C’était en novembre 1986, j'allais sur mes 13 ans, je rentrais à vélo d’une après-midi passée avec des amis. J’étais en retard, il faisait déjà nuit et l’humidité se répandait en nappes de brume au-dessus de la rivière. Ce fut d’abord comme un frémissement à peine perceptible, une brise froide remontant le long de mon dos, suivi d’un bourdonnement sourd. Je stoppais mon vélo, apeuré, agrippé au guidon, scrutant le pont face à moi dont l’autre extrémité disparaissait dans la brume et les ombres. Je n’osais plus respirer. J’attendais, immobile, que cette désagréable sensation disparaisse. Mais elle ne s’estompa pas. Et puis je les vis. Émergeant des eaux sombres en contrebas, fendant la brume en s’élevant lentement au-dessus de la surface. Des corps désarticulés, terrifiants, figés à jamais dans des positions grotesques, leurs visages blafards aux orbites mortes. Je sentais pourtant leurs regards démoniaques. Ils me transperçaient, aspiraient ma conscience. J’entendais leurs chuchotements effrayants résonner dans ma tête. Paroles incompréhensibles, mais dont je saisissais le sens : ils m’appelaient, me désiraient. Le pont et ses alentours, si familiers quelques instants auparavant,