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Un séjour imprévu dans un hôtel à l'autre bout du monde, entre deux vols. Une escale pas vraiment décidée.
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Défi
Je ne pouvais pas y croire ! Ça a été un tel choc, je ne sais pas si je m’en remettrais un jour.
Notre rencontre aura été aussi brève que violente, pourtant l’adrénaline m’a donné l’impression que ça ne finirait jamais. J’ai eu tout mon temps pour la contempler dans les moindres détails. Son délicieux visage si pâle et le contraste des taches de rousseur. Son gloss si rouge dessinant sa bouche ouverte en un « O » de surprise. Sa chevelure brune aux mèches emmêlées par la brise. Les courbes de son corps, promesses de délices, si bien mises en valeur dans sa robe réglisse. Et ses yeux magnifiques, aussi ronds que sa bouche, l’air de me découvrir avec un étonnement subit.
Vraiment, j’en ai eu le souffle coupé. Je n’imaginais pas, il y a encore si peu, qu’un tel événement, eût bien pu m’arriver. Moi qui ne croyais pas tellement aux rencontres impromptues, j’ai bien dû réviser amèrement mon jugement.
Je la tiens dans mes bras, elle grelotte et elle tremble. Nous sommes coincés ensemble, pendant que la nuit entre, le froid également, dans ma voiture en ruine. Je la serre si fort en m’excusant vivement. J’ai eu un coup de foudre, juste avant qu’elle ne traverse le pare-brise.
Je lui souris tendrement, pendant que je contemple le reflet des gyrophares dans ses yeux qui s’éteignent.
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Défi
– Tu es sûre que ça va aller maman ? T’as bien retenu tout ce que je t’ai dit ?
– Mais oui enfin ! Ne sois pas inquiète, bécasse, j’ai déjà élevé des enfants, je sais encore comme ça marche. Allez, va t’amuser, profite un peu, ça va bien se passer.
– Tu crois que…
– J’en suis sûre ! Allez zou ! file avant qu’il ne se réveille et remarque que t’es partie, ça évitera un drame. Dehors maintenant, hop hop hop !
– Merci maman, t’es géniale, bisous.
– Comme à chaque fois que t’as besoin de moi va, bisous ma grande.
Mince, quelle conne, c’est la première fois que je laisse Marius depuis qu’il est né et j’arrive quand même à culpabiliser. Courage ma fille, c’est pas le moment de gâcher tout ce temps libre, haut les cœurs ! Enfin, haut-le-cœur, vu que je suis toute seule. Bof, c’est nul au singulier, ça fait plutôt envie de vomir. Ce soir c’est le grand jeu, ça fait longtemps que je me suis pas sentie un peu remplie différemment, un peu plus satisfaite et épanouie, j’ai hâte !
Demain je n’irai pas bosser avec des traces douteuses sur ma veste, ou exhalant un léger fumet de lait caillé ou de vieux fromage. Faites des gosses… ils vous le rendront avec allégresse. Demain je vais pas bosser, et je vous emmerde ! Je vais m’en mettre ras la gueule, ça va être génial !
Tiens, en parlant de traces douteuses, ça me rappelle l’autre fois dans le placard, à la soirée d’halloween. Je suis toujours pas sûre que c’était bien Louis, trop de mojito et d’obscurité c’est pas bon. Les déguisements ça aide pas. Ah merde alors, rien à foutre de ce connard, tant pis si c’était pas lui, il s’est barré, alors quelle importance ? C’était chaud quand même, dommage qu’il soit venu un peu vite, j’en aurais bien profité un peu plus moi. Chlo et ses idées à la con, elle devait bien avoir une idée derrière la tête en lançant cette idée de cache-cache bourrée à deux heures du mat’. A mon avis, ses jambes aussi ont dû se retrouver derrière sa tête…
Je suis déjà arrivée ! Faut arrêter les souvenirs en conduisant, je sais même pas par où je suis passée pour rentrer, la conduite automatique, c’est pas terrible. Oh-là-là, ça fait presque deux ans cette histoire, et te voilà toute émoustillée par un vieux souvenir. Ma pauvre, va falloir te remettre en selle.
Oh non, ça fait à peine deux heures que je suis partie et j’ai déjà les seins gonflés à bloc, putain ça fait mal ! Pfff, quelle fontaine, j’ai encore inondé mon chemisier avec ces saloperies de coussinets qui tiennent pas, à croire qu’ils les ont jamais essayés les génies qui ont inventé ces trucs-là. J’ai l’impression d’être une vache laitière. Avec tout ce que je produis, je devrais faire des fromages et les vendre au marché, tiens. Un coup de tire-lait et ça ira mieux. La prochaine qui me parle d’allaitement je lui fais bouffer ses dents. Et j’irai lui tripoter les nichons, elle verra comment c’est agréable pendant cette période. Et voir la gueule de son mec quand il se fera rembarrer quand il les approchera de trop près prétextant un massage pour la soulager. Ouf, ça va mieux maintenant.
Un petit tour sur mutique, le site de rencontre des gens peu loquaces, avec un peu de chance, je trouverais peut-être un mec bien, ça changerait. Pas évident de nouer le dialogue. Faudrait éventuellement que je change ma formule d’accroche, j’ai copié sur les autres, mais c’est moyen quand même : « je sais ce que je veux et ce que je ne veux plus, si tu ne rentres pas dans mes critères de sélection qui font de toi Orlando Bloom ou Ryan Gosling, je ne perdrais pas de temps à te répondre ». On se croirait dans un supermarché à choisir un bout de viande. C’est pas perdre son temps que de prendre trente secondes à dire : « merci pour ton message, mais n’insiste pas, tu ne corresponds pas vraiment à mes attentes ». Il y a des personnes à l’autre bout, pas seulement des paquets de bits. Faire preuve d’humanité ne me semble pas superflu. Je vais améliorer ma com, ça fera pas de mal. Tiens, ce gars-là à l’air plutôt bien. Bon, ben j’ai plus qu’à espérer qu’il m’envoie un message, soyons attentiste.
Allez, je continue à m’occuper de moi. Un bon décrassage et un bon ramonage te feront le plus grand bien, hein ma salope, ça fait longtemps que t’en rêves, au boulot maintenant !
J’expédie vite-fait les préparatifs, et plouf, au jus. C’était pas mal comme idée la planche en travers de la baignoire pour y poser un verre de vin et quelques douceurs. Rien à cirer des pétales de roses par terre, c’est moi qui devrais les balayer après. Les bougies c’est sympa, ça fait ambiance panne de courant, ou placard d’halloween, c’est selon. Voilà, y’a assez d’eau et de mousse maintenant. Hop mon canard jaune, hop une serviette confortable pour se caler la tête et c’est parti !
Merde, j’aurais pas dû me regarder aussi longtemps à poil dans le miroir, tu fais un peu champ de bataille ma cocotte. C’est plus un rasoir qu’il va te falloir pour remettre de l’ordre, mais une débroussailleuse. M’en fous, pour l’instant, ça intéresse personne. J’ai morflé avec la grossesse, mais bon ça va continuer à s’améliorer, je suis encore baisable. Juste un peu d’ordre à mettre pour que ça se remarque. Baisable ou désirable ? Oh c’est bon, on n’est pas des princesses, baisable, c’est décidé. Désirable c’est pour avant la baise. Là j’ai plutôt envie de cul si je m’écoute un peu.
Rahhhhh, ça fait du bien nom de dieu ! Position de croisière dans la baignoire avec tout ce qu’il faut. La tête bien, calée, les mains posées entre les cuisses, une gorgée de Maury et une bouchée de chocolat noir de temps en temps et on y retourne. Oh bordel que c’est bon ! Comment c’est bien ! J’ai envie de gueuler comme un veau tellement ça soulage.
Ça fait plus d’une heure, l’eau est froide, j’ai fini la bouteille et je suis un peu beurrée maintenant. Va falloir passer aux choses un peu plus sérieuses.
Rinçage et séchage rapide. J’enfile quelques dessous affriolants rien que pour moi.
Je me glisse dans mes draps frais, changés de ce matin, avec mon matériel préféré, et allons-y pour une nuit d’expérimentation.
Déjà quatorze heures ! J'ai ronflé comme un sac plus de douze heures. Je suis bien dans mon t-shirt XXL trois fois trop grand et mon immonde culotte trouée trop confortable. J’avais encore jamais lu de roman policier, ce sera pour une autre fois, je me suis endormie au nom de l’auteur.
Quelques jours rien que pour moi, faire la sieste dans la baignoire, dormir et lire sans interruption. Me reposer un peu, m’occuper de moi. Franchement, c’est mon fantasme depuis l’accouchement.
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Mazette, quel coup de pompe ! T’es fatigué, qu’est-ce qui se passe ? Non non, je viens juste de me faire échauffer l’arrière-train par une godasse égarée. Ah, mais sait-on d’où vient-ce ? Probablement la pompe à Dour, voilà quelqu’un qui ne va pas tarder de se prendre une pompée ! Salope de marquise, avec ses grands airs, elle le mériterait bien. Mais non, pas la marquise, Dour, son chauffeur ! C’est pourtant bien elle que Pompée pistonne, qu’est-ce que Dour vient faire là-dedans ? Pompée, le type au phare sale ? Ben oui, le pauvre Dour n’a jamais eu le temps de finir le nettoyage, du coup, Pompée a dit de laisser comme ça, en souvenir de l’événement. Qu’est-ce qui s’est passé ? Il traînait les bars au lieu de nettoyer, le pauvre s’est fait molester et a récolté un bon paquet de beignes, un vrai massacre.
Ah oui, au rade Dour surglane ! C’est pas ça qui va tirer cette pompe au net. Oui, ça commence à pomper l’air tout ça. Tu m’embrouilles à tout confondre, ça commence à me gonfler prodigieusement. Ma parole, t’es aussi irritable que l’autre là, le Pompée gonflable ! Ahhhhhhh, je vais commettre un meurtre ! Hmm, cette histoire commence à s’orienter vers de sombres auspices, je sens poindre les pompes funèbres. J’ai pas vu la couleur de la chaussure, l’attaque sournoise est venue de dos. On pourrait aller voir Dour et essayer de lui tirer les vers du nez, l’inviter à boire et manger, le distraire pour lui poser des questions. C’est pas gagné, avec son klaxon, il ne fait que des sonnets. Et toi avec ton esprit chevaleresque, il faut faire comme si tout était une cérémonie en grande pompe ! Mon fondement l’estime bien à du 45. Tiens d’ailleurs, voilà l’ustensile du délit, allons confondre la pompe à Dour afin d’y voir plus clair.
[…]
Oh, merci de l’avoir retrouvée messieurs, je l’ai perdue ce matin lors d’un virage un peu brusque. Du coup je la cherche et me voilà fort marri depuis quelques heures. Alors, c’était la pompe à Marie mal amarrée et non celle de Dour chauffeur de la marquise ? Si c’est la même, Dour en était marri, maintenant il est de retour, même s’il est en retard ! La marquise et Pompée ne pomperont plus Dour, lui qui claque sonnets à longueur de jour. Voilà, l’histoire a fini par exploser au grand jour, c’est juste une pompe à retardement.
Ah oui, au rade Dour surglane ! C’est pas ça qui va tirer cette pompe au net. Oui, ça commence à pomper l’air tout ça. Tu m’embrouilles à tout confondre, ça commence à me gonfler prodigieusement. Ma parole, t’es aussi irritable que l’autre là, le Pompée gonflable ! Ahhhhhhh, je vais commettre un meurtre ! Hmm, cette histoire commence à s’orienter vers de sombres auspices, je sens poindre les pompes funèbres. J’ai pas vu la couleur de la chaussure, l’attaque sournoise est venue de dos. On pourrait aller voir Dour et essayer de lui tirer les vers du nez, l’inviter à boire et manger, le distraire pour lui poser des questions. C’est pas gagné, avec son klaxon, il ne fait que des sonnets. Et toi avec ton esprit chevaleresque, il faut faire comme si tout était une cérémonie en grande pompe ! Mon fondement l’estime bien à du 45. Tiens d’ailleurs, voilà l’ustensile du délit, allons confondre la pompe à Dour afin d’y voir plus clair.
[…]
Oh, merci de l’avoir retrouvée messieurs, je l’ai perdue ce matin lors d’un virage un peu brusque. Du coup je la cherche et me voilà fort marri depuis quelques heures. Alors, c’était la pompe à Marie mal amarrée et non celle de Dour chauffeur de la marquise ? Si c’est la même, Dour en était marri, maintenant il est de retour, même s’il est en retard ! La marquise et Pompée ne pomperont plus Dour, lui qui claque sonnets à longueur de jour. Voilà, l’histoire a fini par exploser au grand jour, c’est juste une pompe à retardement.
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Je me sens si seul.
J’ai tellement froid ce soir, abandonné dans la rue comme un malpropre.
Ça ne fait même pas une heure que tu m’as laissé et déjà ta chaleur me manque, absorbée par le vent, transpercée par la pluie glaciale qui me ruisselle dessus.
Anéanti.
C’est le bon mot pour exprimer le rien qui me remplit. Comment pourrais-je continuer sans toi pour me combler l’existence ? Je n’en ai même pas envie.
J’aimais tellement quand, au beau milieu de la nuit tu venais te blottir contre moi. Tu remontais tes genoux sous ton menton en prenant bien soin de passer ton immense t-shirt informe par-dessus. Puis tu les enserrais avec tes bras et tu te mettais à pleurer jusqu’à l’aube froide, dure, comme la pointe de tes seins que je sentais parfois quand tu changeais de position. Moins dure toutefois, que les os de tes fesses anecdotiques. Néanmoins, c’était bon de les sentir sur moi jusqu’à n’en plus pouvoir.
Maintenant c’est déjà un souvenir, il me brûle et je ne peux m’en défaire. Pour l’instant je souffre de savoir qu’il faudra m’en séparer. S’imprégner de toi pendant des heures me comblait. Combien de temps faudra-t-il pour qu’il devienne tiède et supportable ?
Je défaille rien qu’à repenser à toi quand il t’arrivait de te mettre sur moi et de te caresser sans vergogne à t’en faire rougir les doigts ainsi que les murs et probablement les voisins, qui ne devaient pas en perdre une miette.
Quelle torture que de revoir ces scènes sachant qu’elles n’arriveront plus jamais.
Je t’aimais, même lorsque dans tes accès d’autodestruction tu entaillais ton corps à coups de lame de cutter. Quelquefois le mien aussi, emportée par l’élan. Ton sang me coulait dessus, et moi je l’absorbais, pour devenir une partie de toi. C’était malsain je l’admets, cela dit, j’appréciais que d’une autre façon tu t’offres encore à moi.
Ensuite tu m’abandonnais quelques jours et me regardais avec dégoût, comme tu te regardais dans la glace dans ces moments-là. Les traces que tu me laissais te rappelaient ta culpabilité, jusqu’à ce que tu finisses par la dépasser et que tu me revenais.
Je t’en prie, saigne encore, lacère-moi si tu veux, mais reviens-moi !
Il t’arrivait aussi de temps à autre de jouer avec un homme. Je n’étais pas vraiment à l’aise, mais pour toi j’aurais tout accepté, du moment que tu restes. Sentir vos peaux tour à tour finissait par m’enivrer. Pour finir en apothéose de sueur, de cyprine et de semence. J’adorais quand tu m’essuyais avec ton air mi-coupable, mi-salope. Je me serais accommodé de la situation bien longtemps encore si tu l’avais voulu.
Que ne donnerais-je pour revoir ton sourire apaisé ?
Ceci n’arrivera plus.
Tu as versé jusqu’à ta dernière goutte. Même pas sur moi, tu es tombée avant, trop affaiblie pour te relever. Je n’ai eu de toi qu’à peine une caresse de ta main qui essayait de m’attraper. En vain.
Puis nous sommes restés ainsi tous les deux, plusieurs jours dans le calme de la mort, moi m’imprégnant de ton odeur putride. Odeur qui a dû attirer les voisins puisque des gens ont fini par défoncer la porte et t’arracher à moi, me laissant seul. Jusqu’à ce soir, en me retrouvant sur le trottoir.
Le jour se lève sur une nuit de détresse et des quelques contacts abjects de passants égarés.
Un camion s’arrête devant moi. Deux hommes en descendent et s’approchent. Ils me saisissent par les pieds et les accoudoirs et d’un geste vif me balancent dans la benne.
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Une histoire qui sent bon l'humanité.
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Je voudrais juste mélanger ton encre au papier de mon être.
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Elle se réveille au petit matin dans les draps blancs de l'hôtel, seule à goûter la douceur printanière qui s’installe dans la chambre ; avec le soleil filtrant à travers les stores pour venir s’étaler sur les murs en flaques floues. Pendant quelques minutes elle reste immobile et contemple les petits grains de poussière qui volettent et scintillent dans les rayons lumineux. Ça lui fait penser à une chute de neige et renforce encore l’impression de calme et de silence qui règne dans la pièce. Elle aime particulièrement cette période de l’année, quand l’hiver tarde à se faire oublier et que la nouvelle saison s’annonce doucement. Cet entre-deux où elle se surprend à s’éveiller vraiment, comme si elle sortait d’hibernation avec ce je-ne-sais-quoi dans l’air annonçant le renouveau.
Elle se lève sans faire de bruit pour ne pas réveiller la forme sous les draps dont quelques mèches de cheveux dépassent. Son pas léger effleure à peine l’épaisse moquette blanche. Elle sourit en s’imaginant qu’il a neigé dans la chambre. Puis se dirige vers la porte d’entrée en essayant de faire le moins d’empreintes possibles, se prenant pour une espionne qui fuit discrètement le lit du bellâtre ballot à qui elle aurait soutiré d’importantes informations de façon fort peu orthodoxe. Arrivée à son but, elle observe le sol avec la satisfaction du devoir accompli et s’esquive discrètement.
En arrivant sur la terrasse, des crampes abdominales la foudroient sur place. Elle s’accroche fermement à la rambarde de bois en y enfonçant ses ongles, attendant que l’orage passe. Elle se dit qu’il n’y a pas que le printemps qui s’annonce aujourd’hui. La douleur s’estompant, elle se dirige vers le jardin, louvoyant entre les tables où quelques lève-tôt prennent leur petit déjeuner. Ce faisant, elle distribue des bonjours et des sourires, mais les clients semblent plus absorbés par leurs croissants que par sa présence et ne lui répondent pas. Il y en a bien un qui a relevé la tête avec un air agacé, comme si une mouche lui tournait autour. Tant pis, pense-t-elle, ce sera pour une autre fois.
Au-dessus d’elle, le ciel est d’un bleu très vif ; elle peine à regarder la chaine de montagnes vertes et grises aux sommets encore enneigés en contre-jour. Le soleil ardent la force à plisser les yeux. Le contraste est assez saisissant avec la chaleur des rayons solaires et la fraicheur encore matinale de l’atmosphère. Elle avance vers le ruisseau qui gronde, grossi par les glaciers en train de fondre. Elle éprouve avec délice l’herbe tendre sous ses pieds diaphanes, le contact vivifiant de la rosée et soupire d’aise.
Ce moment de bonheur simple est bien vite gâché par le froid qui la saisit. Elle regarde en l’air pour voir si quelques nuages ne cacheraient pas l’astre du jour, mais non il n’y a rien. Rien que cette boule qui irradie au creux de l’estomac, comme si elle avait avalé trop vite un grand verre d’eau glacée. Un très grand verre alors, la douleur s’étendant jusqu’au bout de ses doigts.
Elle se reprend difficilement et décide de retourner s’allonger un peu le temps que ça aille mieux. Pendant qu’elle revient elle entend des sirènes de police se rapprocher de l’hôtel. Alors qu’elle monte les quelques marches pour revenir sur la terrasse, elle voit passer en trombe un groupe d’hommes en uniforme. Ils s’engouffrent dans le bâtiment. Certaines personnes commencent à se lever pour aller voir, attirées par la curiosité, prêtes à dégainer leur portable, en quête de sensationnel sordide.
Elle aussi s’interroge et se joint au mouvement. Les badauds, ignorant savamment sa présence, lui marcheraient presque dessus si elle n'y prenait garde. Dans le couloir, elle voit les policiers tout au bout, juste devant sa porte. D’un seul coup la voilà la gorge sèche, déglutissant avec grande difficulté. Elle se précipite en avant, s’insérant entre les curieux s’agglutinant comme des globules dans une artère bouchée. Elle entre dans la chambre en même temps que la maréchaussée.
L’un des hommes se dirige vers le lit. Il approche lentement sa main des draps, comme s’il redoutait un animal blessé aux réactions imprévisibles. Il découvre la silhouette et tous peuvent voir le corps d’une jeune femme. Sur son cou gonflé d’une couleur violacée, des marques de strangulation violente.
– Encore une victime de ce cinglé de violeur…
– Chef, c’est bizarre son expression, on dirait qu’elle ne sait même pas qu’elle allait mourir ou qu’elle est morte. La pauvre, c’est sûrement mieux comme ça, qu’elle ne se soit aperçue de rien.
La jeune femme effarée fait le tour du lit, passe à travers le groupe et contemple horrifiée le visage figé en un masque mortuaire. Elle hurle. Personne ne la remarque.
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En fait c'est plutôt une chanson, mais comme il n'y a pas la catégorie... poésie ça marche aussi.
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Le passage inattendu du Père Noël un peu en avance.
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Défi
C'est bientôt Noël. Seigneur, qu'il fait froid ! Sans bouger au fond de mon trou depuis plusieurs heures, ça devient dur, très dur. Le corps complètement ankylosé, les pieds et les mains ne sont plus que des blocs de glace. Bouger les doigts est une véritable torture. Allumer une clope, même si c'est interdit, relève de l'exploit. Mais au moins la flamme vacillante du zippo et l'odeur de l'essence me donnent l'illusion de me créer un monde meilleur pendant quelques secondes. Et ça me force à bouger pour que ne rien laisser voir, sous peine d’attirer les balles comme la lumière les moustiques. Ca maintient un minimum ma concentration et m'évite l'envie irrépressible de me laisser aller et de me fondre dans le néant.
Depuis plusieurs mois, rien que du chaos en continu. Agir comme une machine, ne surtout pas penser à ce qui m'entoure ni à ce que je fais. Faire ce qu'on me dit, comme tout le monde. Continuer encore et encore sans réfléchir pour ne pas devenir fou face à l'inanité de notre condition, jusqu'à ce que toute cette vie invraisemblable finisse par trouver une conclusion, quelle qu'elle soit. Juste des objets, des pions à avancer pour arriver au but, ou pas. Je ne sais même pas ce qui me maintient, ce qui nous maintient tous. De la volonté pure ou autre chose. Aucune idée. Je suis juste là, maintenant, et j'ai trop froid. Il commence à neiger, manquait plus que ça... La minute suivante sera très certainement identique à la précédente, encore et encore. Jusqu'à la relève. Pouvoir espérer avaler un truc chaud ressemblant vaguement à du café si toutefois il en reste. Mieux vaut ne pas savoir avec quoi est faite cette eau sale. L'avaler, se réchauffer, dormir et recommencer. Pour l'instant, c'est le principe. Jusqu'à ce que ça change.
Malgré tout, la nuit est calme.
Ayant fini par perdre toute notion du temps, le froid m'engourdit tellement que je commence à somnoler, j'essaie de me remuer pour ne pas sombrer encore plus avant.
Réveil soudain. Quelque chose a changé dans l'air et mon corps a senti la différence avant mon cerveau embrumé. Oui, malheureusement, c’est bien ça. Tout d'abord un bruit ténu, presque imperceptible puis qui grossit jusqu'à n'être plus que le sifflement caractéristique d'un pilonnage d'artillerie en règle. L'enfer se déchaîne à une vitesse fulgurante. Du concentré d’ultra violence.
Une grêle d'obus déferle sur nous. C'est tellement brutal que le sol tremble en continu et me secoue tous les os comme si je n’étais rien de plus qu’un vulgaire fétu de paille. L'adrénaline monte d'un seul coup, je me sens vivre. J'ai comme l'impression de tout voir au ralenti. Tout ça va encore durer un temps infini. C'est déjà long en temps normal, là c'est insupportable de lenteur. Le bruit est tellement assourdissant que bientôt je n'ai plus qu'un sifflement continu dans les oreilles. Les explosions déchirent la nuit. L'impression est totalement surréaliste, encore plus avec le bruit que je ne perçois plus. Je ne ressens que des vibrations en contemplant un immense stroboscope de destruction aléatoire. C'est terrifiant, je ne peux pas m'empêcher de trouver le spectacle de ce maelström de non-sens absolu magnifique. Ce cataclysme m’enivre à chaque fois, c’est comme une drogue dont on ne veut plus se passer.
Je vois tout le monde qui m'entoure s'agiter en tous sens comme un essaim d'abeilles essayant de fuir le danger. Je ne peux pas détourner le regard de ce film muet qui se déroule sous mes yeux. Bientôt la neige tombe rouge des morceaux de ceux qui furent mes compagnons d'infortune, le tout mélangé de terre plus ou moins poisseuse malgré le gel qui règne ici. Une chose proche de la bouillie me tombe dessus. J'imagine le bruit mat qu'elle a dû produire au contact de mon treillis.
J'ai toujours aimé l'orage, attendons que celui-ci s'éloigne, comme les autres.
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Je finis mon expresso bien trop vite, les dernières minutes d’attente de l’arrivée du train son excessivement longues.
Enfin, il arrive, et mon calvaire commence.
Je n’aime pas les voyages, plus je m’éloigne de chez moi, plus je me sens mal. L’agoraphobie et la promiscuité n’arrangent rien, j’espère tenir bon. Encore un peu la gueule de bois avec ce que j’ai pris hier. Le mal de crâne me fait me concentrer sur ma douleur, et un peu oublier le reste.
Je trouve enfin ma place dans le compartiment qui ne sera resté vide qu’un trop court moment. Bientôt vient y prendre place une jolie jeune femme brune, Eve Lisbonne d’après la plaque collée sur sa valise. Suivi de peu par un couple composée d’une grand-mère et son petit-fils, Emeline et Léo selon les propos qu’ils échangent. Le gamin tient un sac en plastique rempli de boutons de tailles et couleurs diverses. Il plonge constamment sa main dedans et joue machinalement avec ce qu’il attrape à chaque nouvelle prise.
Le train démarre et mon angoisse aussi.
Une heure plus tard, par la fenêtre, je distingue au loin des contreforts de montagnes qui n’auraient pas dû se trouver là. Cet étrange événement me plonge dans un abyme de stress.
Je peine à reprendre mon souffle et respire comme un futur noyé. Le bourdonnement dans mes oreilles se fait de plus en plus fort, je sens le malaise venir sans pouvoir l’exprimer, je bascule.
Je dérive dans une atmosphère étrange, des moments comme des séquences de film collées les unes aux autres se déroulent. Je ne suis pas sûr d’être conscient.
Le môme réclame pour aller aux toilettes, sa grand-mère le prend par la main et l’emmène.
Eve avisant le carnet de croquis que j’ai à peine eu le temps de sortir avant de sombrer me demande de la dessiner nue tout en retirant ses vêtements. Je m’exécute.
Pendant ce temps, un homme étrange nous regarde à travers les rideaux. Il est vêtu d’un étrange manteau de fourrure avec une moufette sur les épaules. Un froid intense se dégage de sa personne, je frissonne. Eve aussi. Sa chair de poule lui donne un aspect vulnérable et très sensuel. Il la regarde comme s'il la connaissait puis s'éloigne, le froid également.
Des voix résonnent dans ma tête, comme si nous étions plusieurs à me parler à moi-même, je ne comprends rien à cette cacophonie.
Je regarde mon carnet. Il y a quelque chose de bizarre dans le visage d’Eve. Je prends ma loupe et observe plus attentivement. Dans le globe de son œil gauche, j’aperçois une locomotive grimpant vers le sommet d’une montagne dont le point culminant est le haut de sa pupille… mais dans l’œil droit, la locomotive a passé le sommet… et tombe dans le vide de l’autre côté.
J’ouvre les yeux.
Ils me demandent si je vais bien. Je leur réponds d’un signe de tête affirmatif pas très affirmé.
Je dois être en train de perdre la raison, j’entends des voix, j’ai des hallucinations, je ne comprends pas ce qui m’arrive. C’est pas un peu d’alcool et d’anxiolytiques qui ont pu me mettre dans un état pareil. Enfin, je ne pense pas. Je pose ma tête contre la vitre et me laisse bercer un instant par les vibrations du train. Le froid du verre me fait un bien fou. Au loin, je vois cette énorme montagne qui s’approche imperceptiblement. D’un seul coup, une grosse bouffée d’angoisse me monte au visage, j’ai chaud, je suis tout rouge et trépigne un peu pour cacher mon mal-être.
Si tu veux encore voir les cieux, ouvre la fenêtre au fond de tes yeux.
– Oh ta gueule Nostradanus !
D’un seul coup une violente douleur vient me cueillir sur la joue gauche. Je redresse la tête et vois mamie Emeline en train de ramener son bras vers elle, avec un regard plein de violence contenue. Malgré son âge et son aspect frêle, elle me fait peur un instant. Léo ne bronche pas et regarde dans la direction opposée. Eve a la bouche arrondie comme si elle prononçait un Oh muet, hésitant entre le rire et la stupéfaction.
– Je vous présente mes excuses, je ne m’adressais pas à vous, mais à moi-même.
– Jeune homme, vous devez avoir une bien piètre estime de vous-même pour vous parler de la sorte. Alors modérez votre langage à l’avenir, il y un enfant et des dames ici. Un peu de respect et de bienséance ne feront de mal à personne.
Je baisse la tête après m’être fait vertement tancer par mamie. Penaud comme un petit garçon pris en train de faire une énorme bêtise je réponds en regardant par terre, mes pieds tournés vers l’intérieur et les genoux collés sans que je puisse les contrôler :
– Oui madame.
Je suis en nage, j’ai besoin d’aller me rafraîchir. Honteux, je me lève et sors du compartiment. L’homme à la moufette est à l’autre bout couloir et regarde vaguement dans ma direction. Il y a comme une vague de froid qui m’atteint quand son regard me touche. Il me colle les miquettes. Ça tombe bien, ça rime avec moufette. Et l’odeur de sconse plutôt violente est difficile à supporter.
Je m’enferme dans les toilettes et me pose un instant, dos contre la porte, pour reprendre ma respiration. Si toutefois c’est possible, l’atmosphère n’étant pas des meilleures. Je n’arrive pas à savoir ce que je préfère respirer entre ici et le couloir et je n’ai pas vraiment envie de réfléchir plus longtemps à la question. Je me passe longuement de l’eau sur le visage et sur la nuque. Le froid piquant me remet un peu l’esprit en place. Pendant que je continue mes ablutions, le train fait une secousse. Je me cogne contre le miroir plein de taches, de coulures et de restes d’acné laissés en souvenirs par de nombreux visages. Je me rattrape tant bien que mal à la porte, manquant m’affaler sur les toilettes.
Si tu veux encore voir les cieux, ouvre la fenêtre au fond de tes yeux.
– Mais qu’est-ce que tu veux à la fin avec tes phrases énigmatiques à la con ?
Je te veux toi, je veux ta place. Nous voulons tous vos places. Nous sommes si… seuls. Si froid.
– M’enfin, c’est hors de question que je laisse ma place à quelqu’un d’autre. Je suis bien avec moi-même.
Il n’y a pas de choix.
– Exactement, barre-toi de ma tête !
Oh non, ou si. Je pourrais aller rendre visite à la jolie brune et lui montrer comment tu la vois, comment tu voudrais la voir.
– Mais c’est pas possible ça ? C’est pas contagieux la schizophrénie que je sache.
Qui sait. Tu verras bien à l’arrivée.
Nouvelle secousse. Le néon jaune blafard clignote et perd de son intensité. Le peu de lumière rend l’endroit encore plus sombre. Comme au moment où on allume une ampoule basse consommation et qu’elle répand toute sa tristesse dans la pièce.
Quand je veux ressortir, j’ai beaucoup de mal à relever le verrou. Il est un peu coincé par de la rouille qui n’était pas là quand je suis entré. Je force un peu et il se déloge en laissant tomber un peu de poussière orange. Le crissement du métal me fait grincer des dents.
Dehors le ciel a pris une étrange teinte violacée maladive. La lumière du soleil qui entre par les fenêtres est d’une teinte rouge orangée menaçante. Nous sommes maintenant au pied de la montagne et l’ascension commence. Un écrasant sentiment d’urgence me submerge. Je me dis qu’il faut faire quelque chose, qu’une catastrophe est sur le point de s’abattre sur nous. C’est fuyant, je n’arrive pas à mettre le doigt dessus.
Je repars vers le compartiment. Les contours métalliques des fenêtres sont presque tous rouillés. Le revêtement du sol est usé jusqu’à la corde par endroit et laisse voir le métal. Il y a des traces d’humidité qui courent entrent les fenêtres. Le verre est passablement rayé, ce qui donne l’impression que les vitres sont presque entièrement dépolies. Les autocollants « è pericoloso sporgersi » sont presque réduits à néant, comme arrachés à coups de griffes. Là aussi les néons jaunâtres diffusent une lumière sordide intermittente en grésillant un peu.
La porte coulissante ne l’est plus autant que ça. Je dois m’y reprendre à plusieurs fois avant de réussir à l’ouvrir, accompagnée de grincements sinistres du plus bel effet. Je suis à nouveau en nage, c’était bien la peine de sortir.
Je vais m’asseoir directement sans regarder mes compagnons de voyage, je n’ai pas envie de leur parler. Je pose les yeux sur le bagage d’Eve qui dépasse de sous son siège et je m’y reprends à deux fois pour lire l’étiquette. Il est écrit : Eve Bonne. C’était pas Lisbonne tout à l’heure ? Je me dis, non sans honte, que ce nom lui correspond très bien pour ce que j’en ai vu précédemment. Je n’ai pas le temps d’y penser plus quand je l’entends chantonner :
– Si tu veux encore voir les cieux, ouvre la fenêtre au fond de tes yeux.
– Quoi ?
Elle tire le rideau et j’entends sa voix qui me donne des frissons :
– Je voudrais que vous me dessiniez dans la tenue de celle dont je porte le prénom.
– Hein ?
J’ai déjà vécu cette scène. Qu’est-ce qui déraille encore en plus que ce train qui va on ne sait même pas où ?
Je relève la tête pour la regarder. Son sourire est aussi charmeur. Par contre, je me retiens de hurler mais laisse quand même échapper un hoquet de répulsion quand je vois qu’à la place de ses yeux se trouvent deux gros boutons de tailles différentes, un rouge foncé et un bleu marine. Comme ceux que le petit Léo avait dans son sac quand on s’est installés.
– Ne t’inquiète pas, ils ne peuvent pas nous voir ni nous entendre.
Je regarde en direction d’Emeline et Léo. Eux aussi ont des boutons à la place des yeux. Je baisse la vue vers les mains du gamin et constate qu’il en a une plongée dans un sac remplis d’yeux. Cette fois je hurle sans retenue.
D’un ton un peu autoritaire, elle me dit de me calmer. La surprise causée par sa voix me coupe dans mon élan et je m’arrête net. Je la regarde et elle me sourit. Hormis ses yeux qui me donnent envie de vomir, elle a les traits différents de tout à l’heure, parle un peu différemment aussi. A tel point que je me demande si c’est bien la même personne. En même temps dehors je constate qu’on a tourné en spirale autour de la montagne et qu’on est presque en haut. L’urgence se fait encore plus pressante, comme si j’allais mourir bientôt. Comme si on allait tous mourir bientôt. La montagne, le sommet et la chute après. Et d’un seul coup une idée saugrenue me traverse l’esprit.
– Vite vite, Eve lève-toi !
Et danse avec la vie !
– Oh putain, c’est pas le moment toi.
J’y peux rien si l’écho de ta voix est venu jusqu’à moi.
C’est bien ma veine d’avoir des prédictions à deux balles par une voix qui me parle d’une chanson qui était déjà ringarde quand elle est sortie.
Je l’attrape par la main et ouvre la porte à coups de pieds. Elle refuse encore plus de s’ouvrir. Le wagon est de plus en plus décrépit. Les roues grincent de plus en plus. J’ai l’impression qu’on ne va même pas arriver au sommet, ce qui quelque part me soulage, n’étant pas du tout sûr de vouloir redescendre de l’autre côté.
Toujours au bout du wagon, en direction de l’avant du train se tient l’homme du froid. Il se tourne vers nous et commence à se rapprocher d’un pas lent et lourd qui laisse comme une vibration à chaque fois qu’il pose un pied, avec un bruit bien plus fort qu’il ne devrait l’être.
Lui aussi à l’air plus décrépit. Son vison est élimé jusqu’à la doublure par endroits. Sa moufette n’est presque plus qu’une peau nue qu’un chapeau tenant bien chaud. A chacun de ses pas, des choses blanches s’échappent de la moufette, roulent trop lentement sur son manteau et viennent s’écraser au sol avec un ploc mou écœurant. Les paquets blancs s’étalent doucement dans toutes les directions en se séparant. Des paquets de vers agglomérés. Lorsqu’il n’est plus qu’à à peine deux mètres de nous, il sourit de tous ses chicots pourris et noirs. Une poignée d’asticots pleins de bave sort de sa bouche et vient s’étaler sur son torse et son menton.
Eve se met devant moi, un bras en arrière pour me retenir et me protéger. Elle parle d’un ton que je ne lui connaissais pas encore.
– Putain Charon, c’est à cause de toi tout ce bordel ! Je ne te laisserai pas faire encore une fois. T’es complètement stone mon pauvre, il t’en faut toujours plus. Mais pas contre leur volonté, c’est pas ça les règles, et tu le sais. Le petit a enfin compris, on va pouvoir t’arrêter maintenant.
Elle m’a tapoté gentiment quand elle a dit « le petit ». Je suppose que ça doit être moi. Je savais bien qu’ils se connaissaient à la façon dont elle l’a regardé tout à l’heure. Mais c’est bizarre, c’est comme si elle le reconnaissait pas. Et là c’est différent. Mais c’est qui elle en réalité alors ? Et Charon ? C’est pas possible comme nom, je ne peux pas croire à ce que les rouages poussiéreux de mon cerveau sont en train d’assembler.
Sans prévenir, la voilà qui lance son pied droit en avant en pivotant sur elle-même, en plein dans l’estomac de Charon. La violence du coup le fait se plier en deux. Prenant appui avec ses mains sur une rambarde sous la fenêtre et sur une poignée de porte de l’autre, elle ramène sa jambe derrière elle pour prendre de l’élan. Elle la jette en avant pour venir le cueillir sous la mâchoire avec un craquement sec. Le choc le projette en arrière et il s’effondre, n’ayant pas eu le temps de se protéger et de riposter à cause de la surprise de l’attaque. Elle le bourre encore de coups de pieds avec une rage folle. Des asticots volent dans tous les sens. Certains viennent tomber sur mon visage, je les chasse avec dégoût.
Là c’est elle qui me prend par la main et se met à courir.
– Vite avant qu’il ne se relève, vite, il faut aller au bout du train.
Comme c’est exactement ce que j’avais en tête, je la suis en essayant d’enjamber le bonhomme, mais je lui marche un peu dessus quand même. Il s’en est fallu de peu pour qu’il ne m’attrape une cheville.
A peine arrivés au bout du wagon qu’il s’est déjà relevé. N’importe quel être normalement constitué serait encore en train de pleurer en appelant sa mère, mais lui non. Il se passe ici des événements qui me dépassent de loin, si toutefois je ne suis pas plongé en plein délire hallucinatoire.
Je l’aide à ouvrir la porte du sas pour passer dans l’autre wagon. Elle résiste et il se rapproche. Je lui dit de la refermer pendant que je commence à ouvrir l’autre. Nous changeons de wagon.
Nous courons le plus vite possible pour atteindre l’autre extrémité. Talonnés par la panique qui monte et Charon qui se rapproche dangereusement. Le manège recommence plusieurs wagons d’affilée. La progression est de plus en plus difficile, les portes de moins en moins faciles à ouvrir. Alors on attrape tout ce qu’on peut au passage pour semer des obstacles et ralentir l’homme du froid.
Enfin on arrive au dernier wagon. Elle commence à m’aider à ouvrir la porte. Et disparaît subitement en arrière. Il l’a attrapée par les cheveux. Elle hurle sous la douleur des cheveux qui s’arrachent de son crâne. Elle résiste. Je ne regarde pas ce qui se passe derrière moi, complètement absorbé à essayer d’ouvrir cette fichue porte. Ils se battent. J’entends des cris, des coups, des craquements, des hurlements. Une lutte à mort, sauvage, brutale ; sinistre comme un violent fait divers.
Je réussis à enfin l’ouvrir. Elle me hurle de la laisser et de continuer.
Je sais qu’elle a raison. A contrecœur, je referme le battant et m’attaque à celui pour entrer dans la loco. Enfin, j’arrive à entrer. J’ai les mains en sang, très mal au dos pour m’être arc-bouté et poussé avec mes pieds pour réussir à ouvrir cette dernière porte.
Il n’y a aucun conducteur. Je n’ai pas le temps de me demander si j’en suis surpris. Dehors nous venons de passer le sommet et la loco commence à s’incliner vers le bas pour redescendre. Nous sommes sur une sorte de viaduc qui émerge des nuages avec le haut de la montagne légèrement en retrait maintenant. L’impression de flotter est étrange, un peu comme traverser le viaduc de Millau un matin brumeux quand on ne voit pas ce qu’il y a en contrebas.
J’attrape une hache anti-incendie et commence à m’attaquer à une fenêtre. Devant, j’aperçois la fin de la voie avec les rails tordus qui pendent tristement dans le vide. Je finis par réussir à faire un trou suffisamment grand pour que je puisse y passer la main dans le verre très épais. Le train prend de la vitesse, comme lors d’une descente vertigineuse de montagnes russes.
Luttant contre mon vertige et la désagréable sensation de mon estomac qui se soulève je fouille dans ma poche pour prendre mon carnet de croquis et fébrilement cherche la page où j’ai vu cet étrange dessin à la loupe. Je l’arrache passe ma main dans l’ouverture en me coupant et le lance dans le vide.
Il se met à flotter comme une feuille morte et doucement se met à s’agrandir. Et de plus en plus vite. Bientôt l’œil énorme d’Eve vient se placer au bout de la voie, formant un tunnel en trompe l’œil. Au même moment nous y plongeons à toute vitesse et c’est le noir.
J’ouvre les yeux.
– Bonjour monsieur me répond gentiment une vieille dame.
Une jolie jeune femme avec des écouteurs m’adresse un hochement de tête et un sourire. Une violente image d’elle nue vient se superposer. Je me dis que je dois être un peu trop obsédé ou sacrément en manque pour avoir de telles images au bout de deux secondes où je vois une jolie fille.
Un petit garçon dit :
– Mamie j’ai faim.
– Mais tu as pris ton petit déjeuner il n’y a pas deux heures.
– J’ai faim quand même !
– D’accord Léo, je vais voir ce que j’ai dans ma valise à roulettes.
– Merci Mamie Emeline.
Je n’ai jamais rencontré ces gens et une curieuse impression persistante de déjà vu vient m’assaillir.
Le petit Léo plonge sa main dans un sac rempli de boutons et en prend une paire. Il bascule la tête en arrière et se les pose sur les yeux.
Le train ralentit, dehors le décor m’est familier. Le quai est celui que j’ai quitté quelques heures auparavant.
Derrière la ligne jaune, j’aperçois un homme à l’air angoissé et perdu, l’ennui c’est que c’est moi. A quelques pas, dans la foule attendant de pouvoir embarquer, une vieille femme et un petit garçon tenant un sachet rempli de boutons. A côté de l’homme, une jolie jeune femme brune tenant une valise. D’où je suis, je ne peux pas lire la plaque collée dessus, mais je devine déjà ce qui y est écrit.
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