KLMG
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de toujours
Voici les premiers chapitres d'une nouvelle assez longue qui est actuellement en développement. De nombreuses fautes et errances doivent certainement subsister et j'espère que vous m'aiderez à les corriger, que vous me lirez et que vous y prendrez plaisir. Aussi, n'hésitez pas à commenter et donner vos avis !
Bonne lecture !
Bonne lecture !
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Défi
Quelques poèmes en réponse au Marathon Poétique.
Bon, pour l'instant il n'y en a que deux. Espérons que cela s'étoffe.
Bonne lecture !
Bon, pour l'instant il n'y en a que deux. Espérons que cela s'étoffe.
Bonne lecture !
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Défi
Réponse au défi "24 jours, 24 chapitres"
Histoire macabre, pas très propre et pas très polie.
En bref : une histoire de Noël.
Bonne lecture !
Histoire macabre, pas très propre et pas très polie.
En bref : une histoire de Noël.
Bonne lecture !
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Défi
Le bus s'arrête et ouvre ses portes, mais l'homme assis sous l'abris n'a pas une seule pièce en poche, n'a pas d'hier dans sa caboche, ni de demain dans ses baloches. En général il est assez grossier, des insultes plein le gosier, mais aujourd'hui les passants sont graciés. Dans sa tête, il range les meubles, ses bibelots, ses lots de bibles, il débarasse le tapis et dépoussière la table, mais plus il avance dans ses corvées, moins il trouve de place où se lover. Il voudrait se créer un nid de tout repos, lui qui erre dans la rue, pauvre. Il voudrait se nourrir d'idées fraiches, lui qui n'a que des pensées rèches, mais les mots lui manquent et c'est pour cela qu'il préfère ne rien dire. Qui l'écouterait, cet homme, un fou qui loge dans sa propre tête ? Qui pourrait lui donner la solution à son problème d'entête ? Les gens ont assez d'histoires pour une vie, mais lui n'a qu'une vie pour ses histoires. Il n'a donc pas le choix : la solitude n'est pas une si mauvaise compagne après tout. Ce n'est pas elle qui vous abandonnera.
Racontez ce que vous voulez, il n'est finalement pas si mal habillé. Aujourd'hui il ne s'est même pas saoulé et on lui a même filé un billet. Ce dernier venait de sa mère mais tout le monde sait que les mères sont les fans premières. Pour ce qui est de son histoire, il l'a rencontrée par un détour, comme l'on recontre l'amour, alors qu'il s'en allait boire. Dès qu'elle s'est insinuée par tous ses pores, elle a pris contrôle de son esprit et de son corps pour l'amener sans contrainte jusqu'à l'autre bout de Paris. Ils ont marché ensemble jusqu'au soir, ont échangé sans se voir, et il s'est éveillé bien tard, les yeux hagards, au milieu d'un boulevard. Ce rencard l'a porté loin à travers la ville, mais l'histoire a été bonne, malgré sa jeunesse, et il sait que cette nuit, il va coucher. Coucher sur une blanche vierge un récit qui a pris en otage sa vie pour toute une journée, et dormir jusqu'au matin pour découvrir une merveilleuse étrangère. Ou une horrible perte de temps.
Lorsqu'il écrit il est gris, comme mort, mais comme or il étincelle car c'est un homme concentré. Il a plus souvent le nez au plafond que sur son manuscrit, il réfléchit plus qu'il ne rédige et grignote plus qu'il ne pianote. Sur une chaise au design suédois, son corps est immobile de cul à cou. Seule sa tête tourne en tous sens pour trouver une solution à ses absences. Ses yeux sont fixes comme ceux d'un damné, sa bouche tordue par la réflexion endurée. Il ne sait si la fin du récit viendra bientôt, toujours est-il qu'elle se présentera trop tôt. En attendant il mendie quelques mots pour continuer ses fables instables et ses histoires d'un soir.
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Ceci est une courte histoire faisant partie d'un recueil qui aura pour but de conter des fins, tragiques ou joyeuses, dans un monde imaginaire et fantastique.
J'essaierai, dans la mesure du possible, de poster une nouvelle tous les deux mois, tout en les améliorant à la suite de vos critiques et propositions.
Bonne lecture !
J'essaierai, dans la mesure du possible, de poster une nouvelle tous les deux mois, tout en les améliorant à la suite de vos critiques et propositions.
Bonne lecture !
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Défi
En réponse au défi sur le "Silence", un petit poème sur une des nombreuses tragédies humaines.
Bonne lecture !
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Défi
Nous nous embrassions une dernière fois, sans grand plaisir et avec une peine si immense qu'elle brûlait nos lèvres. Mes yeux dans les siens, durant quelques trop courtes minutes, retenaient des larmes de déception. Puis je les détournai et elle fit de même, et nous inspections désormais l'étrange petite maison au bout de la ruelle. Cernée de part et d'autre par deux bâtiments de bruit et de béton, elle semblait mener un combat perpétuel afin de ne pas se faire écraser entre les deux masses grisâtres qui la recouvraient de leurs ombres. La mer, qui étincelait à une centaine de mètres seulement, offrait son odeur, portée par le vent qui s'engouffrait dans la mince ruelle et venait déposait le sel sur le mur de la petite maison. Cette dernière était faite de briques et de tuiles rouges, lui donnant un aspect des plus curieux. Elle semblait prète à céder à tout moment et cela me rassurait peu. Je doutais encore. Il était encore temps de la prendre par la main et de faire demi-tour, de s'enfuir sur le sable et de se perdre dans les vagues, de dissoudre notre vie dans la mer de notre amour. Cette poésie était ancrée dans mon coeur et mon esprit, elle alourdissait mes sentiments et écrasait ma raison. Si je voulais retrouver le contrôle de moi-même, je savais qu'il n'y avait pas d'autre solution.
Nous nous approchâmes de la porte d'entrée de la maison. Ce n'était pas une porte commune tel que l'on en trouve sur les maisons de bord de plage, mais une porte métallique, épaisse, striée de barreaux ronds. J'appuyai sur la sonnette d'un interphone accroché au mur. Aucun bruit ne se fit entendre de notre côté. Trente secondes passèrent et un crépitement répondit à mon appel, puis la voix rauque d'une vieille femme se fit entendre.
- Je vous écoute.
- Bonjour. Nous avons appelé hier pour prendre rendez-vous.
- Votre nom ?
- Francis et...
- Entrez.
L'interphone se tut. Je saisissai un des barreaux et tirai la porte métallique. Derrière se trouvait une autre porte, en bois et finement taillée. Une poignée ronde se détachait du cadre de par son noir profond. Elle semblait neuve alors que tout le reste n'avait sûrement pas été entretenu depuis des années. Là me vint une nouvelle hésitation. Ne me voyant esquisser aucun mouvement, ce fut elle qui ouvrit cette porte et entra la première dans la maison rouge. Sans montrer ma détresse, je la suivis.
Il faisait chaud à l'intérieur et, une fois que la porte se fut refermée derrière nous, le silence fut assourdissant. Pas un bruit extérieur ne semblait pénétrer les murs de la maison. Nous nous tenions dans ce qui semblait être la pièce principale de la maison. Une table ronde et quatre chaises se trouvaient au centre et divers meubles, essentiellements des bibliothèques et des casiers, cachaient les murs. Les étagères étaient remplies de livres et de nombreuses bouteilles et fioles au contenu mystérieux. Une petite cuisine se tenait dans un coin de la pièce, de l'autre côté d'un bar encombré. Le plafond était bas et de la charpente pendaient des herbes et des fleurs séchées. L'air en ce lieu était lourd et sec.
Une porte s'ouvrit et la vieille femme apparue. Elle était petite, courbée par son âge et ridée du front jusqu'au bout des mains. Elle portait une robe verte et , malgré la chaleur qui règnait, une veste marron. De nombreux colliers et pendentifs cliquetaient sur sa poitrine. Ses cheveux blonds et blancs étaient longs et emmêlés, encadrant une tête ronde où étincellaient deux yeux gris. Sans un mot à leur attention, elle rangea quelques fioles posées sur la table tout en les inspectant des pieds à la tête. Une fois qu'elle eut refermer l'armoir dans laquelle elle avait soigneusement aligné ses fioles, elle se tint devant eux et demanda :
- Quelle est la date d'aujourd'hui ?
- Le 22 septembre.
- De quelle année ?
Ma compagne et moi échangèrent un regard étonné, puis c'est elle qui répondit :
- 1989.
- Vous venez pour quoi ? Vous voulez un enfant ? Vous voulez vous débarraser d'un enfant ?
- Non, rien de ça ! Nous vous avons appelé hier. Nous avons un problème de... d'amour ?
La vieille femme laissa échapper un ricannement et se tourna vers ma compagne.
- Il est tombé dans les jupes d'une autre ?
- Non ! m'écriai-je. Nous sommes follement amoureux l'un de l'autre, et c'est bien là qu'est le problème.
- Expliquez-vous.
Et ce fut elle qui expliqua notre situation. C'était une passion qui brûlait nos entrailles, une passion telle qu'elle nous dévorait chaque jour et chaque nuit. Nous perdions tout, nos amis et notre temps, engloutis par la force qui nous liaient. Mais cet amour était souffrance. Que nous étions ensemble ou séparés, nous n'arrivions pas à vivre à la hauteur de notre passion. En résultaient de nombreux conflits, de nombreuses déceptions et de nombreuses douleurs. Pour tout cela, nous avions décidé de cesser de nous aimer.
- Je vois, dit la vieille femme. Cela faisait quelques temps que je n'avais pas eu à traiter pareil cas. Cinq cents.
- Nous n'avons que quatre cents...
- C'est bon.
Je lui donnai l'argent et elle nous demanda de la suivre. Elle nous mena jusqu'à un escalier qui se cachait derrière une porte. L'escalier descendait dans l'obscurité d'une cave où nous descendirent tous trois sans un mot. Une fois la dernière marche conquise, la vieille femme alluma la lumière qui dévoila une cave tout à fait banale au sol cimenter et aux murs gris. Un vieux néon diffusait sa lumière blanchâtre et éclairait une machine à laver, quelques meubles et des piles de cartons qui s'empilaient jusqu'au plafond. De sous l'escalier, la femme sortit deux chaises poussièreuses qu'elle disposa au milieu de la pièce, face à face.
- Asseyez-vous.
Nous nous exécutâmes et la regardâmes s'affairer au milieu des tours de cartons au fond de la cave. Elle tira de l'obscurité une chose qui me glaça le sang. C'était un cadre en bois, d'environ deux mètres de haut et moins d'un mètre de large, dans lequel était glissée une lame retenue par une corde. Cette corde passait par un trou qui se situait tout en haut du cadre et pendait dans le vide. A la base du cadre se trouvait un petit mécanisme dont un levier dépassait. La guillotine se déplaçait sur quatre petites roulettes fixées sous la planche en bois lui servant de support. Il n'y avait cependant aucun point d'appui pour un cou, ce qui me rassura quelque peu.
La vieille femme plaça, en grommelant et en suant, la guillotine entre nous deux avant de dire :
- Cette lame n'est pas ordinaire. Sinon à quoi bon ?
- Qu'allez- vous couper ? demanda mon aimée avec une voix tremblotante.
- Moi, rien. Cet instrument fait tout le travail.
Elle se saisit de la code et l'enroula autour de l'une poulie qui constituait une partie du mécanisme. La lame commença à monter. La vieille tira sur la corde de toutes ses maigres forces jusqu'à ce que le métal tranchant vienne buter contre le haut du cadre. Elle finit alors d'enrouler la corde autour de la poulie et jura en une langue qui m'était inconnue.
- Il existe un lien, une connexion, entre chacun d'entre nous. Le votre est beaucoup trop puissant et il n'y a pas d'autre moyen pour vous que de le couper net en son centre.
- Cela n'a aucun sens, dis-je en me tortillant sur la chaise. Comment...
- Pour que tout fonctionne correctement, il est impératif qu'aucun d'entre vous ne bouge et ne se quitte des yeux. Plongez-vous en l'autre une dernière fois et en vous-même pour toujours.
Elle alluma de l'encens qu'elle déposa sur la machine à laver puis s'accroupit près du mécanisme de la guillotine.
- C'est le moment.
Je levai alors les yeux et rencontrai ceux de celle que j'aimais terriblement. Ce que je lus en son iris était un écho de ce que je ressentais en cet instant. Elle pleurait et le flou qui grandissait au coin de ma vision semblait témoigner que moi aussi. En cet instant, l'amour coulait dans nos veines et dans quelques secondes notre corps serait purgé de toute cette passion, de tout notre bonheur mais aussi de notre malheur. Nous serions libres et entiers, sans ce poids si lourd pour nos frêles épaules. Et nous serions seuls, sans douleur et sans doute. Nous oublirions nos deux vies entremêlées et la naissance de nos sentiments, pour n'être que des étrangers affectifs, des connaissances, des amis. Était-ce donc cela que nous voulions ? Était-ce donc cela que je voulais ? Je la regardais en cette seconde et vint à moi tout les souvenirs de notre amour, et je ne voulus pas que cela s'arrête. Elle était si près de moi et pourtant elle s'apprêtait à s'échapper à l'autre bout de l'univers. La vieille sorcière dit quelque chose mais je ne l'entendis pas, et lorsqu'elle abaissa le levier, je sus ce que je voulais : le vent, l'été, la mer et elle.
Je tendis alors la main devant moi, criant son nom, et la lame tomba. Je ne sentis pas la douleur de mon doigt, mais comme une explosion dans mon ventre, remontant à travers ma cage thoracique et venant secouer mon cerveau. La vieille femme était en colère.
- Espèce d'idiot, d'attardé dégénéré ! Voilà du sang sur ma lame maintenant !
En effet, une fine ligne rouge s'étirait verticalement sur le métal argenté. Je regardai ma main droite. Le bout de mon index était sectionné et du sang en coulait. La vieille femme courut à l'étage et revint au bout d'une minute avec une boîte contenant des pansements et du désinfectant. Elle s'occupa rapidement de mon doigt et dit :
- Ce n'est pas si grave. J'ai fait ce que j'ai pu mais il vous faudra quand même des points de suture. Allez à l'hôpital de ce pas si vous ne voulez pas perdre tout votre doigt.
Depuis que la guillotine avait été actionnée, celle qui me faisait face, assise en silence sur la chaise d'en face, n'avait esquissait aucun geste, mais elle semblait maintenant ennuyée par la situation et impatiente de sortir de cette cave. Ce que nous fîmes sans plus attendre. Lorsque je fus en haut de l'escalier, je me retournai une dernière fois et ce que je vis sur le sol en ciment me donna la nausée : au pied de la chaise sur laquelle celle que j'avais aimé été assise, un petit bout de chair écarlate reposait.
La sorcière nous raccompagna jusqu'à la sortie sans arrêter de grommeler. Alors que nous passions la porte nous menant à la ruelle, elle nous lança :
- J'espère que vous êtes satisfait. Et j'espère ne jamais vous revoir.
Je refermai la porte en bois, puis la porte en fer, et nous nous retrouvâmes, côte à côte, devant la petite maison en briques rouges. Ce fut elle qui parla la première.
- Tu te sens comment ?
- Je ne sais pas. Normal ?
- C'est quoi "normal" ?
- C'était vraiment étrange là-dedans. Mais maintenant je me sens mieux. Mon doigt commence à faire mal.
- Tu veux que je t'accompagne à l'hôpital ?
- Ça ira. Il est déjà tard.
Tout en discutant, nous avions remonté la ruelle qui débouchait sur la grande rue qui longeait la plage. Nous allions nous séparer quand elle m'attrapa par la manche.
- Attends. Allons voir la mer d'abord. Pour être sûrs. Si même la mer n'éveille rien en nous, c'est que cela a bel et bien fonctionné.
J'acceptai, malgré la douleur dans mon index et le sang qui commençait à goutter entre les pansements. Nous traversâmes la route et descendîmes sur la plage. Le sable était encore chaud et s'insinuait dans nos chaussures. Nous nous tenions côte à côte, les yeux remontant la mer jusqu'à l'horizon où nous attendait le Soleil rouge du soir. Le paysage qui s'offrait à nous était d'une beauté sans faille. Elle se tourna alors vers moi et je fis de même.
- Rien.
- Moi non plus.
- Il faut croire que ça a marché. Il n'y a plus rien du tout.
- C'est juste... incroyable.
- Oui... Tu devrais aller faire soigner ton doigt.
- J'y vais de ce pas ! Rentre bien.
Je me penchai pour lui faire la bise et elle s'éloigna sans un mot de plus. Elle marchait avec légèreté, sans regarder derrière elle, les cheveux balayés par le vent marin. Elle me semblait si différente maintenant, comme si quelque chose s'était effacé de sur son visage. Je restais là, à la regarder partir sans doute ni crainte, alors que le sable à mes pieds se parait de rouge. Je sentais encore le bout de mon doigt qui était tombé de l'autre côté de la lame et c'était là que résidait ma souffrance. Parce qu'en réalité, j'avais menti.
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Défi
Jessini n'est pas son prénom. Ce n'est même pas un vrai prénom. Mais Jessini s'appelle aujourd'hui Jessini parce qu'on le lui a demandé. Il n'a pas pu refuser, puisqu'il ne se souvient plus de son vrai prénom. Tout ce dont il se souvient, c'est une histoire, mais pas la sienne. L'histoire a un titre, et ce titre c'est "Les 400 coups". Ça parle d'un gamin qui a un père et une mère, mais pas vraiment. Son prénom est Antoine, et alors Jessini aurait aimé s'appeler Antoine, parce que le jeune Antoine s'enfuit et trouve la mer à la fin de l'histoire. Jessini, lui, a eu des parents, mais pas vraiment non plus. Ils l'ont vendu très jeune à Mass Motors et c'est avant même ses cinq ans qu'il a traversé l'Atlantique dans un container. Il a aujourd'hui 12 ans mais il ne le sait pas. Son anniversaire est passé de trois jours, mais personne ne le lui a dit. Toutes les informations relatives aux débuts de sa vie ont été consignées dans un registre et tiennent en une ligne. Ce registre, qui se trouve dans les archives de Mass Motors, n'a pas été consulté depuis sept années.
- Jessini, debout.
Le jeune garçon se lève de son banc et s'approche du contremaître qui le regarde d'un air mauvais.
- Tu bouges ton cul sur la ligne six.
- Mais on m'a dit d'attendre pour partir à la...
Le contremaître l'interrompt d'une gifle que même les machines de l'atelier n'arrivent à couvrir de leur vacarme incessant.
- Dépèche-toi avant que je te déboîte la machoire.
Jessini attrape sa veste à outils et sort de l'atelier en pressant le pas, les mains devant le visage au cas où un deuxième coup surviendrait. Une fois dans la cour, à l'abri du regard du contremaître, il crache par terre et tend un fier majeur en direction de l'atelier, puis court jusqu'à la ligne six.
Lorsque Jessini arrive devant le hangar de la ligne six, il s'arrête un moment et tend l'oreille. Derrière l'immense porte en métal du hangar : aucun cliquetis, aucun roulement, aucune soufflerie. Les machines semblent complètement arrêtées. De toute sa vie, Jessini n'a jamais vu ou pensé voir les imposantes machines de Mass Motors immobilisées. Tout cela est étrange : il perçoit bien, au loin, les échos des autres lignes d'assemblage qui continuent leur perpétuel travail. Non sans réprimer la crainte de qui l'attend dans le hangar, Jessini ouvre, de ses mains crasseuses, la lourde porte roulante du hangar. Il entre, accompagné du tintement des outils glissés dans les nombreuses poches de sa veste.
Au milieu du hangar, sous la haute charpente en acier, les machines sont bel et bien arrêtées. Elles sont toutes rangées en ligne au-dessus du tapis roulant, silencieuses et menaçantes. Jessini est parcouru de frissons incessants. Chaque bloc noir aux pistons et valves figés lui apparait comme une bête endormie. De la graisse et de l'huile coulent lentement sur leurs surfaces sombres, brillant comme du sang sous les spots puissants pendant du plafond. Par cette vision, Jessini est à la fois émerveillé et terrifié. Autour de lui, il ne trouve aucune réponse à cette étrangeté. Il n'y a personne sur la ligne six. Puis, alors qu'il s'avance plus encore au fond du hangar, il entend des chuchotements. Prenant son courage et une clé à molette à deux mains, il marche sur la pointe des pieds jusqu'au bout de la chaîne d'assemblage. Les chuchotements se font plus clairs : ce sont des voix d'enfants.
Alors que Jessini arrive enfin au détour de la dernière machine de la ligne six, il découvre cinq jeunes garçons et un homme. Son sang se glace et ses mains se resserrent autour de la clé. Alors que les cinq garçons en tenue d'ouvrier se tournent vers lui, les yeux écarquillés et leur conversation suspendue, Jessini ne peut détacher son attention du contremaître qui gît sur le sol.
- C'est quoi ton nom ? demande le plus âgé.
- Lui c'est Jessini, dit un garçon plus jeune. C'est un oisillon.
- Jessini, tu vois le gars là, par terre ?
Jessini, regardant maintenant le plus grand des enfants dans les yeux, acquiesce.
- Eh ben il est crevé. Tu comprends ? Un coup dans les genoux, puis un sur le crâne.
Tout en parlant, il montre l'un après l'autre chacun de ses genoux puis son front. Il tend finalement un doigt vers le corps sans vie qui est étalé à ses pieds.
- On va se tirer d'ici. Soit tu viens avec nous, soit tu finis comme ce bon vieux Teddy.
Il attrape par l'épaule un de ses camarades, celui qui connaît Jessini, et lui chuchote sans discrétion:
- On le prend avec nous ou on le tabasse ?
- C'est un oisillon, il connaît l'usine mieux que nous. Il pourrait déverrouiller la porte Nord, comme ça on aurait pas à passer par la canalisation.
L'autre semble réfléchir un moment, puis frappe dans ses mains.
- Moi ça me va. Si on peut éviter de ramper dans la merde, je suis partant. Qu'est ce que t'en dis l'oisillon ?
Jessini essaie tant bien que mal de digérer la situation. Il avait déjà assisté à des accidents d'enfants ouvriers et il ne compte plus le nombre de camarades morts par chute, dévorés par les machines insouciantes, ou frappés à mort par les contremaîtres. Mais c'est la première fois qu'il se retrouve devant le corps sans vie d'un adulte. Et voilà que maintenant, on lui propose la liberté.
Il baisse enfin sa clé à molette et la range dans une poche de sa veste à outils. Il sait où se trouve la commande de la porte Nord et il sait qu'il peut y accéder très facilement.
- C'est bon. Je vais vous ouvrir au Nord. Mais attendez-moi !
- Ça c'est sûr mon gars, on va t'attendre. On laisse pas les potes derrière.
Et en disant cela, il étire sa bouche en un large sourire sincère.
La nuit est tombée, Jessini entre dans la cabine de sécurité de la zone Nord. Il n'y a personne. Il monte d'un bond sur le tabouret qui se trouve devant la console. Sur cette longue table métalique : des boutons, des leviers, toutes les commandes administrant les différents dispositifs de sécurité et de surveillance de la zone Nord. Jessini fixe longuement un bouton rouge situé au milieu de la table avec au-dessus les lettres "AZ". Puis il lève les yeux pour regarder, de l'autre côté d'une large fenêtre, la cour qui s'étend au pied de la cabine de sécurité et, au bout, la porte Nord. C'est une haute porte d'acier et de béton montée sur un rail massif. En gros caractères rouges sont là aussi inscrites les lettres "AZ" accompagnées du mot "exit". Une dizaine de projecteurs éclairent chaque recoin de la cour alors que l'immense mur et sa porte semblent endormis.
Jessini patiente. Il attend ainsi, assis sur le tabouret de la cabine de sécurité, durant plus d'une heure. Le froid de la nuit commence à envahir la pièce et à faire trembler son petit corps. Puis finalement un bruit timide mais grandissant empiète sur le silence à l'extérieur. Jessini tend l'oreille tout en cherchant une ombre dans la cour. Des pas se rapprochent. Ils se dirigent non pas vers la lourde porte Nord, mais vers celle de la cabine, tout près du garçon dont les membres tremblent de plus bel. Jessini reconnait le bruit caractéristique des bottes du chef de la sécurité. Il s'immobilise alors et attend que la porte s'ouvre inéluctablement pour laisser apparaître le maître des lieux. Le chef de la sécurité s'attarde un peu avant d'entrer dans la pièce. Il lâche un long trait de fumée. Il a toujours beaucoup fumé, mais jamais à l'intérieur et tout un tas de mégôts repose devant la cabine.
- Jessini, aboie-t-il avec un léger accent texan, descends de là.
Le jeune garçon s'exécute en se laissant glisser jusqu'au sol. Le chef de la sécurité s'approche sans le regarder et jette un oeil à la cour.
- On a mis du temps à trouver le plus petit. Le salaud s'était caché dans un caniveau. Il puait la merde, j'ai failli en gerber.
Devant le silence de Jessini, l'homme s'agace un peu.
- Bon, tu peux y aller. On t'a installé ta récompense dans le réfectoire.
Jessini, tout excité, se précipite à l'extérieur de la cabine, mais avant d'avoir pu mettre un pied sur le tapis de mégots, le chef de la sécurité l'interpelle en ricanant.
- Tu aurais pû avoir un congé ou de la bouffe, peut être même un meilleur poste, et toi tu préfères un de ces films français à la con ? Je crois que ça tourne pas rond chez toi Jessini.
Mais le garçon ne l'écoute déjà plus et s'en va en courant, et alors qu'il se précipite dans la nuit, il pourrait jurer entendre la mer.
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