Ben Pleeks
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Œuvres
I. IN PRINCIPIO ERAT VERBUM
« Au commencement était la Parole. »
Il était une fois au paradis, une prison ...
Une prison oui et pas n'importe laquelle ! d’une extrêmement haute sécurité ! Dans celle-ci étaient entreposée une dizaine de pots, ressemblant à des vases canopes finement ouvragés. Contenant les âmes de ceux qu’ils renfermaient, ils avaient en guise de couvercle une sculpture représentant des « visages ». « Gueules » serait un terme plus approprié à en juger par leurs ignobles expressions. En même temps, il ne s’agissait pas là de n'importe quelles âmes. C’était celles de « renégats » : des anges malfaisants dont on ne mentionne qu'à peine le nom dans la Bible. Oui, il y en a et pas qu'un peu ! Des âmes perdues, victimes de leur chemin sur la voie du vice. D’effroyables démons assoiffés de vengeance contre Dieu car ils n’acceptent pas le jugement qui leur a été rendu. Chaque vase était sécurisé par un dôme protecteur afin que nul ne puisse les toucher hormis le gardien ou encore Dieu lui-même. Ils étaient au nombre de seize exactement et dans la cellule close qui les abritait, le silence régnait en maître.
Cette prison avait pour gardien un séraphin. Un ange à six ailes, haut placé dans la hiérarchie des anges. Il avait de longs cheveux blonds sous lesquels se dissimulait un visage aux traits fins. De ses grands yeux verts émanait une certaine froideur. Veillant depuis un peu plus d'un millénaire sur les vases, il gardait cependant l'aspect d'un jeune homme. D’ailleurs il faut bien l'avouer, il s'ennuyait franchement. Dans cette cellule, il n’y avait pas grand-chose à faire. Au vu de l'état délabré des quelques objets l'entourant, cet ennui pouvait se traduire par de terribles accès de colère. Assis derrière ce qui ressemblait à un petit bureau de fonctionnaire bien abîmé, il paraissait gigantesque. Entouré de plusieurs centaines de croquis et d’un bon millier de livres éparpillés derrière et tout autour de lui, le gardien n'avait d'autre occupation que de dessiner, d'écrire ou encore de lire. Certains livres servaient d'ailleurs de pied de remplacement à la table du surveillant.
Il n'avait vu que peu de monde depuis que les hautes instances divines l'avaient placé ici. C'est à dire quelques jours à peine après son arrivée au paradis, sans avoir plus d'explications que cela, ne sachant plus précisément à quand cela remontait. C’est dire le moment qu’il croupissait ici ! Créer et s'instruire étaient devenus ses principales occupations. Qu'importe, il avait l'éternité devant lui. C'est dire le temps qu'il avait à tuer. Par manque de place, beaucoup de ses productions se perdaient sur le sol de la prison. Un vaste nuage laiteux, immaculé et vaporeux recouvrait intégralement la geôle.
Pendant qu’il s'affairait à sa nouvelle production, au fond de la cellule, un murmure vrombissant, s'insinuant dans la pièce, se mit à frémir dans l'air. Quelques vases se mirent à trembler sur leur socle. Cela eut pour effet d'interrompre le passe-temps de l'ange qui leva les yeux vers les contenants, ne remarqua rien d'anormal puis reprit son travail. Ses traits formaient le corps d'un ange muni d'une chevelure flamboyante et de deux ailes aussi sombres que puissantes plantées dans un corps musclé mais semblant garder une certaine légèreté. Avant d’achever son œuvre[jt2] , il prit quelques secondes de réflexion pour le visage et ferma les yeux. Aussitôt, il vit des flammes et entendit un crépitement. Il revint à lui et soupira. Mais le murmure lui-aussi revint et se changea en une rumeur qui fit danser les vases, sur leur socle, dans un vacillement frénétique. Une voix rauque et terrifiante fit alors entendre un message, à peine perceptible, annonciateur de mauvais présage:
« Ecoutez cette voix qui surgit des bas-fonds ; Appelant les damnés à la réunion. ».
A ces mots, le séraphin bondit de sa chaise et se retrouva entre son bureau et les stèles. Le blanc de ses yeux devint aussi noir qu'une nuit sans lune ; sa mâchoire se serra ; ses ailes se hérissèrent et ses veines se gonflèrent. Il s'avança au milieu des vases agités pour les reposer à une vitesse impressionnante. Mais un long sifflement semblable à une ultime expiration parcourut la salle, plus rapidement encore, emportant avec lui les derniers vases chancelants. Trois pour être précis. Hasard ou pas, ils tombèrent de leurs socles et quittèrent leurs champs de protection.
Avant même qu'ils n’eurent touché le sol, une bille enflammée s'échappa de chacun d'eux. Virevoltant dans la pièce d’une façon fluide apparemment aléatoire, les billes enflèrent en calots. Le gardien ne put les saisir craignant de déployer ses ailes au risque de renverser d'autres vases. Il levait et agitait les bras mais ne frôlait que du bout des doigts les petites sphères volantes. Rien à faire ! Les calots se groupèrent en triangle, se figèrent, ronflèrent ; vibrèrent comme retenus par une force invisible ; gonflèrent à nouveau pour devenir boules de billard, de pétanque, de bowling ; grondèrent encore puis percutèrent le sol, à une vitesse incroyable, le perforant comme une vulgaire feuille de papier.
Le surveillant jeta un œil dans les ouvertures puis regarda les noms gravés sur les stèles. Son visage se décomposa. Une alarme assourdissante vint rompre le silence. La lumière se mit à clignoter. Une voix s'éleva au-dessus du vacarme :
« SERAPHIN !!! »
Etait-ce Dieu qui tonnait ainsi ?
Oui c'était bien Lui qui, de ses immenses cordes vocales, appelait le pauvre gardien. Car Dieu sait tout. Tout ce qui se passe, en chaque instant et en chaque recoin de son gigantesque royaume ! Cette évasion ne lui avait certainement pas échappé...
« SERAPHIN !!! »
L'appelé sortit alors de la geôle pour rejoindre le trône. Derrière lui, les grilles se refermèrent violemment. Il sauta dans le vide pour déployer ses puissantes ailes blanches et dorées. Sous ses yeux défilaient de nombreux cumulus épais, comme éclairés de l'intérieur, semblable à des habitations aux murs vaporeux. Couvrant des hectares entiers, cela formait une gigantesque cité sculptée dans les nuages, nappée, çà et là, de lacs et de cours d'eaux. En son centre, un monumental pic, en haut duquel se trouvait le fameux trône. Le tout baignait dans l’éclatante lumière du soleil.
Tel un aigle, rapide et délicat, Séraphin se posa sur la grande plate-forme d'un blanc immaculé. Au milieu, à la place du siège divin, il trouva une table pittoresque et, assis face à face, deux hommes sans âge, auréolés, vêtus de toges. Ces tenues sont des signes distinctifs des plus hauts grades de la hiérarchie des anges. Allez savoir pourquoi, ils disputaient une partie d'échecs comme de bons amis. L’appelé jeta un œil perplexe à la table et regarda l’échiquier en pleine partie. Le jeu semblait un peu avancé puisque quelques pions étaient déjà tombés. Il s'avança vers eux et, dans un balbutiement :
– Heu... Excusez-moi... Je viens de...
– De la cellule des damnés ! coupa un joueur.
– Heu... oui. Je suis...
– Le Séraphin chargé de garder cette même cellule et... Tu l'as énervé... trancha l’autre.
– Ça faisait longtemps... reprit le premier.
– Effectivement... ponctua lourdement le second.
Séraphin resta alors muet. Il considéra les deux saints et remarqua à leurs traits qu'ils semblaient être des anciens. De là à savoir qui ils étaient… il n'aurait vraiment su le dire. En un instant, l’échiquier ainsi que la table sur laquelle il reposait se scindèrent en deux. Les joueurs se trouvant de chaque côté se virent alors placés côte à côte face au séraphin. Lors de la rotation ils se métamorphosèrent en sorte de guichetiers : uniforme, casquette sur la tête et clope au bec. Ils le considérèrent gravement puis entamèrent une explication à deux voix :
– Bon écoute, on ne va pas y aller par quatre chemins !
– T'es dans la merde, mon petit gars !
– Quoi ? ! S’étonna le petit gars.
– Écoute ! Il nous a chargés de ta punition…
– De t’envoyer en mission.
– Mission ou punition ? interrogea l’intéressé.
– Peu importe ! répondirent-ils d’une seule voix sans même un échange de regards.
– Alors quoi, une « pumission » ?!
– Si tu veux, éluda l’un des deux avant de revenir aux explications.
– C’est simple.
– Elémentaire.
– Tout ce qui est parti doit revenir.
– Le fait est que les évadés,
– comme tu l’as vu,
– ne sont pas n’importe qui.
– Nul besoin de te faire un cours.
– Ils vont vouloir rejoindre l’Enfer.
– Sois en certain !
– C’est ce qu’ils cherchent toujours à faire !
– Ils devront réaliser le rituel de la marque sur un corps pur dans un cadre dépravé.[jt4]
– Il leur faudra aussi, s’approprier la clef infernale pour accomplir ce dessein macabre.
– Tu peux être sûr qu’ils seront prêts à tout !
– Tu devras donc les arrêter et nous les renvoyer au plus vite, en évitant le maximum de pertes humaines…
Prenant conscience des conséquences de cette évasion, Séraphin était désarçonné face à la complexité de sa « pumission ». Les deux guichetiers le rappelèrent à la conversation :
– Tu comprends ?!
– Ne prends pas cet air si surpris !
– Vu que la faute t’est attribuée sans équivoque…
– Sa réparation te revient de droit.
– Voilà pour le point « instructif ». Bien entendu pour tout cela, tu vas devoir être rétrogradé.
– Un séraphin…
– Non, c’est clair, les humains ne sont pas prêts. Tu vas donc redevenir un ange de base avec les pouvoirs de base.
– Tu n’auras droit qu’à une seule renaissance, poursuivit solennellement le premier.
Une « Renaissance » ? ! Interrogea, perplexe, le subordonné.
– Lors de ta descente, ton cœur se remettra à battre. S’il s’arrête une fois, il repartira une fois. S’il s’arrête deux fois, tu reviendras, répondit l’un des chefs d’un ton grave.
– Ça c’est pour le côté dit « pratique », ponctua l’autre.
– Pratique… c’est vite dit. Perdre mes pouvoirs pour renvoyer trois êtres ancestraux qui eux n’auront de cesse de voir les leurs se décupler, marmonna le séraphin.
– Comment ?! S’exclamèrent les anciens. Répète ?!
– Non mais ce que je veux dire c’est qu’après ce que j’ai vu là-bas, ce que j’y ai subi et ce que j’en apprends depuis… Je n’ai pas vraiment envie de...
– Mon cher, on ne te demande pas ton avis.
– On t’ordonne de suivre nos indications.
– Tu es arrivé en l’an 330 selon l’actuel calendrier terrien, sous le règne de Constantin Ier.
– Tu te doutes bien que depuis le temps, les choses ont changé !
– Les gens ne sont plus les mêmes ; le monde n’est pas le même !
– Allez, Tempus fugit ! Et puis on a d’autres choses à faire ! conclut l’un.
– Saint-Pierre a raison… Pressons, insista l’autre.
– Si vous êtes Saint-Pierre ? Vous n’êtes pas aux portes du Paradis ?
– Depuis le temps que je suis là, j’ai tout de même le droit à des assistants, tu crois quoi toi ? Et puis, de quoi je me mêle ? répondit assurément Saint-Pierre.
Interloqué, il se tourna vers l’autre pour lui demander qui il était.
– Ça alors c’est la meilleure ! Je suis Saint-Jean ! Bougre d’âne ! Petit benêt ! Idiot bête ! On m’a souvent dit que les séraphins n’étaient pas fins mais toi t’en vaux deux facile ! Seigneur, es-tu sûr de vouloir envoyer ce pignouf sauver le monde ?! Parce que là… ce n’est pas gagné ! Beugla Saint-Jean.
– Ce n’est qu’un enfant… qui n’a que peu d’expériences, voyons… soyons raisonnables… accorda Saint-Pierre.
– Pardonnez-moi, Saint-Jean. Je ne voulais pas vous froisser… ça fait longtemps que je garde la cellule des damnés et je n’ai pas vu grand monde. À vrai dire, ça fait presque mille ans que je ne vois ni ne parle à personne… mais avant que ces trois… entités, ne s’échappent, j’ai entendu une voix, une voix macabre… répliqua confusément le séraphin.
– Ouais, c’est très émouvant mais pendant ce temps-là, le taf n’avance pas!
Cette dernière phrase n’était pas prononcée par l’un des apôtres mais par un autre être que personne n’avait encore remarqué. Pendant la conversation, il s’était approché. Ce n’était pas vraiment un ange… en fait, techniquement si, c’en était un puisqu’il avait des ailes. Mais la colossale montagne de muscles qu’il arborait, laissait peu de marge à ces dernières pour qu’elles puissent battre correctement et le faire voler. Il lévitait, tout au plus, en faisant un bruit de mouche… Il était, à la fois, inquiétant et ridicule.
– Qui êtes-vous ? demanda Saint-Pierre.
– Saperlipopette, c’est Dédé, la « Droite de Dieu ». glissa Saint-Jean.
– Quoi ? Comment ça… ? ! Mais c’est moi qui suis à la droite de Dieu !
– Faut changer les piles du sonotone, gamin. T’es bien à la droite de Dieu, son assistant. Tandis que moi, je suis SA droite, son exécutant, tu piges ? D’ailleurs il est temps d’envoyer le fautif réparer son erreur ! Direction le nid de guêpes ! ironisa la Droite de Dieu.
– Attendez ! Et si j’échoue ?
– Si tu échoues… Alors ils auront, sans doute, rejoint le diable et pourront créer un dogme. L’équilibre entre Paradis et Enfers sera rompu. Chose que le vieux cornu attend depuis tant de temps. Nous serons alors les témoins impuissants du tourment infernal de cette création divine qu’est l’humanité. Sois certain, qu’ils ne perdront pas de temps. Ils sont fourbes et féroces, ils commettront les pires atrocités. « En ces jours-là, les hommes chercheront la mort, et ne la trouveront pas ; ils désireront mourir, et la mort fuira loin d’eux. » (Apocalypse 9 :6 (Eh ! Mais il s’auto-cite le bougre !)). Tu sais comment nous les renvoyer. Tu seras seul face à eux. Ce sont les instructions, c’est ainsi.
– Non mais attendez, ils sont trois… ! S’écria le fautif ailé.
– Ils sont trois, c’est vrai mais ils ont peu de pouvoirs pour l’instant. C’est pour cela qu’il faut te presser. Si tu fais vite, tu auras beaucoup plus de chances de les neutraliser. Si quelques-uns de leurs réflexes reviendront vite, l’essentiel de leurs pouvoirs mettra beaucoup plus de temps à arriver. Et pour t’aider dans cette tâche, dans SA grande bonté, IL te remet ceci. Compléta Saint-Pierre.
Il remit au séraphin une chaînette argentée, à laquelle pendait une petite fiole finement ouvragée. Faite de verre et de métal, elle contenait une unique goutte d’un liquide limpide. Il lui tendit également un morceau de papier très fin plié en quatre. Le fautif observa les objets avec une perplexité certaine.
– C’est beaucoup plus solide et utile que ça en a l’air. C’est une « larme de Dieu ». L’ennui, avec cet élément-là, c’est que son utilisation est aussi imprévisible qu’improbable. À chaque fois que l’on s’en est servi, les effets ont toujours été différents… On ne peut pas connaitre à l’avance le pouvoir que chacune d’elle recèle mais, en général, c’est plutôt efficace.
– IL te transmet aussi ce billet. Garde-le avec toi, on manque de temps, tu le liras une fois arrivé. C’est du latin, tu verras, c’est facile à comprendre… D’ailleurs, en ce qui concerne ton arrivée, je préfère te prévenir, ça va être un peu douloureux. La chute sera longue mais normalement sans encombre.
– Bon, un « envoyé du seigneur », il faut l’envoyer ! Et de là où on est, il va falloir t’envoyer fort. Tu piges ? Interrompit Dédé.
– Mais je… Tenta le Séraphin.
La « Droite de Dieu », à court de patience, s’avança vers le séraphin et l’attrapa par le cou de la main droite. Il prit un bon élan, sauta puis retomba aussitôt, très lourdement sur le nuage, créant ainsi un passage à travers le sol vaporeux. L’être musclé y jeta de toutes ses forces le séraphin qui semblait alors avoir perdu connaissance. Une fois ce dernier passé au travers, le trou se referma et d’un seul coup tout redevint calme. Le guichet redevint table de jeu et les guichetiers des joueurs.
– Bon les petits vieux, c’est pas que je m’ennuie mais j’ai mon bain qui coule… bref bonne partie, salua la « Droite de Dieu ».
– Ouais bon bain Dédé! Répondirent poliment les deux saints… Apôtres.
– Poli mais peu délicat. N’empêche on aurait été plus long peut-être, mais cela dit nettement moins violent !
– C’est bien vrai ça, conféra Saint-Jean.
– Tout ce que j’espère, c’est que cette bande de malotrus en bas, ne fasse pas comme moi… ! confia Saint-Pierre.
– C’est-à-dire ? demanda Jean, surpris.
– Qu’ils le tiennent en échec… dit Pierre en faisant un signe de la tête vers la table.
Saint-Jean regarda la table et le jeu d’échecs. Un cavalier se déplaça seul et le roi tomba de lui-même… Il était bouche bée, constatant sa défaite, grommela puis claqua des doigts.
– J’espère, en tout cas, qu’IL sait ce qu’il fait en envoyant le petit… ajouta Jean tout en affichant un regard inquiet.
Instantanément, dans un épais nuage de fumée blanche, la table de jeu se transforma en un grand miroir. Les deux apôtres se placèrent devant mais au lieu de les refléter, la glace affichait un fond noir avec une longue tache blanche et brillante en son centre, qui s’étalait de plus en plus.
– Manquait plus que ça ! Le poste est cassé ! S’indigna Saint-Jean en tapant dessus frénétiquement.
– Mais non, regarde ! C’est le gosse, il n’est pas encore arrivé, rassura Saint-Pierre.
Effectivement, en y regardant de plus près, Saint-Jean remarqua que l’obscurité était constellée d’étoiles et que la longue tâche n’était autre que le Séraphin traversant l’espace en direction de la Terre.
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Bonjour, bonsoir,
Je vous invite, si ce n'est déjà fait, à lire les trois premiers chapitres du livre Le Paris Des Anges. Si vous en voulez un peu plus, je peux ajouter les trois chapitres suivants.
Je vous invite également à partager votre avis sur ce début d'oeuvre. Il s'agit du commencement d'un livre dont l'écriture touche à sa fin et est destiné à l'édition. Je profite donc de Scribay pour vous en partager le début et avoir des retours concrets et bienveillants (même si vous n'avez pas plus accroché que cela...)
Merci de votre attention, de votre temps de lecture et de vos retours!
A bientôt!
Ben Pleeks!
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II . A CAPITE AD CALCEM
« De la tête au talon ; de haut en bas. »
Pendant ce temps, au-dessus de la terre, évoluait, à vive allure, une gigantesque étoile filante à la teinte bleu-argent. C’était le séraphin qui tombait, toujours inconscient.
Dans l’immensité stellaire, pas de bruit, pas même un souffle. Derrière lui, des milliards d’étoiles étincelaient, des astres se croisaient, se frôlaient, se percutaient. Des galaxies tourbillonnaient sur elles-mêmes telles des toupies aux couleurs fabuleuses. Tout cela dans le silence le plus parfait et dans l’ignorance la plus totale du monde vers lequel l’envoyé se dirigeait. Face à lui, la Terre. De plus en plus grande et toute bleue.
Passé la thermosphère, les ailes qui étaient accrochées à sa tête s’enflammèrent et laissèrent apparaître son visage. Malgré le millénaire passé en geôle, il n’avait pas une ride, il avait grandi car il n’était qu’un enfant à son arrivée mais très lentement.
Une fois entré dans la stratosphère, le frottement de l’air s’accrut davantage. Les ailes placées au niveau de ses chevilles se mirent à brûler à leur tour. La chute était longue. Dorénavant d’apparence plus « humaine », le séraphin n’était plus. Ne lui restait qu’une paire d’ailes, il n’était plus qu’un ange, aux traits d’adolescents.
Les ailes perdues lui conféraient des pouvoirs spéciaux comme la furtivité et la clairvoyance mais il devait maintenant s’en passer. Les connaissances acquises dans les livres étaient les seuls pouvoirs dont il disposait en dehors d’une vue plus que parfaite et une force incroyable. C’étaient là les pouvoirs de base octroyé à un ange à son arrivée au paradis.
L’obscurité spatiale se souleva peu à peu, laissant apparaître une bouche fine ; un nez droit et un regard comme émergeant à peine du sommeil. Ses yeux commencèrent à s’ouvrir, on en devinait à peine la couleur. La lumière devint d’un seul coup aveuglante. Un épais bruit sourd retentit ensuite, puis plus rien. Le noir complet. L’ange était arrivé sur terre et pas n’importe où.
Suite à l’impact, un vaste nuage de poussière et de fumée envahit une grande place publique. Fortement fréquentée, cette dernière se vida très rapidement dans un vacarme terrifiant. Des cris, des pleurs, des évanouissements et un brouhaha assourdissant émanait de la foule terrorisée. Au milieu de toute cette agitation, on pouvait lire l’effroi sur les visages. Dire qu’une minute auparavant, le Champ-de-Mars était encore un lieu paisible, baigné de soleil où régnaient joies parentales, insouciances enfantines, roucoulades amoureuses et émerveillements touristiques.
Si le rire se communique ; la peur, elle, saisit corps et cœurs en un éclair. De la tour Eiffel s’échappaient des torrents de personnes qui, paniquées, se bousculaient pour fuir ce cauchemar soudain. Dans la cohue, on pouvait distinguer des mots comme « bombe » ; « attentat » ; « séisme » ; « mort »… la confusion et la panique étaient totales.
Les secours arrivèrent aux pieds de la tour, ajoutant au bruit présent le vacarme de leurs sirènes stridentes. Ils tentèrent de se frayer un chemin pour aider les blessés. L’affluence et l’état de frayeur des victimes s’extirpant du monument étaient tels que les accès se voyaient momentanément bloqués.
Les quelques policiers et soldats déjà présents sur le site lors de l’impact tentèrent de canaliser la foule pour en réguler le flot. En à peine plus d’une demi-heure, la grande majorité des blessés fut évacuée pour que le maximum de monde soit mis hors de danger.
Le nuage et le bruit s’étant quelque peu dissipés, un périmètre d’extrême sécurité fut installé tout autour du cratère, entre la tour Eiffel et le Champ-de-Mars. Très vite, on compta le nombre de victimes, il n’y avait qu’une cinquantaine de blessés dont six au pronostic vital engagé, aucun décès, cependant, ne serait prononcé suite à cet évènement-là.
A quelques kilomètres de là, dans un bureau de la base militaire de Villacoublay, un homme en costume sombre regardait des écrans avec grand intérêt. Sur un moniteur, des images satellites en direct de la zone de la tour Eiffel ; sur un autre, les informations en continu montrant un robot de déminage qui avance vers la crevasse ; la vue de la caméra embarquée de l’automate sur un dernier.
Il ouvrit un tiroir et saisit le téléphone qu’il contenait. Il ne composa aucun numéro. Après quelques secondes, il prit la parole :
– Monsieur le président, je prends en charge cette affaire.
Il raccrocha. Se leva. Enfila une paire de lunette noire. Saisit une arme et se dirigea vers la porte de son bureau.
Sur le lieu de l’impact, la police scientifique, la brigade de déminage et un lourd renfort de la police nationale et de sapeur-pompiers étaient arrivés et s’étaient installés en moins d’une heure. Le petit robot militaire dont la caméra était placée au bout d’un bras articulé, se tenait devant le gouffre. On apercevait, en retrait, une colonne de la BRI. Ils étaient cinq, lourdement équipés, derrière un bouclier et l’un d’entre eux tenait le dispositif de commande. La tension était à son comble. Ils attendaient l’ordre de leur chef. Le commissaire divisionnaire Oulacci, les tempes grisonnantes ; la moustache finement entretenue ; un très léger embonpoint relatif aux années de commandements laissait tout de même deviner un passé actif. Il se tenait à une vingtaine de mètres d’eux et avait dans une main un talkie-walkie.
– Qu’est-ce que c’est que ça encore ?! Bougonna-t-il au vrombissement d’un hélicoptère en approche.
Il se retourna et constata qu’un hélicoptère officiel se posait non loin derrière lui. Il comprit alors que son temps était compté. Il ne tiendrait plus les rennes très longtemps donc il s’empressa de donner un ordre.
Le bras tenant la caméra s’allongea, flash allumé, et pivota pour filmer l’intérieur de la crevasse. Le robot avança un peu plus tout en baissant son bras pour filmer sous terre.
Un bruit sismique se fit entendre sans que nul ne sache d’où cela provienne. Cela fit trembler le bras chétif de l’appareil qui recula de quelques centimètres. Deux autres battements semblables mais un peu moins forts, firent chavirer le silence angoissé. Les gens, surpris, sursautèrent en un cri. Ce fût-là, la renaissance de l’ange. Oui, déjà…
Un déchirant cri de douleur s’évada de la fosse et finit par faire frémir, à nouveau, les milliers de curieux amassés autour de la place. Le volume du battement continua de s’estomper peu à peu jusqu’à redevenir normal, silencieux. De la foule, retournée face à cet événement plus que troublant, s’élevaient de nombreuses questions. Personne ne savait ce qui se passait, pas même les autorités. Qu’est-ce qui avait explosé ? Quelque chose avait-il vraiment explosé ? Pourquoi rien n’avait réellement explosé ? Que s’était-il passé ? Pourquoi ici ? Pourquoi maintenant ?
La caméra robotique redescendit dans le gouffre mais ne put toujours rien observer de précis. Rivé sur l’écran de contrôle, le pilote de l’engin régla de nombreux paramètres pour tenter d’avoir un semblant de visibilité. Rien à faire. Quand tout à coup il s’écria :
– Oh Putain !
– Quoi ? !
– J’ai plus de signal, que de la neige !
Le robot se fit littéralement aspirer dans le trou comme s’il avait glissé. On l’entendit se fracasser. Sur l’écran on ne voyait plus rien du tout.
L’homme en costume sombre et lunettes noires sortit de l’hélicoptère et s’approcha du commissaire divisionnaire. Il avait le teint blafard et les traits tirés. Il marchait à une cadence militaire, fixant toujours son objectif d’un regard froid. C’était un homme austère, glaçant. Le chef de la BRI l’interpella :
– Colonel Bréguint… !
– Oulacci, laissez faire les professionnels !
Il adressa un ordre aux hommes descendus à sa suite de l’hélicoptère :
– Faites une première approche physique. Envoyez une « flash » en prévention.
– Bien mon colonel !
Les soldats évoluèrent en binômes vers le gouffre avec grande précaution. Plus les soldats avançaient, plus la foule retenait son souffle. Tous les yeux étaient rivés sur la scène.
Prêt à l’assaut, le groupe s’arrêta, en arc de cercle, à quelques mètres de la zone d’impact. Une grenade de type « flash » fut lancée par l’artificier. Lancée parfaitement, l’objet de forme cylindrique vint se placer directement dans le gouffre sans rebondir. Elle explosa trois secondes après, produisant une lumière aveuglante. Les militaires se resserrèrent rapidement autour du trou. Au même moment, le bitume se souleva dans un grondement gigantesque, produisant un nouveau nuage de poussière. Les soldats furent projetés à quelques mètres de là. Un nouveau vent de panique s’empara de la foule de curieux, la faisant fuir un peu plus encore.
L’être ailé jaillit du bitume d’un bond surprenant. Ses jambes puissantes et ruisselantes de sang peinaient à le maintenir debout. Ses ailes, écarlates et terreuses, l’encombraient plus qu’autre chose. Son corps, lacéré et marqué par l’impact le faisait souffrir. Son visage sanguinolent et boueux, stupéfia ses assaillants. Malgré son état second, il tenta de s’envoler.
Les soldats, eux, se relevèrent aussi vite que possible, leurs armes braquées sur l’ange et attendirent de nouveaux ordres. Le colonel Bréguint resta de marbre, inébranlable. Il fixa avec attention l’ange et s’avança, vers le gouffre, contre le vent dégagé par le battement d’ailes. Des rafales d’assaut militaire se firent entendre. Les balles de fusils fusèrent vers leur cible. L’officier, voyant les munitions impacter son corps et en ressortir sans engendrer de réaction particulière, sourcilla d’une façon peu commune à ses habitudes de militaire sûr de lui.[jt9] Après cette première salve, il réclama un « cessez-le-feu » immédiat. L’ange était totalement sonné. Ses oreilles ne percevaient qu’un bourdonnement. Sa vision perturbée par la grenade « flash », il ne distinguait que des silhouettes floues qui gigotaient dans tous les sens. Plus celle du colonel s’approchait, plus l’ange prenait de l’altitude. Ne prêtant guère attention au grand homme en costume noir, il se retourna face à la tour Eiffel. L’instant d’avant, on aurait pourtant cru qu’ils se regardaient l’un l’autre.
La tour, qu’il ne pouvait que deviner, lui semblait vertigineusement belle et d’une grandeur colossale. Presque au point d’en rejoindre le ciel ! Elle évoquait à l’ange le trône de Dieu mais de couleur brune. Toujours sonné, porté par ses ailes, il arriva lentement au troisième étage. Il tendit les bras pour saisir les barrières métalliques, se hissa sur une plate-forme, reprit un instant son souffle et arracha un grillage de sécurité d’une facilité quelque peu déconcertante. Une fois entré, il était totalement hors d’atteinte, du moins pour l’instant.
Au troisième étage, personne. Pas un son. Juste le vent. Le sang sur son corps avait partiellement séché durant son ascension et les plaies ne semblaient déjà plus si graves. Cela était dû à la « renaissance ». Lorsqu’un être envoyé sur terre se voit accorder une « renaissance » tous les maux ayant fait s’arrêter le cœur s’effaçent peu à peu ; « same player shoot again » en quelque sorte. Mais pour que le corps soit intégralement remis de ses blessures, il faut attendre quelques heures.
Un ange n’est pas mortel, mais il peut tout de même être blessé et renvoyé au Paradis ou en Enfer. Après cette entrée pour le moins fracassante, il s’assit et fit face au soleil couchant. L’ange se sentait exténué. Plus ses yeux se fermaient, plus le soleil disparaissait à l’horizon. Ou bien était-ce le contraire ? Après tous les rebondissements de l’après-midi, le temps, comme le disait Saint-Pierre, s’enfuyait…
Une fois ses paupières totalement closes, visions de flammes et bruits de crépitements lui revinrent. Cependant, la fatigue le terrassait tellement qu’il se vit, tout-de-même, rapidement conquis par les bras de Morphée. Plongé dans un sommeil sans songe, alors qu’habituellement il passait son temps à rêver éveillé, l’ange était au calme et se reposait. Au sol, le monde avait peur mais scandait férocement le contraire. Non loin de là, dans la cathédrale de Notre-Dame, une toute autre scène se jouait…
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