La promesse
Naryl n’attendit pas le retour des ellith. Il avait pris sa décision. Toutefois, il ne voulait pas partir sans avoir eu des nouvelles de Nanal.
— Comment va-t-elle ? s’enquit-il en entrant dans le khangg où Eshm la veillait.
— Elle a ouvert un œil, répondit le Rêveur en reposant sa longue pipe en os. Et but une décoction de champignons. Mais elle a besoin de repos. Surtout… (Eshm jeta un regard rapide à Naryl). Elle est pleine.
— Comment tu vois ça ?
— Je suis un Rêveur, Naryl. Ça veut dire que j’ai le don de double vue, sourit Eshm.
Naryl afficha une moue dubitative.
— Plus sérieusement, son odeur n’est pas tout à fait la même que celle que j’ai pistée, précisa Eshm. Elle devait être en chaleur quand les Sans-Clan l’ont capturée.
— Tu crois que la portée est de Rhan ?
— Je pense, oui. C’était toujours le premier à s’octroyer les nouvelles captives. Il ne laissait les autres les toucher qu’après, et à sa convenance.
Naryl baissa la tête. Les yeux fermés, sa longue chevelure déployée autour d’elle, Nanal avait l’air apaisée.
— Elle a toujours voulu avoir une portée… mais est-ce qu’elle voudra les petits qu’un agresseur lui a imposés ?
Eshm tapota sa pipe d’un air mélancolique, avant de la reporter à sa bouche.
— On verra. Si elle veut les garder, il lui faudra trouver un mâle pour s’en occuper. Tu sais comment on fait les petits… je ne t’apprends rien.
Naryl savait qu’il fallait le concours constant d’un mâle pour mener à terme une portée : l’imprégnation initiale ne suffisait pas. Rhan était mort, et il était probable que Nanal refuse Daehel, qui venait de son clan. Quant à Eshm… Naryl avait bien compris qu’il ne s’intéressait pas aux femelles.
— Ça ne pourra pas être moi, soupira-t-il. Du moins, pas tout de suite. J’ai quelque chose à faire… une quête, une promesse que je me suis faite à moi-même.
Eshm le regarda d’un air las.
— Ta mère, c’est ça ?
Naryl hocha la tête.
— Je pars cette nuit.
— Alors, va parler à la petite Yuja. Elle aura besoin d’une explication de ta part. Quant au reste… Daehel et moi, on veillera sur elles jusqu’au retour des chasseresses. Et après aussi, si elles ne nous tuent pas…
— Yuja leur expliquera.
— J’espère bien !
*
Naryl sortit retrouver Yuja. Elle était à la cascade, devant le petit étang où elle avait tant joué avec Naryl, il y a si longtemps. Son endroit secret.
La lueur de la lune se reflétait sur son visage pâle, l’habillant d’un halo argenté. Naryl, le cœur serré, se dit qu’elle n’avait jamais été aussi belle qu’à cet instant.
Yuja releva ses yeux d’opale vers lui.
— Tu vas repartir, n’est-ce pas ? Je le sais.
Naryl hocha la tête en silence.
— De toute façon, j’ai été banni, lui rappela-t-il. Les ellith m’ont chassé du clan lorsqu’elles ont compris que j’étais entier.
Yuja posa une main délicate sur son avant-bras.
— Attends au moins leur retour ! Lorsqu’elles sauront ce que tu as fait, elles voudront que tu restes avec nous. Et moi… moi… j’aimerais que tu…
Naryl ne la laissa pas formuler à voix haute ce qu’il savait déjà. Il savait que, si elle lui disait qu’elle voulait être sa femelle, son as-ellyn, il ne pourrait résister à l’appel du désir. Il passerait la nuit avec elle – une nuit merveilleuse, la plus extraordinaire de sa jeune existence –, et, au crépuscule suivant, lorsque les rayons impitoyables du grand soleil disparaitraient, il serait incapable de quitter le khangg où dormait sa bien-aimée. Mais il devait affronter Avsgal. C’était son destin.
— Je dois partir, souffla-t-il. Ma mère est prisonnière de ce monstre. Tout comme tu l’étais, toi, de Rhan. Je ne peux pas tolérer cela. C’est mon rôle de la délivrer. Si je ne le tue pas, je ne pourrais pas te regarder en face, Yuja.
— Mais ta mère est repartie là-bas de son plein gré, objecta la jeune femelle. C’est elle qui a choisi. Moi, je n’avais pas choisi Rhan… je t’ai choisi, toi.
Yuja avait posé son front sur la poitrine de Naryl. Ce dernier la serra un peu plus contre lui, passant sa main dans sa chevelure parfumée. Il poussa un soupir douloureux. Comme c’était dur de la quitter !
— Elle est prisonnière de son emprise. Toi, tu es libre, Yuja.
— Tu ne reviendras pas… je ne te reverrai jamais, gémit-elle. Je n’ai pas besoin que tu me ramènes des trophées, que tu me prouves quoi que ce soit ! Je t’aime comme tu es, Naryl. Je t’aimais déjà lorsque tout le monde croyait que tu n’étais qu’une moitié de mâle.
— Yuja… moi aussi, je t’aime, lui avoua Naryl douloureusement.
— Je ne veux pas te perdre. Les ellith voulaient que tu soit leur ard-ael… toutes, sans une seule exception. Même Nivi, même Taryn. Mais toi, depuis le début, tu ne pensais qu’à repartir !
Yuja s’accrochait à lui, plantant ses petites griffes dans sa poitrine. Naryl la prit par les épaules et plongea ses iris noirs dans les siennes. Sous la lune, ils brillaient comme deux perles.
— Je reviendrai. Je te le promets !
Naryl se pencha sur la jeune femelle et posa ses lèvres sur les siennes. C’était la première fois que Yuja échangeait un baiser avec un mâle : ces échanges de fluides étaient rares, et considérés comme l’un des plus hauts degrés d’intimité… mais aussi, une immense démonstration d’amour. Elle laissa la langue pointue de Naryl s’immiscer entre ses lèvres, auprès desquelles il venait justement de quêter l’entrée. La sensation, étrange d’abord, lui arracha un gémissement, et, inconsciemment, elle ouvrit les cuisses pour se presser plus près encore contre le corps chaud de son compagnon. Comme elle avait envie de lui ! Mais cela aussi lui était refusé. Naryl la repoussa doucement, et elle dut se contenter d’une caresse sur la joue.
— Tu es tout pour moi, Yuja, lui déclara-t-il. Je ne t’abandonnerai pas. Je reviendrai. C’est une promesse !
Naryl passa une main amicale sur son épaule, où Pecco attendait, à demi somnolent.
— Je te laisse Pecco. Tu t’en occuperas jusqu’à mon retour.
Yuja hocha la tête tristement, avant de tendre la main pour que le faux-singe puisse y monter. Il se nicha contre la chevelure argentée de la jeune femelle, puis repris tranquillement sa sieste.
Alors, Naryl sortit de son shynawil le sigil que lui avait donné sa mère lors de son départ.
— Tiens. Prends-le. Comme gage de mon serment.
Yuja baissa les yeux sur le morceau d’os, qui luisait faiblement à la lueur de la lune.
— Mais… je ne peux pas le prendre. C’est à toi.
— Je m’en ferais un autre. Avec les os d’Asvgal. Et puis, j’ai celui de Rhan. C’était un mâle puissant. Il m’aidera à venir à bout d’Asvgal.
— Puisse le Père de la guerre t’entendre, soupira Yuja en posant timidement ses mains sur la pointe translucide.
Naryl la serra dans ses bras. Doucement, elle se laissa aller contre lui, les yeux fermés.
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