-le…
Souvent, les soirs d’automne
Portent dans leur espace
Le souffle qui frissonne,
Chaleur, couleur de glace.
Et, quand l’éclair détonne,
Accepte que t’efface
Le souffle qui frissonne :
C’est l’ange roux qui passe.
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