
Lucie Lhoste
Les plus lues
de toujours
"Dans le silence des mots" - Nouvelle d'environ 40 000 caractères
À son réveil, Arthur ressent une pression étrange dans sa gorge, comme si l’air lui manquait, et la question quotidienne, « Quel jour est-on ? », reste coincée dans sa bouche. Que cache ce silence soudain, ce vide où les mots devraient se glisser ? N’est-ce qu’une inquiétude passagère, ou annonce-t-il le début d’une transformation plus radicale ? Comment ce blocage influencera-t-il ses relations et sa perception du monde au fil des jours ?
À son réveil, Arthur ressent une pression étrange dans sa gorge, comme si l’air lui manquait, et la question quotidienne, « Quel jour est-on ? », reste coincée dans sa bouche. Que cache ce silence soudain, ce vide où les mots devraient se glisser ? N’est-ce qu’une inquiétude passagère, ou annonce-t-il le début d’une transformation plus radicale ? Comment ce blocage influencera-t-il ses relations et sa perception du monde au fil des jours ?
25
19
54
29
Lucie, une femme d’apparence forte, cache en elle des fêlures profondes et invisibles. La vie qu’elle a durement et patiemment construite bascule lorsqu’un homme, consumé par une folie destructrice, réduit sa famille et son univers en cendres
4
9
2
115
Lucie, une femme d’apparence forte, cache en elle des fêlures profondes et invisibles.
La vie qu’elle a patiemment construite s’effondre lorsqu’un homme, consumé par une folie destructrice, s’immisce dans son quotidien et celui de sa famille. Intrusions numériques, surveillance constante, chantage, menaces, calomnies… Chaque jour, l’étau se resserre. Ils tentent de résister, mais chaque tentative renforce son emprise. Ils se retrouvent pris dans une spirale infernale dont il semble impossible de s’échapper.
La vie qu’elle a patiemment construite s’effondre lorsqu’un homme, consumé par une folie destructrice, s’immisce dans son quotidien et celui de sa famille. Intrusions numériques, surveillance constante, chantage, menaces, calomnies… Chaque jour, l’étau se resserre. Ils tentent de résister, mais chaque tentative renforce son emprise. Ils se retrouvent pris dans une spirale infernale dont il semble impossible de s’échapper.
0
3
27
66
Défi
Dans ce manège, Marie n'a jamais autant ri de toute sa vie. Des larmes d’éclats de rire coulent sur son visage. Derrière elle, Paul, son frère, se cache dans sa chevelure. Il essaie désespérément de garder une posture digne : le dos droit, les mains posées sur ses genoux.
Il venait de lui murmurer : « Marie, j'ai vomi sur mes chaussures. »
https://www.deviantart.com/alonchou/art/So-happy-786469730
6
6
0
0
Défi
Jeanne et Serge étaient attablés au Café du Coin, un endroit où le café a le goût de l’amertume et où le serveur semble en pleine reconversion vers une carrière de statue. Autour d’eux, la vie continuait, mais eux, ils allaient refaire le monde… encore une fois. - Bon, Serge, faut que je te dise, j’ai eu une illumination, déclara Jeanne en remuant son café d’un air grave. - Ça sent encore ton délire existentiel, ça… Vas-y, balance, qu’on en finisse. - On n'est pas libres, en fait. Serge haussa un sourcil. - Attends, c’est ça ton grand scoop ? Jeanne, même mon poisson rouge l’a compris, et lui, il tourne en rond dans un bocal sans râler. Elle ignora la pique et continua : - Non mais sérieux, regarde. On nous bassine avec la liberté, mais au final, tout est cadré. Travail, impôts, règles à la con… On suit tous un chemin bien tracé, et si tu dévies, t’es catalogué comme marginal ou pire, influenceur sur TikTok. Serge prit une gorgée de son café et grimaça. - Mouais… Enfin, t’as quand même la liberté de commander autre chose qu’un jus de chaussette. C’est déjà ça. Elle secoua la tête. - Tu vois, c’est ça le piège. On a l’impression de choisir, mais en vrai, on suit juste un courant qu’
3
5
5
2
Défi
Je bougeais avec elle, je réfléchissais avec elle, j'y allais avec elle, je réussissais avec elle, je tenais avec elle, Je dormais pour elle, je vivais pour elle...
Je ne bouge plus, ne réflechis plus, n'y vais plus, ne réussis plus, ne tiens plus, ne dors plus, ne vis plus à cause d'elle.
Tu m'as tout volé, tu as tout détruit.
J'ai envie de crever à cause de toi.
3
6
0
0
Antoine, homme d'affaires respecté et d’apparence impeccable, est un maître du contrôle. Chaque matin, il commence sa journée par un rituel implacable : un rapide coup d’œil au miroir qui trône dans sa chambre. Il ajuste sa cravate avec précision, vérifie la coupe de sa chevelure, inspecte les moindres recoins de son visage, prêt à accueillir les attentes du monde. Rien n'est laissé au hasard. Il se nourrit des regards admiratifs qu’il suscite, cultivant une image soignée qu’il croit essentielle à sa réussite. Pour lui, chaque détail compte : le parfum subtil qui le précède, la coupe parfaite de son costume, son regard pénétrant, calculé pour inspirer confiance et respect.
Ses gestes sont mesurés, chaque mouvement a son but. Lors des réunions, il parle lentement, posément, avec une assurance qui frôle l’arrogance. Il connaît le poids de ses paroles, leur pouvoir sur ceux qui l’écoutent. Il ne tolère aucune fausse note. Ses sourires sont calculés, toujours à la fois sincères et distants, créant une aura de perfection inatteignable. Il est un virtuose de l’image, de l’apparence, et il se délecte des compliments et de l’admiration qu’il reçoit.
Ses habitudes sont marquées par une recherche perpétuelle de perfection : des repas toujours pris dans des restaurants élégants, des vacances dans des lieux exclusifs, des conversations soigneusement choisies, jamais trop personnelles, jamais trop engagées. Antoine a appris à éviter quelque faiblesse que ce soit, à éviter de se livrer. Il préfère les relations superficielles, où il peut briller sans se dévoiler.
Les miroirs, pour lui, sont des alliés fidèles. Ce sont des reflets qui l’assurent de sa place dans le monde. À la maison, dans son bureau, dans sa voiture, il ne manque jamais une occasion de vérifier son image. Il aime y contempler l'homme qu’il est devenu, un homme d'affaires au sommet, parfait dans ses moindres détails. Il y voit non seulement sa réussite, mais aussi son futur : une ascension sans fin, où rien ne pourrait altérer son aspect impeccable.
Antoine vit pour cette image. Son entourage ne le connaît que sous cet angle : celui d'un homme sûr de lui, toujours en contrôle, incapable de faillir. Ses amis, ses collègues, ses partenaires d’affaires, ses conquêtes, tous le voient comme un modèle de réussite.
**
Lors d'une soirée mondaine, Antoine, prêt comme à son habitude à se montrer, à briller, entre dans la salle principale, où des voix et des éclats de rire se mélangent sous les lustres étincelants. Il s'avance avec assurance, un sourire bien réglé sur les lèvres, saluant quelques connaissances en chemin. La musique est douce, l’atmosphère scintille de luxe. Quelque chose, dans cet enchevêtrement de corps et de conversations, attire soudain son regard.
Au fond de la pièce, près d’une fenêtre, Elle se tient à l’écart. Elle observe la scène avec distance comme si elle ne faisait pas partie de ce monde. Ses yeux, d’un bleu profond, scrutent le tumulte sans y prendre part, une lueur d’intensité derrière ce calme apparat. Son allure, simple, élégante, dégage une certaine froideur. Antoine sent une étrange attraction, un défi. Cette femme semble différente, presque insaisissable, comme une énigme qu’il veut résoudre. Un frisson parcourt son corps, mais il le chasse immédiatement. Il s’approche.
—Bonjour, Antoine…Vous ne semblez pas apprécier cette agitation autour de nous, dit-il en s’installant près d'elle, un sourire calme, presque supérieur, aux lèvres.
Elle tourne lentement la tête vers lui. Son regard le transperce, comme si elle sondait son âme. Un silence s’installe entre eux, lourd et chargé de tension. Elle n’est pas impressionnée. Elle reste impassible.
—Bonjour, Clara…Peut-être que je ne préfère pas me mêler à eux, répond-elle avec une voix douce, mais d’une froideur marquée.
Antoine, légèrement déstabilisé mais ne voulant pas perdre le contrôle, sourit. Il est habitué à séduire, à manipuler les conversations. Sa réponse le perturbe mais il est convaincu qu'il peut l'attirer dans son jeu.
- Vous préférez vraisemblablement les choses discrètes, les énigmes peut-être… j'aime les mystères, dit-il en se penchant un peu plus près d’elle, ses yeux ne quittant pas les siens.
Clara l'observe, son sourire reste figé, indéchiffrable. Elle garde sa distance, Antoine sent une tension électrique, comme si elle n’était pas indifférente à lui. Il la ressent, cette attraction silencieuse qui monte. C'est un jeu subtil et il sait qu'il en sortira gagnant.
- Vous avez l’air bien sûr de vous, Antoine. Tout a l’air sous contrôle, ajoute-t-elle lentement, ses mots sont une invitation à la réflexion.
Antoine rit doucement, essayant de reprendre l’ascendant, tout en gardant son allure de parfait gentleman.
- Tout le monde doit bien contrôler quelque chose, dit-il en la fixant avec un sourire qui frôle l’arrogance. Et vous, Clara ? Qu’est-ce que vous contrôlez ?
Clara le regarde un instant, sans ciller, puis détourne légèrement les yeux, comme si elle hésitait à lui répondre.
- Moi ? Rien du tout. Elle marque une pause, puis ajoute avec un petit rire mystérieux : Ou peut-être tout. Il faudrait que vous cherchiez à comprendre cela vous-même puisque les mystères vous séduisent.
Ces mots le frappent, le troublent. Il fronce les sourcils, intrigué par cette femme qui semble si insaisissable, il est cependant sûr d'une chose : il la séduira. Ce défi ne fait qu’alimenter son désir. Il sent qu’elle est un reflet de ses propres désirs, une projection de l’image parfaite qu’il se forge. Et cela, il ne peut l’abandonner, tant par curiosité que par challenge.
Il lève son verre avec assurance, un geste fluide, maîtrisé.
- Vous avez raison, Clara. Je vais chercher à comprendre…
Clara le fixe un instant, une lueur étrange dans ses yeux. Elle ne répond pas tout de suite. Elle semble peser chaque mot, chaque geste, avant de sourire vaguement.
- Peut-être, Antoine. Mais les mystères ne se résolvent pas si facilement.
Elle s'éloigne légèrement, laissant derrière elle un parfum de défi.
Antoine reste là, seul avec ses pensées. Un léger malaise le traverse, un doute qu’il ne connaît pas. Il est trop habitué à la victoire, trop sûr de lui, pour y prêter attention. Il sait qu’il la conquerra. Elle est un puzzle qu’il résoudra et il est persuadé qu'il saura la séduire.
En la regardant s'éloigner dans la foule, une question obscure, presque imperceptible, naît dans son esprit. Pourquoi, malgré tout, cette sensation étrange de ne pas l’avoir touché persiste-t-elle ? Lui qui ne doute jamais de lui et de son charme.
Un étrange sentiment de vide l'envahit. Malgré la distance qu’elle prend, une corde invisible semblait les relier. Il la suit du regard, appréciant sa silhouette qui se fond dans la lumière tamisée du salon. Il se sent irrésistiblement attiré par elle, et quelque chose dans la manière dont elle se déplace, sereine et sûre d’elle, renforce cette impression qu’ils ne peuvent pas en rester là.
Soudain, Clara se tourne légèrement, comme si elle avait senti son regard peser sur elle. Elle le fixe un instant, un sourire fugace apparaissant sur ses lèvres. Ce n’est pas un sourire chaleureux, c’est un sourire qui porte en lui la promesse d’un futur incertain, d’une rencontre encore à écrire. Antoine, emporté par un élan de confiance, s’avance vers elle, prêt à briser la distance.
- Il faudrait que vous me laissiez l’occasion de résoudre votre mystère, dit-il d’une voix basse, mais suffisamment claire pour qu’elle l’entende, Et vous Clara, êtes-vous prête à cela… Il laisse ses mots flotter dans l’air, un subtil mélange de défi et de séduction.
Clara le regarde, un éclat indéchiffrable dans ses yeux. Elle ne répond pas immédiatement, mais ses lèvres se retroussent légèrement, elle savait déjà ce qui allait suivre. Elle garde un silence suspendu, sa posture ne laissant aucun doute sur le fait qu’elle n’est pas insensible à ses avances.
- Peut-être…Elle laisse échapper un soupir, elle pesait soigneusement ses mots. Nous pourrions nous revoir hors de ce tumulte.
Antoine, ravi mais un peu perturbé par la froideur dans sa voix, s’approche d’un pas, déterminé à ne pas laisser filer cette opportunité.
- Quand ? demande-t-il, son regard brûlant d’impatience.
Clara le dévisage un instant, puis répond, presque mystérieuse, comme si elle savait exactement ce qu’il attendait mais ne voulait pas tout lui offrir si facilement.
- Un autre soir. Sans cette agitation. Elle esquisse un léger sourire, son regard reste perçant, comme un test silencieux.
Antoine sent la tension monter en lui. Il sait qu’il doit encore jouer de subtilité pour la captiver, mais cette promesse de revoir Clara, cette certitude de la retrouver dans un moment à venir, le pousse à redoubler d’efforts. Elle a piqué sa curiosité de manière si délicate qu’il ne peut s’empêcher de la désirer.
Il hoche la tête, un rictus confiant aux lèvres.
- Alors, j’attendrai ce moment. Je serai là, lui dit-il en lui donnant sa carte de visite.
Clara le fixe une dernière fois, prend sa carte puis se détourne doucement et disparaissait parmi les invités. Antoine, déterminé, reste là, le regard fixé sur l’endroit où elle a disparu, le cœur battant d'une excitation nouvelle. Il sait qu’il la reverra. Et il se dit que cette rencontre ne serait que le début d’un jeu complexe, où il entend bien remporter la victoire.
L’excitation de ce jeu lui donne plein d’élan. Pourtant dans son esprit, un léger malaise persiste, un doute fugace qu’il rejette aussitôt. Il n’y a pas de place pour l’incertitude dans son monde. Et Clara, il en est sûr, sera sienne.
**
Après leur première rencontre à la soirée mondaine, Antoine et Clara se croisent à nouveau sous des circonstances qui, au début, semblent fortuites. Peu à peu, leurs chemins se croisent de manière régulière, comme si l'univers lui-même les attirait l'un vers l'autre. Ils échangent des sourires, des paroles légères, des regards qui en disent long.
Antoine, toujours sûr de lui, commence à croire que la conquête de Clara est inévitable. Elle ne l’a jamais appelé mais le hasard l’avait remise sur son chemin et elle ne paraissait pas en être dérangée.
Leurs échanges se multiplient. Leur relation semble se tisser dans une danse délicate, où chaque interaction paraît calculée, chaque geste soigneusement orchestré. Antoine, tout en finesse, joue de ses charmes avec l’assurance d’un homme habitué à maîtriser les situations.
Un doux soir de printemps, elle le contacte. Sans savoir le but de son appel il l'invite immédiatement à dîner pour profiter de la douceur de la soirée.
Ils se retrouvent dans un restaurant raffiné, où il sait qu'il sera le maître du jeu. Rires, mots doux, regards furtifs… tout semble les pousser dans la même direction. Antoine croit fermement qu’il a compris Clara. Il se sent puissant, inébranlable. Les sourires qu’elle lui accorde deviennent pour lui une petite victoire dans cette conquête, déjà acquise selon lui.
Cependant, certains moments le perturbent. Parfois, Clara, dans son silence, semble réfléchir plus profondément qu’il ne l’imaginait. Un regard trop perçant, une phrase trop juste, une distance imperceptible dans son attitude suffisent à l'intriguer. Il se dit que c’est peut-être son esprit qui lui joue des tours, quelque chose dans l’attitude de Clara lui échappe toujours, comme une illusion qui se dérobe au moment où il croit l’avoir capturée. Un tourbillon de certitudes et de doutes l’envahit, le poussant à vouloir la comprendre encore plus, à la conquérir davantage.
Pourtant, plus il tente de s’approcher, plus il a l’impression qu’elle lui échappe.
**
Une semaine plus tard, ils se retrouvent dans un bar calme, l'atmosphère est feutrée et intime. Antoine ressent cette étrange certitude qu’il touche enfin au but. Il s’approche de Clara, ses pas mesurés, son regard fixé sur son visage, comme si ce moment était décisif. Il parle avec une conviction absolue.
- Je sais que vous ne me résistez plus, Clara, lui murmure-t-il en l’invitant à s’assoir, sa voix basse, presque confidentielle, comme une déclaration sans doute.
Clara le regarde, calme. Elle s’assoit avec délicatesse et assurance. Les mots d’Antoine ne semblent pas la toucher.
-Vous croyez ça, Antoine ? répond-elle, sa voix douce mais marquée d’une implacabilité. Vous êtes bien sûr de vous… N’êtes-vous pas simplement en train de vous séduire vous-même.
Les mots de Clara résonnent en lui : un écho étrange qu’il ne comprend pas immédiatement. A nouveau, une gêne s’installe en lui, cette réponse le faisait vaciller. Il se rapproche, son regard toujours aussi intense, cherchant à raviver la connexion qu’il était persuadé d’avoir établie. Antoine est sûr de sa séduction et même si Clara n’est pas une proie facile, les défis ne l’ont jamais effrayé.
Antoine ne trouve pas les mots, il se contente de faire signe au serveur pour combler son trouble passager. Clara, imperturbable, comprends qu’elle a déstabilisé cet homme que rien ne perturbe habituellement. Elle le fixe de ses yeux perçants pendant qu’il demande un café serré et se contente de faire un signe d’un geste froid et sec qu’elle ne souhaite rien commander. Elle n’attend pas qu’Antoine reprenne la parole et lui dit :
- Vous n’avez pas encore compris, n’est-ce pas ? Vous ne m’avez jamais séduite. Vous êtes simplement attiré par votre propre reflet.
Antoine, frappé de stupeur, reste figé sur place. Il est désarçonné, dérouté. Jamais auparavant il n’avait ressenti une telle défaite, une telle humiliation. Jamais on ne lui avait résisté.
Son cœur s’emballe. Il se sent fébrile, des gouttes de sueur perlent sur son visage. Dévoiler ce trouble lui est inconcevable. Il se précipite dans les toilettes, poussé par un besoin irrésistible de se cacher et de se retrouver face à lui-même. Devant le miroir, il cherche à retrouver cette image de lui qu’il maîtrise si bien et qui le rassure. Plus il observe son reflet, plus le malaise insidieux l’envahit. Il scrute chaque détail, chaque nuance, et découvre des imperfections qu’il n’avait jamais remarquées. Ses mains tremblent. L’angoisse l’envahit. Il se frotte le visage les yeux, rien ne change.
Ses traits commencent à se distordre. Il s’approche, le regard fixé sur la surface du verre. Un frisson glacé lui parcourt l’échine. Ce n’est plus son propre visage qu’il voit. Les traits se mélangent, se confondent, et soudain, il la voit. Clara. Ses traits, ses yeux, cette étrange distance. Une vague de panique le submerge. Il recule brusquement, comme si le miroir venait de lui faire une révélation insoutenable.
Ses traits se fondent, se superposent, et deviennent soudain un puzzle incompréhensible. Son propre visage se confond avec celui de Clara. Le reflet semble se dérober, se transformer en un miroir de ses illusions. Il touche le verre, le cœur battant, sa respiration s’accélère. Il ferme les yeux et se retourne, il doit retrouver son pragmatisme. Les propos de Clara s’en vraisemblablement perturbés. L’échec n’a pas de place dans sa vie, cette jeune femme qui refuse ses avances et qui l’humilie, lui a faire perdre son sang-froid. Il doit se ressaisir, retrouver Clara avec sérénité et clarifier la situation. Elle l’a ridiculisé, il doit comprendre ce qu’elle insinue. Pourquoi tous ces sourires, ces rendez-vous acceptés, cette connivence évidente et grandissante si cette dernière n’est pas séduite ?
Antoine prend une grande inspiration, sort des toilettes et retourne à leur table. Clara a disparu, comme un mirage qui se dissipe lorsqu’on change d’angle. Le serveur lui demande s’il désire boire autre chose ou s’il attend quelqu’un. Antoine lui répond, fébrile, qu’il ne souhaite rien pour le moment.
Il se souvient des paroles de Clara, des mots qui deviennent soudainement évidents. « Vous êtes simplement attiré par votre propre reflet. »
Tout s’éclaire brutalement. La vérité le frappe avec une violence inouïe.
Il est seul, face à lui-même.
1
0
0
11
Une rencontre virtuelle sympathique autour de l'écriture, on échange un peu et il me propose un défi : écrivons notre rencontre, chacun de notre côté, le seul impératif : ça doit être drôle...
Nous ne nous sommes pas encore envoyés nos écrits...
Nous ne nous sommes pas encore envoyés nos écrits...
1
0
0
13
Théodore Pincevent était comptable. Mais pas n’importe quel comptable : un de ceux qui calculent tout, surtout ce qu’il ne faut pas. Pour lui, les mots avaient une précision qu’aucune équation ne pouvait surpasser. Il les aimait droits, rigoureux, comme une colonne de chiffres dans un bilan sans anomalies. Aussi, ce lundi matin, lorsqu’il pénétra dans son bureau gris, il ne se doutait pas que les expressions hasardeuses et les figures de style de ses semblables allaient faire trembler son monde rapidement.
À 8 h 43 précisément (oui, car Théodore ne disait jamais « environ huit heures quarante-cinq », de peur que les minutes se vexent), Monsieur Darnet, son supérieur hiérarchique, entra dans son bureau comme une tornade, emportant tout sur son passage.
- Pincevent ! s’écria-t-il, rouge de colère ou de la cravate trop serrée, c’est selon. Le bilan est un vrai chaos ! Vous devez redresser la situation immédiatement !
- Redresser la situation, monsieur ? répondit Théodore en levant un sourcil, ce qui chez lui équivalait à une grande démonstration d’émotion. C’est une situation qui penche ? Parce que si c’est le cas, je pourrais la remettre d’aplomb sans problème.
- Quoi ? grogna Darnet. Mais enfin, Pincevent, arrêtez avec vos questions ridicules ! Le tableau, Pincevent, le tableau ! Il est bancal !
Théodore tourna la tête vers son écran d’ordinateur, où le fameux tableau Excel, chargé de chiffres en déséquilibre, tanguait, paraît-il, dangereusement. Peut-être que les cellules étaient un peu trop pleines, trop chargées. Il hocha gravement la tête, saisit une règle graduée dans son tiroir (quelle belle règle, si droite, si fidèle à sa mission de mesure), puis posa une main ferme sur son bureau. C’était une règle très sérieuse, trop sérieuse pour se permettre des écarts de conduite. Elle n’avait pas de marge d’erreur, et pourtant, parfois, je me demande si les règles ne sont pas des créatures jalouses qui, dès qu’elles nous voient hésiter, nous corrigent avec une brutalité toute proportionnée.
- Ne vous inquiétez pas, monsieur. Je vais rectifier cela.
Et rectifier, il le fit : à l’aide de sa règle, il mesura chaque colonne de données, cherchant une courbure imaginaire. Mais cette courbure ne vint pas. Non. Rien n'était courbé. Pourquoi chercher une courbure là où il n’y en avait pas ? Peut-être que c’était l’idée qui était courbée. Peut-être que la courbure était dans la tête de son chef.
Trouvant la situation désespérée, il se rendit compte que la véritable solution n’était pas dans un calcul savant, mais dans un simple ajustement physique. Un ajustement qui ne nécessitait aucun calcul, aucun signe égal ni supérieur. Non, il fallait juste trouver l’équilibre.
Il se rendit compte qu’il n’avait pas besoin de tout un arsenal mathématique, mais d’un petit quelque chose de pratique. Il ouvrit son tiroir, et là… une révélation : une cale. Pas un gros marteau. Pas un compas. Non, juste une cale. Ce petit morceau de bois. Parce qu’au fond, c’est la cale qui nous tient tous. Elle maintient l’équilibre. Elle ne demande pas à être comprise, elle sert, et c’est tout.
Il la plaça sous le coin de l’ordinateur. Le miracle opéra. L’ordinateur ne pouvait plus tanguer. Il était stable. Plus stable qu’un candidat politique lors d’un débat : aucun excès, juste l’équilibre parfait.
Monsieur Darnet revint dans le bureau quelques minutes plus tard, jetant un œil sceptique à l’ordinateur.
- Pincevent, dit-il en haussant un sourcil. C’est censé être redressé, hein ?
Théodore, tout fier de sa trouvaille, se leva et lui montra d’un geste théâtral.
- Tout est droit, monsieur, au millimètre près ! Il pointa l’écran d’un doigt précis, comme un général désignant son armée en parade. L’ordinateur est parfaitement stable. Rien ne penche, tout est aligné.
Monsieur Darnet regarda la scène, visiblement un peu déconcerté. Il leva un sourcil, et dans ses yeux brillait cette lumière que Théodore savait reconnaître : une lumière qui disait « Il y a quelque chose de parfaitement étrange ici, mais si ça marche, tant mieux ».
- Très bien, Pincevent, dit-il d’un ton qu’il voulait détaché. Je suppose que vous avez tout réglé… à votre manière.
Théodore, ravi, hocha la tête, un sourire de satisfaction plaqué sur son visage. Il n’avait pas seulement « redressé » le tableau Excel, il avait redressée une situation délicate, trouvé une solution pratique, propre, et rigoureusement alignée. C’est ça, être un comptable moderne : savoir quand faire des calculs et quand… ajuster un coin de bureau avec une cale.
Le redressement du tableau accompli, Théodore se rendit à la cantine, où l’attendait une nouvelle aventure langagière. Comme toujours, il aborda ce moment avec la même précision calculée qu’il mettait dans ses bilans, mais aujourd’hui, une énigme inattendue se dressait devant lui : le menu !
En grosses lettres, il y avait inscrit : « Langue de bœuf, sauce piquante ».
Théodore plissa les yeux, scrutant l’inscription comme un audit mal fait. Langue de bœuf ? Une vraie langue ? Et piquante en plus ? Il se mit à imaginer un bœuf avec un accent du Sud, ou un autre plus formel, parisien, qui aurait suivi une formation en management avant de finir dans une assiette. Ce genre de pensée tordue, il n’aimait pas y céder, mais que pouvait-il faire face à un menu aussi mal ficelé ?
Il s’adressa donc à la cuisinière, déjà accaparée par la préparation des plats.
- Madame, j’ai une question essentielle avant de passer commande.
- Oui ? répondit-elle, presque blasée.
- De quel bœuf provient cette langue ? demanda Théodore.
La cuisinière le regarda comme si ses mots s’étaient perdus dans l’air, avant de répondre :
- Euh, de la cuisine.
Théodore continua, peu satisfait par cette réponse :
- Est-ce qu’il a un accent ? Je veux dire, une langue, c’est comme un discours, non ? Un bœuf, c’est censé être un bœuf, mais si sa langue est piquante, je suppose qu’il a vécu un peu spécial, non ?
- Euh… c’est juste une recette de la maison, monsieur. Lui répondit la cuisinière qui commençait à s’agacer.
Théodore, frustré mais pas du tout découragé, persista :
- Mais quelle est l’origine de cette langue ? J’ai entendu dire qu’une langue peut parfois en dire long sur celui qui la porte. Est-ce que ce bœuf a eu des troubles dans sa vie ? Est-ce qu’il est allé en vacances ? Est-ce que sa langue a été politisée par des circonstances particulières pour être si… relevée ? Un bœuf révolté, avec plein de convictions acérées…
La cuisinière, un peu perdue, haussait les épaules.
- Non, monsieur, c’est juste… un plat simple, c’est tout.
Le regard de Théodore s’assombrit légèrement. Simple, ce plat ? Alors pourquoi lui donner ce nom saugrenu. Voilà exactement le problème. Il ne pouvait s’empêcher de penser que ce menu, avec ses noms pleins de promesses et ses ambiguïtés non résolues, n’était rien d’autre qu’une tentative insidieuse de compliquer les choses qui étaient, en effet, parfaitement simples.
- Bon, je vais prendre la purée de pommes de terre alors, dit-il enfin, un peu exaspéré. C’est simple, sans mystère, sans « soucis d’identité » ni « complexité historique ». Juste de la purée.
Mais en y réfléchissant une seconde de plus, il en arriva à cette conclusion déprimante : même la purée de pommes de terre pouvait être un piège. Pourquoi l’écraser ? Pourquoi cette volonté systématique de tout niveler, d’effacer toute forme d’existence individuelle dans la simplicité du geste ? Pourquoi cette compulsion à lisser la texture de la vie jusqu’à la rendre uniforme, molle, sans aspérité ? Peut-être que cette purée, dans son innocence apparente, cachait une profonde réflexion sur la société. Mais il se détourna vite de cette pensée, préférant ne pas trop compliquer les choses. Il ne pouvait en parler à la cuisinière car elle semblait fermée aux échanges constructifs.
Il choisit son repas et s’éloigna du comptoir. Pourtant, plus il y réfléchissait, plus l’idée lui semblait absurde : ces gens qui s’évertuent à donner un nom pompeux à un plat aussi basique qu’une langue de bœuf, c’est vraiment risible.
Il se sentit soudainement fatigué par la quantité de détails inutiles que les autres ajoutent sans cesse à la réalité, et par leur manière de rendre chaque situation plus complexe.
Rien que de réfléchir à l’idée que des gens pouvaient trouver intéressant de poser des questions existentielles sur une langue de bœuf l’avait vidé. Il se rendit compte qu’il venait de perdre un quart d’heure de sa vie, à s’interroger sur des détails qui n’avaient aucune importance, à cause de la façon dont les choses avaient été formulées. Mais bon, après tout, c’était comme ça.
Avec un soupir, il retourna à son bureau, prêt à plonger dans la simplicité réconfortante de ses chiffres. Il se dit que, finalement, son travail de comptable, avec ses bilans et ses tableaux Excel, était d’une clarté implacable. Il avait déjà résolu le problème du tableau bancal ce matin, et tout le reste semblait soudainement tellement plus simple. Pas de langue à décortiquer, pas de philosophie de bœuf. Juste des colonnes et des lignes bien droites. Là, au moins, il savait où il en était.
À peine Théodore avait-il posé sa fourchette qu’une collègue déboula dans son bureau. Elle portait un dossier si volumineux qu’on aurait dit qu’elle transportait toute les affaires non classées.
- Théodore, tu pourrais me donner un coup de main ?
Théodore leva un sourcil, perplexe. Un coup de main ? Voilà une expression qui l’avait toujours troublé. Était-elle en train de lui demander de détacher son bras pour le lui remettre ? « Voici ma main, bonne chance avec votre dossier ! ». Cela paraissait improbable… mais qui pouvait dire jusqu’où pouvait aller l’absurde en entreprise ?
- Bien sûr, répondit-il, tout en se levant.
Avec la gravité d’un chirurgien pratiquant une greffe, il leva son bras droit et administra une petite tape sur l’épaule de la collègue.
- Voilà. Bon courage.
Elle le fixa, interdite, mais Théodore était déjà retourné à ses chiffres, fier d’avoir accompli son devoir.
Quelques instants plus tard, elle revint à la charge.
- Bon, écoute, si le coup de main ne te convient pas, peux-tu me donner un coup de pouce ?
Un coup de pouce, maintenant… Théodore fronça les sourcils. Se moquait-elle de lui ? Voilà une demande plus spécifique, mais tout aussi intrigante. Le pouce ? L’un des outils les plus polyvalents de l’humanité ! Donné, il ne reviendrait pas. Mais Théodore, homme magnanime, leva lentement son pouce, comme un empereur romain sur le point de gracier un gladiateur.
- Coup de pouce donné. Bonne continuation.
Cette fois, sa collègue perdit patience.
- Et pourquoi pas un coup de pied, tant qu’on y est ?
Théodore haussait les épaules.
- Pourquoi pas, en effet. Mais attention, je vous préviens : si je donne un coup de pied, il faut choisir l’endroit avec soin. Tibia ? Genou ? Une simulation subtile de pénalty, peut-être ?
Il esquissa un mouvement du pied, mais sa collègue leva les mains, préférant éviter un accident diplomatique.
Mais son esprit, imperturbable, bifurqua. Si elle revenait pour demander un « coup de fouet », là, il serait vraiment dans l’embarras. Parce que pour donner un coup de fouet, il faudrait déjà en avoir un sous la main. Et il n’était pas certain que garder un fouet dans un tiroir de bureau soit bien vu par les Ressources Humaines.
Revenu à ses chiffres, il sourit, ravi de ses réflexions. Quant à la collègue, elle recula prudemment hors du bureau, décidant qu’elle trouverait quelqu’un d’autre pour l’aider avec son dossier.
C’est en fin de journée que les choses atteignirent leur sommet absurde. Un ami lui proposa de boire un verre après le travail, histoire de « lâcher prise ». Ce concept intriguait Théodore : pourquoi voudrait-on lâcher quelque chose ? Et quelle prise, au juste ? On ne lâche pas une prise comme ça, sans savoir à quoi on tient. Et si la prise était nécessaire ? S’il fallait la conserver ? C'était un coup à finir sans prise et sans raison, ou pire, à tomber dans un vide existentiel où l’on cherche frénétiquement une prise… pour la lâcher ensuite. Un paradoxe, donc… très déroutant.
Une fois au bar, il saisit un verre dans une main, un autre dans l’autre, et les cogna violemment, faisant gicler leur contenu sur la table.
- Théodore ! cria son ami. Mais qu’est-ce que tu fais ?
- Je lâche prise ! répondit-il, tout fier. Regarde : je relâche toute la tension du liquide. C'est de la physique pure. La gravité fait le reste !
Son ami, visiblement à court d’arguments devant le geste de Théodore tenta de changer de sujet.
- Bon, oublions ça. Parlons de… je ne sais pas… du travail !
- Ah ! Le travail ! répondit Théodore, ses yeux s’illuminant. Voilà un domaine plus stable. Le travail, voyez-vous, c’est comme une matrice, une structure dans laquelle on insère les variables de l’existence. On y met des chiffres, mais aussi des réalités humaines. Une réalité parfaitement cadrée, mais parfois un peu trop « serrée » aussi. Si vous forcez trop un dossier dans une case, vous risquez de tout écraser. Il faut savoir lâcher un peu, ouvrir les portes du cadre… mais jamais trop. Sinon, c’est le chaos.
- Tu sais, Théodore, tu es vraiment compliqué, dit son ami, un peu abattu.
- Compliqué ? Non, non, non, dit Théodore, secouant la tête. C’est juste qu’il faut toujours décomposer la réalité, comme une équation complexe. Vous voyez, tout est question de perspectives. Si je vous dis que l’avenir est incertain, ce n’est pas une prédiction, c’est une observation. Et si vous me dites que vous « laissez tomber », je vous demande : « Qu’est-ce que vous laissez exactement ? Qu’est-ce qui tombe ? Et où ? » Parce qu’il y a toujours un endroit où tout tombe. Si vous lâchez une prise sans savoir où elle va atterrir, est-ce que vous êtes vraiment libre, ou juste en train de fuir un contrôle que vous avez perdu ?
Son ami, maintenant carrément dépassé, essaya une dernière fois de trouver une sortie.
- D’accord, d’accord, mais… lâche un peu, pour une fois, lâche la prise, simplement !
- Lâcher la prise… murmura Théodore, comme pour lui-même. Oui, mais, voyez-vous, il faut aussi savoir quand la saisir de nouveau. Parce que, parfois, il n’y a pas de prise à lâcher, juste un moment où on arrête d’en chercher une. Alors, à ce moment-là, on cesse de vouloir contrôler et on se contente d’être, sans avoir besoin d’une prise. C’est là que le vrai lâcher-prise commence. Un lâcher-prise contrôlé, en somme. Paradoxal, non ?
Satisfait de sa réflexion, Théodore leva son verre. Voilà, il venait de « lâcher prise », et pour lui, tout était sous contrôle, même ce lâcher-prise.
Le lendemain, son supérieur explosa :
- Pincevent ! Cette fois, vous avez dépassé les limites !
Le lendemain, son supérieur explosa :
- Pincevent ! Cette fois, vous avez dépassé les limites !
Théodore, toujours prêt à analyser les choses avec rigueur, fixa son supérieur avec un regard perçant.
- Monsieur, vous dites « dépasser les limites », mais qu’entendez-vous par « limites » ? Les limites de l’espace, du temps, ou celles de la patience humaine ?
Darnet, pris au dépourvu, rougit de colère.
- Non mais sérieusement, Pincevent, vous me fatiguez avec vos jeux de mots !
Théodore haussait à nouveau un sourcil, lorsqu'il commençait à décortiquer une pensée.
- C’est que le « jeu de mots », monsieur, n’a rien d’un art, mais plutôt d’un passe-temps frivole. Chaque mot a son sens, sa place, son poids. Les détourner, c’est les dénuer de leur essence, comme si on jouait avec des pièces d’un puzzle sans chercher à les assembler correctement. Les mots, voyez-vous, ne sont pas des jouets : ils sont des outils, précis et indispensables. Je ne joue pas avec les mots moi monsieur ! dit-il d’un ton sec.
Darnet, exaspéré, n’eut même pas le temps de répliquer avant que Théodore, avec exubérance, poursuive :
- Vous me dites que j’ai dépassé les limites, mais si je vous demande quelles étaient les limites avant que je les dépasse, vous allez me répondre quoi ? Les limites n’existent que quand on les franchit, mais si je ne les franchis pas, est-ce qu’elles existent vraiment ? Et si je vous demande où elles sont, vous allez me dire que vous ne savez pas, parce qu’elles sont là où je ne suis pas allé.
Darnet explosa de rage :
- Pincevent, vous êtes insupportable ! Vous prenez tout au pied de la lettre !
Théodore, qui n’avait pas l’intention de se laisser déstabiliser, répliqua avec un sourire légèrement ironique :
- Ah, monsieur, vous me flattez ! Prendre les choses au pied de la lettre, c’est une discipline ! Mais si vous préférez, je peux aussi prendre au pied de l’esprit. Cependant, je crains que cela ne manque de rigueur…
Darnet, à bout de nerfs, lui lança furieusement :
- Prenez vos affaires et partez ! Vous êtes viré !
Théodore, stupéfait mais étrangement calme, répondit avec une sincérité déconcertante :
- Viré ? Mais…Que voulez-vous dire ?… projet ? Propulsé ? Parce que si je suis viré, je dois savoir dans quelle direction, histoire de calculer la trajectoire idéale.
Darnet, épuisé et hors de lui, lâcha :
- Vous êtes un cas perdu, Pincevent ! Un véritable cas perdu !
Théodore, totalement imperturbable, haussait un sourcil. Il regarda son supérieur comme s’il venait de faire une découverte fascinante.
- Un cas perdu, vous dites ? Mais, monsieur, qu'est-ce qu'un cas perdu ? Est-ce un objet qui a disparu, ou est-ce une situation que l’on ne retrouve plus ? Si je suis un cas perdu, où dois-je aller chercher ? Parce que, si on perd un objet, il y a toujours une chance de le retrouver… ou peut-être même de le remplacer !
Darnet se mit à trembler de rage, ses yeux écarquillés, les veines de son cou prêtes à exploser.
- Pincevent ! Vous me désespérez, vous êtes un véritable casse-tête !
Théodore, avec une tranquillité déconcertante, répondit :
- Désespéré ? Je ne pense pas, monsieur. Un casse-tête n’est qu’un défi à résoudre. Vous savez, il suffit de trouver la bonne pièce, parfois. Mais peut-être que le problème, c’est que vous ne voyez pas les pièces là où elles se trouvent ?
Darnet, à bout de souffle, se contenta de fixer Théodore, impuissant à réagir.
Théodore se leva calmement, et avant de sortir, il lança :
- Bon, je vais partir. Mais sachez, monsieur, que si jamais vous perdez un autre cas… je serai là pour vous aider à le retrouver. Après tout, un cas perdu, c’est juste un cas qu’on n’a pas encore retrouvé.
Puis, tout en se dirigeant vers la porte, Théodore se tourna brièvement vers son supérieur, ajoutant, avec un léger sourire :
- Cependant, si je suis vraiment un « cas perdu », ça va être compliqué de trouver ma direction, non ? Après tout, je suis viré, mais vous n’avez même pas défini la trajectoire de mon départ… un peu comme un GPS sans signal, non ? Je risque de tourner en rond pendant un moment… mais bon, ce serait un détour. Et qui sait, peut-être que c’est ça, la véritable solution à votre casse-tête.
Le patron, voyant sa patience fondre comme neige au soleil, s’étrangla presque avant de hurler :
- Sortez d’ici !
Obéissant à contrecœur mais toujours intrigué, Théodore sortit lentement, tout en réfléchissant à la direction exacte de son éviction.
Sur le chemin du retour, Théodore repensa à tout ce qui s’était passé « Lâcher prise », « redresser la situation », « coup de main »… Autant d'expressions qu’il avait analysées, décortiquées, et qui lui avait porté préjudices. Mais était-ce vraiment de sa faute si les gens utilisent les mots de manière vague et ambiguë ? C’un problème de formulation. Après tout, un mot mal choisi est comme une colonne de chiffres mal ajustée dans un tableau Excel : ça finit toujours par déséquilibrer tout le reste. Et ça, ça l’irritait profondément. Parce qu’un mot censé apporter de la clarté pouvait très bien se transformer en une véritable anarchie s’il n’était pas utilisé avec rigueur. Si seulement les gens pouvaient être aussi précis dans leurs mots que lui dans ses calculs !
Décidé à finir la journée avec un peu de « lâcher prise » contrôlé, Théodore entra dans le bar qu’il avait fréquenté la veille. Peut-être pourrait-il expérimenter un lâcher prise, cette fois-ci, un peu plus mesuré ? Ou même mieux, une « prise de conscience » bien cadrée, histoire d’équilibrer un peu tout ça. Mais à peine installé, le serveur s'approcha, visiblement peu enthousiaste à l'idée de le servir.
- Monsieur, je vais devoir vous demander de partir. Vous avez « lâché prise » un peu trop fort hier.
Théodore, implacable, leva les mains en signe d'apaisement.
- Je comprends. Mais si je ne peux pas lâcher, puis-je au moins saisir quelque chose ??
Le serveur soupira, exaspéré.
- Vous saisissez toujours trop de choses, monsieur…
Théodore, presque triomphant, répondit :
- C'est parce que si je lâche, il faut que je saisisse quelque chose, sinon c'est le vide total. Et dans mon métier, le vide, ça n'existe pas. Ça déséquilibre tout.
Le serveur roula des yeux avant de s'éloigner, comme pour éviter une nouvelle « analyse de mots » trop poussée.
Théodore, content de sa petite remarque, se remit à contempler la scène. L'esprit toujours en mouvement, il pensait à la manière dont les mots étaient utilisés et surtout, à la manière dont ils déstabilisaient tout autour de lui. Après tout, dans un monde où tout est question de précision et de logique, une simple erreur de formule pouvait avoir des conséquences imprévues. Peut-être que la véritable liberté se trouvait là : dans la maîtrise des mots, comme dans la maîtrise des chiffres.
Il sourit à cette pensée et se dit que le reste de la soirée ne pouvait être que plus simple, maintenant qu’il avait résolu ce problème de « lâcher prise ». Mais il n’était pas certain que le serveur le partageât...
Le lendemain matin, Théodore se présenta au bureau, imperturbable. Son badge ne fonctionnant plus, il frappa à la porte. Darnet, visiblement sous tension, ouvrit et, stupéfait, le regarda.
- Mais enfin, Pincevent ! Vous êtes viré ! Pourquoi êtes-vous là ?
Théodore, toujours imperturbable, répondit :
-Monsieur, vous m’avez « viré », certes. Mais vous n’avez pas défini la direction de mon départ ? Où dois-je me rendre exactement ? Parce que sans direction précise, je pourrais me retrouver… dans une impasse.
Darnet soupira bruyamment, ses mains tremblant à l’idée de l’absurdité de la situation.
- Qu’est-ce que vous voulez ?
- J’ai simplement besoin de clarification, monsieur, dit Théodore avec sérieux.
Le patron se rendit soudain compte que toute situation avec Théodore avait des allures d’énigme sans fin. Sans jamais perdre son calme, Théodore était toujours en quête de plus de sens. Et à la fin, il se demandait si ce n’était pas là son véritable talent : trouver des réponses aux questions que personne n’avait posé.
La porte se ferma devant lui à cause des Lettres mais son Esprit restait ouvert.
1
0
0
16
Vous êtes arrivé à la fin