Christophe Hulé
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de toujours
Le journal du matin, on regarde d’abord toutes les pages pour le plaisir. Même si, au fond, rien n’a changé, on croit encore aux matins tout neufs. On croit toujours ce que l’on veut, et c’est heureux. La rosée mouille un peu les pages, mais ça fait rien, c’est au jardin qu’il faut le lire.
La une sur le Président, il a un beau costume, ça m’étonnerait qu’il fasse mieux que les précédents, mais on s’habitue.
Voyons le temps, ouais, pas terrible.
Je passe la rubrique « faits divers », c’est pas trop mon truc.
La chronique sport me gonfle.
La culture c’est pas ça, on confond culture et divertissement à cause d’un Ministre branché que je ne nommerai pas.
Quoi d’autre ? Les mots croisés, la Bourse, les pipeuls, les recettes ? Bon les pages sont trempées et, en fait, ça m’arrange. Autant prendre un bon bouquin ou bricoler un peu. Je vais sans doute résilier l’abonnement. Ce qui se passe dans le monde ou chez le voisin m’intéresse peu à vrai dire.
Je devrais sans doute me passionner pour une cause, être utile à quelque chose, protéger la veuve et l’orphelin, avoir la foi, enfin tout ce que font les héros du quotidien. Je suis nul dans ce domaine, comme dans beaucoup d’autres.
Pour l‘instant, je finis mon café et je pars au boulot. Y a rien de mieux à l’affiche, mais on est des millions à penser pareil.
Je vais retrouver mes chers collègues, j’en salive d’avance. Putain encore 3 mois avant les vacances !
Voyons les petites annonces « à vendre canapé presque neuf, prix à débattre », « femme seule cherche une épaule, tocards s’abstenir », « homme marié, sans plus, cherche à s’encanailler en toute discrétion », « casting d’enfer pour super film, on vous attend les filles, aucune expérience exigée. » .
Bon, quand il faut y aller, une heure minimum si ça bouchonne pas trop.
Je devrais prendre un chat, un chien, une perruche ou peut-être un reptile. Histoire de me dire que quelque chose de vivant attend mon retour après le boulot.
Bon, marre de ces pensées oiseuses, je prépare le sac à dos, sandwich, thermos et bouteille d’eau. Heureusement que je peux me réfugier dans la voiture, pour la clope et le café. J’essaie de ne pas y aller toutes les heures, enfin ça dépend des jours.
Le boulot est peinard, après tout j’ai connu pire, mais franchement j’me fais chier la plupart du temps. Là encore, on doit être des millions dans ce cas.
Allez je reprends un café, j’vais être en retard mais je m’en fous. Vu la façon dont on nous traite, qu’on soit zélé ou fainéant. Le tort c’est de s’imaginer qu’on pense à nous là-haut. C’est comme avec le Bon Dieu, on nous prend pour des cons, dans l’ensemble on ne l’a pas volé, n’empêche que c’est un peu dur parfois.
Je passe la journée en apnée en attendant 17 heures, bon j’inclue le trajet jusqu’au parking, ça réduit un peu les horaires.
Une fois j’ai voulu faire marrer mon Supérieur hiérarchique sublime, celui qui est au dessus de mon supérieur hiérarchique direct.
Moi j’ai j’ai la conscience professionnelle.
- Comme nous tous. (ça commençait mal).
- Je ne pars jamais après l’heure.
Non seulement ça l’a pas fait rire, mais il a bredouillé un truc dans sa barbe. Pour faire rigoler les chefs, faut avoir les galons qui vont avec.
Allez encore 2 heures à tuer, putain, c’est long. Je pourrais faire la causette à un collègue (il faudrait mettre les tirets inclusifs pour le féminin, encore un truc des féministes intégristes. Je connais un syndicat qui s’y emploie à chaque phrase, le message est peut-être intéressant, mais au bout de 2 phrases on laisse tomber).
« Ils-elles sont outré-e-s par ces mesures » .
Bon, bref, mais j’vois pas trop à qui j’pourrais parler.
Dire que le masculin l’emporte, ça simplifie les choses. Ça et la pseudo simplification de l’orthographe, de quoi déprimer les gosses de maternelle.
Bon j’vais p’t’être aller balayer la salle d’archives, histoire de passer l’temps, c’est ça ou retourner dans la bagnole pour fumer la Nième clope.
Ce soir j’pars un quart d’heure avant, rien à secouer. Bon, j’fais pareil tous les soirs. Ce sont les petits chefs qui fliquent à tout bout d’champ. Les bons chefs préparent les réunions avec les notables du coin et se fichent pas mal des horaires du petit personnel.
Super, un tour aux toilettes, 5 minutes à peu près, et c’est parti.
Arrivé à l’appart, je retire la pince à linge et j’hurle un bon coup.
Mieux vaut compter en semaines et cocher jusqu’aux vacances, comme les prisonniers. Si on compte en années c’est la déprime assurée. Ceci dit, si elle est sévère, c’est l’arrêt de maladie, faut pas en abuser mais c’est toujours ça d’gagné.
Voyons l’programme à la télé, des trucs cuculs ou des programmes culturels assommants Le foot évidemment, ils inventent toujours un championnat ou un tournoi machin truc, faut dire que ça rapporte, le foot c’est comme le sapin, il reste vert à toutes les saisons. Sinon y a les séries guimauve ou les navets, on peut pas dire que les menus soient variés. Les reportages de voyeurs avec les voix off à la con et l’intonation en conserve qui donne des envies de meurtres. Je zappe et je reviens aux débats, toujours les mêmes journaleux spécialistes de ceci ou de cela, chefs de tel ou tel domaine. Ils ont un avis sur tout, et quelque soit le pouvoir en place, ils pérorent à l’infini sur l’incurie des gouvernants.
Direction la terrasse avec casque et musique, jazz ou rock psychédélique, entre autres, ça évite au moins d’entendre les voisins s’engueuler.
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Pour les justes, elle est une référence, risquer sa vie pour les autres. Nous on lit ça distraitement, comme une période révolue.
Et pourtant elle a bien existée. Sortis d’affaire, des héros ont jailli de partout. Pas moyen de s’y retrouver en fait, entre les têtes tondues et les médailles.
Les collabos se sont fondus dans le décor.
Avec son vélo et son courage, l’armoire dissimulée, le mensonge forcé.
Aujourd’hui elle est bien vieille, et même les petits enfants, ou les arrières, ne viennent plus la voir.
Ne restent que les photos,un peu floues.
Elle n’a pas fricoté avec les allemands, elle aurait pu, sans juger celles qu’ils l’ont fait.
Que les juges dans leur fauteuil pérorent.
L’héroïsme est un accident, on ne peut pas prévoir ces choses là.
Au bon moment, au bon endroit.
Elle s’abîme dans les gros albums photos. Bientôt la fin, elle le sait.
Son mari, très tôt prisonnier de guerre, n’a pas survécu longtemps.
C’est la loterie et elle le sait bien.
Refaire sa vie, à son âge ou à l’époque, et comment faire ?
Ils avaient prévu de faire des enfants après la guerre.
Ils en avaient prévu des choses.
Elle est seule à présent, d’autres à sa place ont des souvenirs heureux.
Elle s’épanche sur des souvenirs de vacances, plutôt rares.
La mer, le sable, les gamins faisant des châteaux, le cornet de glace.
Ça remonte à loin et elle idéalise un peu, forcément.
Mon mari, t’ai-je vraiment connu ?
Comme avec Bill Deraime et la « cité dortoir », elle arrose ses plantes sur le balcon minuscule et allume la télé quand ça va pas trop.
96 ans, c’est une bénédiction et trop à la fois.
Les perruches font du bruit, c’est à ça qu’elles servent.
Mon amour, mon amant, tu m’entends ?
Bonjour Madame, c’est moi, l’aide ménagère, je peux entrer ?
Je ne suis pas intéressée.
Enfin c’est moi, vous ne m’avez pas reconnue ?
Ah c’est vous, je vous offre un café, j’ai pas eu le temps de faire des gâteaux.
C‘est pas grave Madame, le café ça me va.
Des nouvelles de mon mari ?
Ben, il est encore en soins intensifs, il faut patienter un peu.
Très bien je vais attendre . Je fais confiance aux médecins.
Et les boches, ils sont partis c’est sûr ?
Je vous l’ai déjà dit, plus rien à craindre.
Non, parce que mon mari …
Il va bien je vous dis.
Bon allez, la toilette !
C’est obligé ?
Ben oui.
Écoutez, j’en ai marre de tout ça.
Je sais bien, vous me le dites à chaque fois .
Pas moyen d’en finir ?
Et pourquoi donc ? Profitez donc des petits plaisirs. Votre vie se terminera quand Dieu l’aura décidé.
Eh bien j’aimerais qu’il se décide vite .
Faut pas dire des trucs pareils, vous êtes frustrée mais vous pouvez encore respirer.
Vous n’y comprenez rien.
Ça je vous l’accorde, j’ai jamais compris grand-chose, mais pour le peu que je sais, je le sais.
C’est incompréhensible vo’t truc.
Détrompez-vous ! Vous avez vécu, vous avez vécu des trucs difficiles et extraordinaires, enfin quoi, vous devriez être fière !
Ma pauvre Marie-Josiane, vous y comprendrez jamais rien.
Et c’est bien pour ça que vous êtes malheureuse, le mépris, la rancœur, le repli sur soi.
Allez donc faire la chambre, et le reste, et sachez tenir votre langue.
Bien entendu Madame, et je vous prie de m’excuser.
C’est bon ma fille, c’est moi qui ...
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Qui étaient ces marins, leurs femmes, leurs enfants ? Cette vieille épave crevée ne dit rien. Étaient-ils quatre ou cinq à bord ? S’entendaient-ils bien ? Il fallait tenir de semaine en semaine. Le travail devait être dur. Je vois les silhouettes jaunes s’agiter. Je ne suis pas spécialiste, mais j’imagine les cordes qu’on tire, les manivelles et un tas de machins, ça court dans tous les sens.
C’est pas du travail de bureau, où on aligne les crayons et démêle les trombones
L’épave est belle mais fait un peu peine à voir. De grandes plaies ouvertes sur des os tout droits. Des éclats de bois ou de peinture, comme les églises peintes d’autrefois, on devine un peu la couleur. Un peu de rouge, un peu de bleu, beaucoup de rouille. Les vieux clous saignent. La cabine en métal s’en est un peu mieux sortie. Les portes en bois sur le pont sont éventrées, les chaînes sont noires.
Je devine la lutte pour la pèche au gros, on en a lu des romans à ce propos. C’est sans doute une des raisons qui font que les épaves nous fascinent. En extrapolant un peu et plus loin dans le passé, toutes ces histoires de pirates et de corsaires qui hantaient nos nuits de gosses.
Les épaves sont fantasmagoriques, tout comme le décor autour. La marée basse fait comme un miroir. Les épaves contemplent au loin leur ancien lieu de travail. Pour les marins et leurs proches, on ne saura jamais. Que leur cimetière soit marin ou pas, quelle importance ?
On pourrait en dire autant des mines désaffectées et des gueules noires. Tous ces vestiges laisse une trace du passé.
« C’était mieux avant », on y réfléchit à deux fois en les observant.
On lève son portable pour la photo.
Les mains calleuses, on en trouvent encore dans les campagnes, ou pour quelques métiers. Les percherons n’étaient pas moins bien lotis que leurs propriétaires. On vit bien mieux que tous les nobles ou les bourgeois d’antan. Avec ou sans dents, pour ne pas citer un de nos chers présidents.
Pourtant, confusément, en feuilletant un almanach ancien, ou sur ces vieilles photos ou cartes postales, on ressent une certaine nostalgie. Être nostalgique d’un temps qu’on a pas vécu, c’est comme vouloir retourner dans un pays que l’on a pas connu.
Ce cimetière de bois et de fer vaut bien les mégalithes et leur mystère.
Tous les cimetières se valent, on y trouve les trésors que l’on veut bien trouver.
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On est pas dupe de tes p’tites affaires, t’as trompé tout l’monde avec tes histoires de rédemption. Et les anges par ci, et les anges par là. La visitation, la génuflexion, et tous ces mots en -ion, de quoi avoir le vertige. Marre des sacerdoces à moelle mal léchés, le calice, on l’a bu jusqu’à la lie, on est pas plus avancé, tu nous casses les burettes !
Bon Fernand, tu laisses le curé tranquille et t’arrêtes de boire.
Laissez, je crois pouvoir répondre.
Monsieur l’curé c’est un gros risque, quand Fernand a bu il dit n’importe quoi, et, en plus, il s’énerve.
J’en ai sauvé de plus coriaces.
Enfin, on vous aura prévenu.
Mon fils avez-vous la foi, ou l‘avez-vous eu un jour ?
Qu’est-ce qu’il dit le curé ?
Fernand, reste calme !
Votre mère vous a bien appris les péchés capitaux ?
Laissez ma mère en dehors de tout ça, cureton.
Bon, à votre aise. Quand vous réfléchissez ne ressentez-vous pas quelque remord, ou culpabilité ?
Un curé a le temps de réfléchir, vu la fréquence des messes. Moi je bosse et je ne perds pas de temps dans les détails.
C’est de là que vient le mal mon fils.
Je ne suis pas votre fils, Dieu merci, appelez-moi Monsieur, j’aime autant.
Fernand arrête !
A quand remonte votre dernière confession ?
J’me suis jamais confessé, même quand j’étais gamin, j’avais déjà repéré vos trucs.
Bon Fernand ça suffit.
Laissez, ça devient intéressant.
Monsieur l’curé, encore un p’tit ?
Ma foi, je n’dis pas non.
Bon Fernand tu coopères, là tu gâches la soirée.
Eh bien d’accord, si le curé reconnaît que tous ces rituels sont des conneries.
Fernand, t’es chiant !
Monsieur l’curé, encore un peu d’eau bénite aux poires.
Si vous insistez.
Bon, mon fils, pardon mon frère, Monsieur, Fernand, vous voilà empêtré dans le péché.
Non point Monsieur le curé, mon âme est propre comme un sou neuf.
La soirée commence à peine, et je reprendrais bien de ce nectar. Bon Fernand on reprend.
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Mais si, les anges existent, même si on ne les voit pas.
Évidemment c’est pratique. C’est le principe des religions. J’en dirai pas plus, dès qu’on s’aventure sur ce terrain, on pourrait se croire en Chine ou en Turquie.
Enfin, on peut en dire autant des dragons, des griffons, des lutins, des sorcières, …
Oui ben ça va, j’ai compris !
Tu me diras, parfois c’est l’inverse, prenons ta mère par exemple, je ne la vois jamais, et pourtant je sais qu’elle existe hélas.
Laisse ma mère tranquille, tu as gagné, tu ne la vois plus, qu’est-ce qu’il te faut de plus ?
Si on y réfléchit un peu, y a pas grand-chose de changé depuis le Moyen-Age.
Et c’est parti, qu’est-ce que tu vas nous pondre encore.
Eh bien à l’époque, la majorité était illettrée, alors on montrait des images pieuses. Les moins pieuses circulaient sous le manteau. Pour les chanceux qui savaient lire, ça manquait pas de poèmes érotiques.
Je me doutais un peu que tu rebondirais sur le sujet. Dois-je m’inquiéter ?
Mais non ma douce, tu fais l’affaire.
Goujat !
Bon, je reprends, aujourd’hui c’est l’inverse, seule une minorité est illettrée, mais on est bombardé d’images. Pour la plupart, zapper sur les gros titres, ou lire les notices techniques, c’est déjà amplement suffisant. Quand on pense au budget de l’Éducation Nationale.
Et allez, encore un cliché ! L’école instruit, mais pour que les gosses soient motivés, les parents ont leur rôle à jouer. Si tu veux des clichés, regarde donc les résultats des statistiques socio-professionnelles, tous les ans c’est pareil. C’est quand même pas la faute des profs.
D’ailleurs tu tardes un peu à sortir ton couplet sur les fonctionnaires.
J‘y viens, j’y viens !
Bon, alors, on va dans la cuisine, moi j’ai des choses à faire, ça non plus ça n’a pas changé depuis le Moyen-Age. Les hommes ergotent, les femmes tricotent. Les hommes paressent, les femme s’échinent, …
Oh, oh, t’exagères pas un peu là ?
Te concernant, certainement pas ! Il y a sans doute des maris, ou compagnons modèles, mais ça nous ramène aux anges, on les voit pas, mais peut-être qu’ils existent.
Au risque de te choquer, à part les féministes convaincues et culottées, si j’ose dire, ce sont souvent les femmes elles-mêmes qui freinent les progrès.
Au risque de te surprendre, je t’accorde ce point.
A la bonne heure !
Alors ce jour je décide de devenir une féministe convaincue. Tu fais la cuisine. Je serai indulgente et je t’aiderai à trouver les machins ou ingrédients nécessaires, après, comme les gamins, tu deviendras autonome. Moi, j’irai faire un golf avec les copines que j’aurai converties, on fumera le cigare et on boira le calva à la fin du repas. Les hommes à la cuisine, les femmes au salon !
Tu te crois drôle ?
Mais je suis on ne peut plus sérieuse, d’ailleurs c’est toi qui m’a soufflé l’idée. Je t’en suis reconnaissante.
Bon, j’vais faire un tour.
Bonne idée, mais t’attends 2 minutes, je te fais une liste.
Une liste de quoi ?
T’es bête ou quoi ? Une liste de courses à faire.
Mais j’ai pas que ça à faire !
Mais moi si ? Tu es bien comme tous les hommes avec tes discours ampoulés, et creux, permets-moi de te le dire, Pour faire changer les choses, ben faut agir. C’est la grande différence entre un politicard et un Homme d’État. Au passage, tu m’excuseras d’avoir des opinions et quelques neurones.
Putain là t’y vas fort.
Ça s’appelle la Révolution, c’est pas ma tasse de thé, mais parfois il n’y a pas d’autres options.
C’est ta mère qui t’as mis ces idées en tête.
Évidemment, vu que je suis très conne.
…
Bon, tu paies avec ta carte, encore une innovation.
Là tu vas trop loin.
Assoies-toi donc, on va prendre une feuille de papier et faire deux colonnes ce que je paie, ce que tu paies.
J’aime pas trop ce jeu là.
Ça m’étonne pas, et, pour rappel, on est pas en train de jouer.
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Salade de fruit, jolie, jolie … Pèches, bananes, raisin , chouchous ! Beignets, caramel, citron, chocolat ! Framboise et autres délices, fraise et pistache ! Cornets glacés sur voie lactée, pépites d’étoiles multicolores, sorbets ! Mesdames, Messieurs, et vous surtout les enfants, laissez-vous tenter.
Encore un qu’il faudrait enfermer !
Et pourquoi donc, il fait son boulot et il ne manque pas de talent.
Monsieur je vous sens sceptique, une barbapapa ?
Vous le saltimbanque allez donc vous …
Chéri, il est sympa et ne fait de mal à personne.
Madame est sage, quelques pralines ou des pommes d’amour ?
Tu nous fais de l’ombre, casse-toi !
Moi je veux bien un esquimau.
C’est un choix qui vous honore.
Je ne débourserai pas un sou pour ce pouilleux.
Chéri je veux un glace, et ce « pouilleux » me plaît.
Bon,c’est combien ton machin ?
3€ .
Ben c’est pas donné !
Quel parfum gente dame ?
Tu vas nous emmerder longtemps ?
Je fais mon métier Monsieur.
Alors c’est quoi qu’vous m’proposez ?
Pour vous Madame, je proposerais tous les trésors.
Bon, on abrège !
Cassis, vanille, plombières …
Eh ben, on en a pour la journée !
Et alors, qu’est-ce que ça peut bien faire, on est en vacances.
Ce jeunot m’énerve, tu veux sans doute que je tienne la chandelle ?
T’en fais une histoire pour un cornet !
Moi c’est surtout les cornes qui me turlupinent.
Bon, météorites au chocolat, sirop d’érable en orbite.
Allez tu dégages !
Et pourquoi qu’il dégagerait ?
Chérie tu te tais, on en parlera après.
Que je me taise, tu rêves !
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Je me noie dans mon délire de persécution, enfin, c’est ainsi qu’on l’appelle. Pauvre bougre, il n’a pas su s’adapter. L’enfance et l’adolescence ne sont que velléités, qu’on se le dise. Pardon Madame, Monsieur, je m’excuse d’exister. Le caniveau ? Ah oui, bien sûr, pardon. Vous avez bien fait de me remettre à ma place, parfois j’oublie. Pourtant mon père, c’était quelqu’un. Ma mère était une sainte. J’ai tout appris par cœur, préceptes et interdits. Alors Madame, Monsieur, il faut me donner la bourse et les bijoux. Je vous promets ensuite de retourner à ma place. Vous êtes toute pâle Madame, soyez donc rassurée, je ne fais pas dans la violence. Sauf si les circonstances m’y obligent, n’est-ce pas Monsieur ? Voilà qui me paraît raisonnable. J’ai, par ailleurs, encore une requête. Votre regard Monsieur dit que vous comprenez. Votre épouse est un sanctuaire, j’aimerais le visiter. Ne soyez pas inquiet, cela peut prendre un instant ou peut-être plus. Êtes-vous si pressés ? Le temps n’est qu’abstraction, vous me suivez n’est-ce pas ?
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C’est moi ce gamin ? J’ai du mal à y croire. Pourtant je sens l’odeur du sable, même si le sable n’a pas d’odeur. Je gravis les falaises, jamais essoufflé. Je suis le sentier littoral, ça m’énerve quand je rencontre des gens, c’est mon territoire. Y a des trucs à voir partout, les belles maisons, les rochers, la mer, la vue imprenable sur Granville. Je fonce comme un malade, même si j’ai tout mon temps. La mer s’écrase tout en bas dans un bouillon d’écume. Je n’ai pas le vertige, mais je ne m’approche pas trop quand même. La vache, c’est haut !
Il y a un genre de promontoire avec un banc, je ne peux pas résister et je m’assoie. J’aimerais rester là pour l’éternité, j’aimerais surtout rester ce gamin.
Bon, il faut quand même que j’y ailles, plein de trucs importants à faire, comme le goûter ou la baignade, et surtout emmerder le frangin, c’est mon hobby.
Dans un peu plus d’une heure, la mer sera un peu moins colérique, et là un nouveau bonheur m’attend. J’ai des choix importants à faire, est-ce que j’apporte le canot pneumatique ? Ça pèse lourd et le chemin est long de la maison à la plage, la vie est parfois compliquée, quand je l’apporte c’est une corvée et je ne m’en sers pas. Quand je décide de ne pas l’apporter, je le regrette. J’espère que ma vie d’adulte, oui, j’suis pas idiot, faudra bien que j’y passe, bon bref, j’espère que ce sera moins compliqué.
Le frangin a construit un super château, je m’échauffe pour ce qui va suivre.
Maman, il a tout écrasé.
C’est comme ça tous les jours, pourtant tu le sais bien, t’as qu’à faire autre chose.
Évidemment comme d’habitude tu le défends, c’est une atteinte à ma liberté.
Oh là c’est qui ton instit cette année, va falloir que je lui parle.
J’parie qu’c’est un communiste.
Toi tu n’parles pas de choses qui te dépassent, et pour une fois ton petit frère a raison, tu devrais le laisser tranquille de temps en temps. J’vais p’t’être aussi rencontrer ton instit. Il est grand temps que je prenne les choses en main.
Maman, il a bouffé l’dernier choco.
On dit « manger » . Si vous continuez comme ça on rentre, vous êtes en retard avec vos cahiers de vacances.
OK, on fait la paix, mais c’est sous la pression.
Eh ben, demain je vais avec vous à l’école.
On va nous chambrer si tu nous accompagnes.
Je marcherai à distance, puisque vous avez honte de votre mère.
Encore une autre forme de pression !
Bon,allez donc vous baigner.
T’es qu’un faux-cul.
Et toi le chouchou.
Ben ouais, c‘est comme ça, j’peux rien faire pour toi. En attendant tu vas nager plus loin.
C’était moi c’gamin ?
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On a fermé les persiennes et allumé les bougies
On a semé des pétales sur le drap noir pour faire joli
Comme les grains de riz aux mariages
Ou les dragées aux communions
Le curé est toujours là
Il a survécu au gamin qu’il avait baptisé
Celui qui est allongé là dans sa veste militaire
On lui a laissé ses bottes et son képi
La mère et l’épouse portent le voile noir
Les enfants hagards se sont réfugiés
Dans la pénombre au pied du lit
Pourquoi il bouge pas papa ?
T’es bête il a rejoint le ciel
Les frères et sœurs sont à genoux
Putain de guerre.
Quelques gradés ont fait le déplacement
Devoir, patrie, courage, sacrifice
Enfin tout le bazar habituel
Ils connaissent le discours par cœur
Le père n’est pas présent, il y est resté à la précédente
La famille pourra toujours collectionner les médailles
Dans la vitrine du salon
Mon fils, mon mari,mon frère
Papa ?
Le sabre à ses côtés brille à la lueur des bougies
Papa, mon frère, mon fils, mon mari
Au petit jour on a suivi le cercueil
La neige était tombée dans la nuit
Dans le marbre on a gravé
MORT POUR LA FRANCE
Mon époux, mon enfant, mon père
Les fossoyeurs se reposent
La procession s’en retourne au logis
Par petites grappes, serrés les uns contre les autres
Tu crois vraiment qu’il est au ciel ?
C’est ce que maman a dit
Bon les enfants au lit
On éteint les bougies
Et chacun dans son coin
pleure en silence
Dire que demain c’est Noël
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Vous êtes arrivé à la fin