Diane94
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Défi
Oh non ! C’est pas vrai ! Dites-moi que c’est un cauchemar ! Je ne peux pas nager dans cette eau !
Elle n’en voyait pas le bout, ni devant, ni derrière, ni sur les côtés. Une mer d’eau sale sans aucune terre en vue. Il y avait même une houle par endroit. Le fleuve était en crue et son débit était féroce. Il lui faisait l’effet d’un égout furieux, celui de la forêt amazonienne et de ses habitants.
Ils s’avalaient l’un l’autre, le courant et elle. Entre deux brasses, vaines, elle s’enfilait de grosses gorgées de cette eau fétide. Le goût était infect.
« Saum-âaatre », aurait dit Joëlle si ses neurones n’étaient pas paralysés par la panique.
Elle hurlait à chaque fois que les flots lui permettaient d’émerger. Le ressac ne se lassait pas de la gifler. Ses glapissements redoublaient à chaque fois qu’elle fut en contact avec un corps solide. Plus fort encore lorsque c’était mou et visqueux.
Elle savait que c’était infesté de serpents. Leur guide – quand il était toujours en vie – en avait dressé l’inventaire : des serpents arboricoles, des anacondas, des boas, des couleuvres et d’autres noms qu’elle n’avait pas retenus.
Mais qu’est-ce qui m’a pris d’écouter Antoine ? se répétait-elle.
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Ce jour-là, son cœur devint pierre. Le jour où son cinquième enfant partit lui aussi.
Maria leur avait tout donné et ils étaient tous partis. Loin d’elle. La vie est cruelle. Ils s’étaient retirés emportant un bout d’elle-même. Maria ne savait plus qui elle était si elle n’était plus mère. Aucun autre miroir ne la reflétait que la pupille de sa chair.
Le néant dans le cœur, elle n’avait pas compris. Maria voulait être aimée comme tout le monde, mais elle n’avait pas compris. Elle avait cherché l’amour comme tout le monde, mais elle n’avait pas compris. La vie est cruelle. Elle avait construit sa vie, un mari, des enfants, mais elle n’avait pas compris.
Elle avait voulu être aimée sans s’aimer elle-même. La vie n’est pas cruelle, elle enseigne.
Aime-toi, lui avait-elle chuchoté. Mais Maria ne voulait pas entendre, elle ne comprenait pas ce que ça voulait dire.
Aime-toi, d’abord ! Si ça ne marche pas avec les autres, c’est que tu t’es oubliée en chemin.
La vie enseigne. On ne peut pas demander aux autres de nous donner l’amour que l’on ne se donne pas. Et il n’est jamais trop tard pour s’aimer.
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Je n'ai pas compris à temps qu’il faut paraître pour survivre dans ce monde.
Se dire vrai sans savoir où est la vérité.
Vivre contrit dans le moule.
Par crainte de ne pas être aimé ?
Mais qui ose être lui ? Être soi quitte à ne pas plaire aux autres.
Je n’ai pas compris à temps que les conformes sont déjà morts.
Être soi, c’est forcément être différent.
Qui crée sans répéter ? Qui est le moteur propre de son esprit ?
Sain et pur, sans les distorsions des préjugés.
Je n’ai pas compris à temps que les masques ne sont utiles qu’aux aveugles.
Mon cerveau bouillonne trop loin des sentiers battus.
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Je vous propose de voyager, de vous éloigner le temps d’une lecture du froid ambiant et de vous promener sur une île polynésienne…
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C’était la première fois d’Irwin Swann. Il avait ressenti le besoin pressant d’étaler, là maintenant tout de suite, la fureur de son esprit. L’inspiration l’avait sailli comme ça dans la rue. Toute la débauche des mots devait être étalée immédiatement. Un rêve charnel trop fugace pour attendre. C’était un besoin ardent, reptilien. Les doigts galopaient sur le clavier comme les caresses fougueuses d’un amant impétueux. Ce n’est qu’après avoir écrit une vingtaine de pages, qu’il prit le temps d’engloutir le Big mac qu’il avait l’intention de manger devant la télé.
La veille, il avait été récupérer son dîner au fast food du coin comme d’habitude. Mais alors qu’il s’était baissé pour nouer ses lacets, la muse lui avait chatouillé l’âme. Il dut s’arrêter en chemin, à seulement cent mètres de chez lui. Se poser sur le premier banc libre et écrire toute la nuit, dehors, à la lueur des réverbères. Fébrile. Rien n’existait en dehors de la lumière de son écran, il était hypnotisé, possédé, mais tellement consentant. Il avait attendu ça depuis si longtemps.
L’inspiration, le fluide miraculeux qui parcourt l’échine. Une excitation sans pareille l’avait consumée. L’aube et le petit matin arrivèrent à son insu. Il haletait de plaisir, la bouche entrouverte, extatique. La fièvre était toujours là, elle l’avait pétrifié dans le bronze.
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Émilie avait toujours porté ce gilet gris en mailles épaisses par-dessus son tee-shirt, même l’été.
J’ai trop peur qu’on voie mes tétons au travers.
Elle n’aurait jamais cru…
Elle prenait toujours du 42 alors qu’elle faisait du 40.
Pour ne pas que ça moule trop !
Elle n’aurait jamais cru…
Elle avait horreur du lycra et de toutes ces matières trop fines qui ne cachaient rien, pire qui dévoilaient ses formes.
Émilie aimait se fondre en noir dans la grisaille de Paris.
Elle n’aurait jamais cru…
Elle ne l’avait jamais avoué… Cette pandémie, elle l’aimait. Elle pouvait se cacher derrière un masque. Quel soulagement !
Elle n’aurait jamais cru qu’un jour, elle serait là, allongée, les jambes en l’air, toutes les parties de son corps exposées au courant d’air, sous la lumière des néons. Nue, complètement nue. Ils étaient une dizaine à avoir leurs regards braqués sur elle.
Mais elle s’en fichait.
Il y avait le gynécologue, la sage-femme, deux internes et une ribambelle d’étudiants venus s’instruire. Un accouchement par le siège, ça ne se ratait pas !
Mais elle s’en fichait. Elle avait si mal, bon sang !
Arrachée la pudicité quand la douleur essore vos entrailles.
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Je lui avais donné rendez-vous en rêve. Nous devions nous retrouver sur notre île privée, cerclée de plages paradisiaques. C’était nos origines, les îles et je savais qu’on y serait bien. Je l’avais baptisé Pêche, mon enfant intérieur. Elle était douce à l’extérieur, fragile et généreuse à l’intérieur. Les retrouvailles furent simples. Je lui pris la main et entraînai nos pas sur le sable mouillé.
« Pour être honnête avec toi Pêche, je ne comprends toujours pas pourquoi certaines personnes croquent le tendre et s’asservissent à la dureté. Je me dis qu’elles sont fragiles elles aussi à l’intérieur…
- Peut-être bien. Mais tout a l’air plus facile pour elles, elles ont la peau plus dure que moi.
- Je t’ai vu tant de fois essayer d’être comme eux. Mais tu n’es ni un fruit à coques ni une pastèque…
Elle avait la mine songeuse.
- Tu oublies les autres !
Elle me surprit, j’avais cru qu’elle aurait aimé se plaindre.
Ou Peut-être étais-ce moi qui voulais me plaindre ?
- Tu as raison… Il y a ceux qui nous ont fait grandir et mûrir.
Il y eut un silence agréable, emplit du chant des vagues. Nous regardions nos mollets prendre l’eau. Je ne savais pas comment aborder le sujet.
- J’ai tellement envie de te prévenir…
Toutes ces mauvaises rencontres à éviter et tous ces mots qui n’étaient pas venus au bon moment. Tout ça se bousculait dans ma tête.
Elle me serra la main et me regarda comme si nos rôles étaient inversés. J’étais l’enfant.
- je ne veux pas savoir.
- Pourquoi ? Je ne veux pas que tu souffres !
- Parce que… Je veux être sûre de devenir comme toi.
Jamais je ne m’étais soupçonné une telle maturité.
Comment aurais-je pu m’en rendre compte ? N’avais-je pas passé ma vie à me dévaloriser ?
Les larmes me montèrent aux yeux. Je pris Pêche dans mes bras et la serrai fort contre moi.
- Je sais que tu seras assez forte, mais je veux quand même te dire quelque chose.
Pêche s’apprêtait à se boucher les oreilles quand j’ai intercepté son geste :
- Pardonne aux autres, mais surtout n’oublie pas de te pardonner. »
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Ce matin de juin, Alexandre Vella, ingénieur dans l’entreprise de télécom Vemedis, se réveilla invisible, avec une note sur sa couverture qui disait :
Alexandre, tu es invisible à chaque fois que tu répètes trois fois : homo homini lupus. Tu viens de le répéter trois fois en rêve. L’effet ne dure qu’une heure. Profites-en bien et ne me remercie pas. Ton ange gardien.
PS : tu peux le dire en pensée, ça marche aussi !
Excité par ce nouveau pouvoir, Alexandre visualisait tous les scénarios possibles en se brossant les dents.
Primo, appeler mon chef et lui dire que je suis malade. Secundo, aller au bureau en étant invisible et tercero, en scène l’artiste !
Sa jubilation était d'autant plus grande qu'Alexandre était malheureux à son travail. Il devait chaque jour cirer les pompes d’un chef despotique, Jacques Bordet. Ce quinquagénaire gras, méprisant et avide de pouvoir hantait ses jours comme ses nuits. Il subissait un harcèlement moral quotidien, mais ne voulut jamais le reconnaître. Il avait choisi de le détester en silence. Ce nouveau pouvoir lui donnait un regain de confiance, il allait enfin pouvoir lui rendre la monnaie de sa pièce.
Sur le chemin, Alexandre se rendit compte que c’était la première fois qu’il était heureux d’aller au bureau. Il chantonna même La Vengeance de Juliette dans le métro, tapotant ses doigts sur ses genoux. En sortant de la rame, il se concentra et répéta trois fois Homo homini lupus. Il vérifia qu’il était bien invisible et se dirigea vers l'entrée de l’immeuble Vemedis. Il courut, se glissa de justesse dans l’ascenseur et se retrouva avec Clémence. Clémence, c’était la fille, celle dont il était fou amoureux. Comme elle ne pouvait pas le voir, il en profita pour la contempler. Elle sortait avec Thibault, un collègue prétentieux et moqueur plutôt joli garçon, l’opposé d’Alexandre.
D’abord mon chef ensuite Thibault.
Il emboîta le pas à la secrétaire qui entrait dans le bureau de son chef. À chaque fois, il était indisposé par la forte odeur de parfum pour homme. Monsieur Bordet était penché sur ses documents, mal réveillé, un café fumant près de son clavier d’ordinateur. Alexandre commença par renverser le café brûlant sur son costume YvesSaintLaurent.
Faut bien s’échauffer.
Jacques Bordet s’était levé d’un bond, jura et vida sa boite de mouchoirs pour s’éponger. Alexandre étouffa son rire. Quand son chef tenta de se rasseoir, il tira sa chaise en arrière. Cette fois impossible de ne pas se faire entendre. Son chef, écarlate, pestait comme un dément :
« Qui est là ? Qui est là ? »
Le voir se dandiner au sol pour essayer de se relever, le fit rire aux éclats. La secrétaire entra et aida Jacques à se relever. Alexandre en profita pour sortir.
Son chef avait eu son compte pour aujourd’hui.
Il se dirigea vers le bureau de Thibaut, dans l’espace de travail collectif. Au début, il avait imaginé tout un tas de choses enfantines - comme avec Jacques Bordet - mais quand il se mit derrière lui et vit le message qu’il écrivait, la tristesse prit le dessus. Un message cru et bestial destiné à la secrétaire à laquelle il adressa un clin d’œil discret au passage. Alexandre eut mal pour Clémence, il s’assit, sonné et laissa le temps filé. Il savait que Clémence était folle amoureuse de Thibault.
Quoi faire ? Ce type méritait le pire. Il méritait que Clémence le largue. Alors quand il partit aux toilettes, Alexandre prit son téléphone, fit une capture d’écran de sa conversation avec la secrétaire et l’envoya à Clémence. La sueur perlait sur son front, il guettait Clémence, inquiet de sa réaction. Il vit son visage s’assombrir. Elle alla intercepter Thibault aux toilettes et referma la porte derrière elle. Au bout d’un quart d’heure, elle partit en courant vers les escaliers. Alexandre la suivi jusqu’au hall de l’immeuble. Il vit ses mains réapparaître et décida de la laissa partir même s’il avait une envie folle de la consoler et de la prendre dans ses bras.
C’était la dernière fois qu’il vit Clémence. Le lendemain, elle donna sa démission au téléphone et posa ses jours de congés le temps de son préavis. Pour elle, il aura toujours été invisible.
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C’était ce reflet dans leurs yeux qui me disait qui j’étais. La fête, c’était ces soirées de pêche : toujours les mêmes ; il n’y avait que le nombre de prises qui changeait. Le même groupe d’amis : des hommes plus ou moins célibataires. On se connaissait bien, et les tactiques de drague des uns devenaient celles des autres. C’était le bon vieux temps : le temps de l’illusion. On se fournissait mutuellement des alibis. Le « j’sors avec les copains » résonnait dans les têtes comme l’hymne à la liberté. Avec les filles, les mots s’affutaient, les répliques faisaient mouche, et nos filets… étaient de plus en plus redoutables. La règle d’or : persévérer. Car à force de balancer des filets à tous bords et à tous flots, on finit par en attraper du poisson ! Ça, c’était pour les potes, moi : j’étais différent. Ils étaient les chalutiers géants, moi l’hameçon suspendu au bout de la ligne. Nonchalamment. Les yeux qui se baissent devant moi, et se retournent sur mon passage, le rose aux joues, les gloussements, les 06 griffonnés sur les serviettes en papier… Des corps féminins à la fois émoustillés et farouches, c’était mon lot quotidien. C’était ce reflet dans leurs yeux qui me disait qui j’
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Nous sommes en 1955, et nous n'entendons que la voix de la bonne épouse, saurez-vous deviner les répliques du mari ?
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Jusqu’à ce 13 juillet 1971, rien n’avait arrêté le succès de Persi et Ronay. Leur spectacle faisait toujours un tabac. Leur final, personne n’avait jamais vu ça !
André Déchaux - nom de scène : Persi - petit, frêle et prématurément chauve, était un ancien entrepreneur dans une fabrique de boîte en plastique. Il avait toujours eu le sens des affaires, mais n’avait jamais eu la bonne idée jusqu’à ce que son vieil ami, Gabriel Martin, rentre du Costa Rica. Gabriel, un colosse à la peau tannée – nom de scène : Ronay – avait été marin dans l’armée. À quarante et un ans, il avait parcouru tous les océans et mers du globe, posé le pied sur tous les continents et avait l’envie irrépressible de lâcher l’ancre définitivement. Il garda de sa vie d’explorateur un boa costaricain de deux mètres. Une bête dont la particularité devint la clé de voûte de leur spectacle.
Depuis cinq ans, ils vivaient une vie de saltimbanque. Le numéro était rôdé, la musique synchronisée, leurs costumes - de magicien et de charmeur de serpent - presque crédibles et l’espace de leur fourgonnette Citroën 2 CV optimisé.
En roulant vers le paisible village de Saint-Paul, cent âmes à peine, ils n’auraient pas pu deviner ce qu’il allait leur arriver…
« Le maire a payé d’avance, dit Persi en recomptant les billets sur la place passager. Il va réunir tout le monde à 14 h sur la place de l’église.
Ronay, les épaules voûtées et la tête plaquée au plafond de la fourgonnette, retroussa son nez en dépassant un groupe de personnes âgées.
— Encore des centenaires… souffla-t-il, en tournant le volant. Et à l’heure de la sieste en plus !
— Les vieux, ce sont les meilleurs clients…
Persi rangea les billets dans la boîte à gants, étendit ses jambes sur le tableau de bord et expira bruyamment.
— Ils ont économisé toute leur vie pour qu’on vienne les distraire ! Et ils savent quand ils ont un bon spectacle devant les yeux ! »
Ils arrivaient sur la place de l’église.
Ronay gara la fourgonnette. Persi se hâta de sortir le paravent derrière lequel ils se changeraient. Tout en enlevant ses vêtements, Ronay lorgnait au travers d’un trou qui offrait une vue sur l’assistance.
« C’est noir de vieux ! râla-t-il.
Environ quatre-vingts personnes étaient installées, la plupart en fauteuil roulant.
— Et regarde lui-là, il dort déjà !
— Tant mieux, répondit Persi. Il sera en pleine forme pour le spectacle.
Le maire, un homme ventru en costume noir et au nœud papillon vert pomme, serrait la main d’un homme en blouse blanche. Ce dernier déchargeait des malades depuis un véhicule estampillé Institut psychiatrique de Saint-Paul.
— Des fous ! Regarde, il en étale toute une brochette devant !
Persi se mit sur la pointe des pieds.
— Ils sont sanglés à leur fauteuil, aucun danger ».
Pendant que Ronay pestait dans sa barbe, il surprit la conversation qui se déroulait juste derrière le paravent. Il distingua une voix grave :
« S’il te plaît, Martha, détache-moi !
— Je peux pas ! brailla une voix de femme.
— Avec tes dents comme la dernière fois… chuchota la voix grave.
— La dernière fois tu m’as menti, Nelson !
— Cette fois, promis, je te ramène un moineau à quatre ailes…
— J’ai changé d’avis ! Je veux un rat à six oreilles ! reprit la voix de femme.
— D’accord, mais libère-moi d’abord ! »
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