Les décisions du clan

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Naryl avait mérité sa place au sein du conseil, mais, au moment où les ellith délibérèrent, il dut quitter le sanctuaire au fond de la caverne et rejoindre les trois autres mâles. Eshm, Daehel, mais aussi Yshnir, un peu en retrait, attendaient la décision des ellith : elles seules pouvaient décider s’ils avaient le droit de rester ou non. Naryl s’assit avec eux, conservant, comme eux, un silence religieux.

Ils n’eurent pas à attendre longtemps. Morowë apparut à la porte du sanctuaire, et, avec un signe de la main, leur fit signe de les rejoindre.

Eshm et Daehel n’avaient jamais participé à aucun conseil, et en les voyant baisser panache et oreilles avec humilité, Naryl se rappela du sentiment de solennité qui l’avait pris lorsqu’il avait découvert le sanctuaire. Toutes les femelles du clan se tenaient là, silencieuses et hiératiques derrière leur masque. Elles ouvrirent légèrement leur cercle à l’arrivée des mâles, révélant le crâne fossilisé au milieu de la caverne. Taryn – ou plutôt Hellabereth, car tel était son nom désormais – se détacha de l’ombre, particulièrement intimidante derrière son masque sauvage. C’était elle, initiée comme incarnation de la Déesse, qui devait annoncer la décision des ellith.

— Que les nouveaux membres s’avancent.

Les mâles s’exécutèrent. Morowë poussa d’abord Eshm, qui fut amené devant Hellabereth par deux chasseresses dans la force de l’âge, chacune lui tenant un bras. Elles le forcèrent à s’agenouiller aux pieds d’Hellabereth. Eshm baissa la tête avec déférence, montrant dans son attitude sa volonté de se conformer au bon vouloir du conseil.

La voix grave d’Hellabereth s’éleva dans la grotte.

— Eshmatu, fils de Latha, tu es nommé Rêveur du clan. Tu nous préviendras de ce que tu vois et mêleras tes visions aux miennes.

Eshm se prosterna, reconnaissant. Comme Taryn, il allait mener l’existence particulière, mais hautement respectée, d’oracle du clan.

Daehel attendait, penaud, peu sûr de bénéficier du même traitement de faveur que Eshm. Une femelle se pencha sur lui :

— Le nom de ta mère, et celui de ton père, si tu le connais, murmura-t-elle rapidement.

Le jeune mâle secoua la tête, les oreilles basses.

— Je ne les connais pas, ni l’un ni l’autre, répondit-il rapidement.

Morowë lui tapota la tête.

— Ce n’est pas grave.

Mais déjà, Taryn s’était tournée vers lui.

— Daehel, fils de Narda, tu es nommé apprenti. Tu seras mis sous la responsabilité d’une ellith, qui t’initiera aux secrets de la guilde de chasse.

Le jeune ellon se tourna vers Morowë, à la fois surpris et soulagé.

— Tous les hënnil sont fils de Narda, lui apprit alors la chasseresse, car sa générosité est immense. Ne dis jamais que tu n’as pas de mère ! Lorsqu’elle a ouvert les cuisses à ton père, elle était comme Narda : infiniment généreuse.

Le jeune ellon se hâta d’acquiescer. Il était si soulagé que ses oreilles se dressaient comme celles d’un hënnel.

— Naryl, maintenant.

Naryl s’avança. Arrivé devant Hellabereth, il posa un genou à terre, comme l’avaient fait Eshm et Daehel avant lui.

— Il y a trois lunes, le conseil dirigé par Awhem t’a posé une question. As-tu une nouvelle réponse, ou restes-tu sur ta décision ?

— Ma réponse est oui, j’accepte, répondit Naryl en regardant Hellabereth droit dans les yeux.

Les ellith gardèrent les yeux résolument fixés devant elles. Mais tous perçurent la vague de soulagement qui traversa la grotte.

— Le conseil a parlé. Naryl, fils de Naïhryn et d’Asvgal, tu es nommé ard-æl.

— Je jure de défendre le clan au prix de ma vie, s’il le faut, et de consacrer mon existence au service de ses membres, récita Naryl en se relevant.

C’était Eshm qui l’avait instruit du serment qu’il devait faire.

Hellabereth hocha la tête. Puis, soudain, elle tomba à genoux. Toutes les autres femelles l’imitèrent, ainsi que Eshm et Daehel, qui se tenaient un peu en retrait.

— Nouvel ard-æl, le clan réunit te salue ! récitèrent les voix à l’unisson.

Naryl resta debout. Hellabereth ôta son masque, redevenant Taryn. Puis elle lui passa autour du cou un collier de plumes et de fleurs.

— Les ellith qui auront besoin de tes services te le signifieront en accrochant ce collier sur la porte de leur khangg. Cette nuit, tu peux le garder, et le mettre au cou de celle que tu choisiras comme as-ellyn. Lorsqu’elle l’aura raccroché dans le sanctuaire, alors les autres ellith pourront le prendre.

Naryl hocha la tête. Derrière lui, quelques femelles gloussaient déjà : il sentait que sa tâche serait ardue, dès le début.

Mais Taryn s’était relevée, et, d’un geste, elle fit taire tout le monde. Elle remit lentement son masque, redevenant l’image de la Déesse.

— Nous avons pris certaines décisions, concernant l’ancien clan de Rhan, ajouta-t-elle. Ishnyr, fils de Narda... avance.

Alors, Ishnyr, qui jusqu’ici s’était tenue dans l’ombre de la porte, s’avança jusqu’aux matriarches. Arrivé devant Hellabereth, il baissa la tête et s’agenouilla.

— Ishnyr a fait le vœu de donner sa vie au clan pour réparer ses fautes. Nous acceptons son sacrifice. Pour l’instant, il sera affecté à la surveillance extérieure, en lisière du territoire. Puis, lorsqu’il aura prouvé sa valeur, il pourra intégrer le clan comme chasseur.

Ishnyr baissa de nouveau la tête, signifiant son acceptation.

— Tu peux te relever. La décision prend effet cette nuit même.

Ishnyr acquiesça de nouveau, en silence. Puis il fit volte-face et quitta la grotte.

— Ishnyr, mais aussi Eshmatu, nous ont fait part du sort des hënnil mâles livrés à eux-mêmes dans l’ancien gîte de Rhan l’usurpateur. Quelques ellith se sont portées volontaires pour les adopter. Demain, Eshm et Daehel iront chercher ces survivants pour les intégrer au clan. Les mâles pubères, eux, devront pour l’instant garder leurs distances.

Naryl nota le « pour l’instant ». Il en restait peu, la plupart des survivants ayant quitté les lieux pour tenter leur chance ailleurs. En outre, il ne restait que les plus faibles, et les plus jeunes. Ishnyr avait avoué être resté par pitié, pour leur éviter de mourir de faim. S’ils rejoignaient le clan, ils vivraient.

Sa présence comme membre du clan ayant été actée, Naryl posa enfin la question fatidique.

— Où est Yuja ?

Un bruissement se fit entendre derrière lui. Nanal. Avec son masque, il ne l’avait pas reconnue.

— Elle est partie.

— Pourquoi ?

Le regard de Naryl alla de Eshm à Daehel, qui se tenait un peu en retrait, penaud. Aucun n’apportait de réponse. Ce fut finalement Nanal qui prit Naryl par le bras et l’attira à l’écart.

— Yuja pensait que tu l’avais rejetée, que tu étais devenu l’ard-ael d’un autre clan, l’amant d’autres femelles et le père de leurs petits. Alors, ne pouvant le supporter, elle est partie. Elle t’aime, Naryl. De tout son cœur de jeune elleth. Tu es son premier amour, et en tant que tel, tu prends une place immense.

Naryl baissa la tête. Sur son beau visage, Nanal pouvait voir se dessiner l’ombre du regret, mêlée à une lueur sauvage, plus féroce. Il était furieux, mais c’était surtout contre lui-même.

— J’ai été stupide, murmura-t-il, aveugle et stupide… du début jusqu’à la fin !

— Nous savions dès le début que tu étais entier, confirma Morowë. Nous l’avions senti sur toi. Mais Awhem connaissait ton père, Asvgal : c’est grâce à lui qu’elle a pu s’établir ici avec son fils, à l’époque. Il l’a protégée et nourrie, a chassé pour elle. Il n’a repris sa route que lorsque le gîte a été suffisamment sécurisé, le clan solidifié par l’arrivée par l’arrivée de nouveaux membres.

Ainsi, Awhem savait, même avant lui... et elle avait patiemment attendu qu’il soit prêt, à son tour, à prendre ses responsabilités.

— Yuja n’est probablement pas partie bien loin, ajouta Morowë. Elle va finir par revenir... en attendant, tu peux choisir une femelle pour cette nuit, si tu en as envie. Nanal, par exemple.

Naryl releva la tête. Il se tourna vers Nanal, qui le regardait en coin, l’air de rien, et s’excusa d’avance du nouvel affront qu’il allait lui faire.

— Je suis touché par l’honneur que vous me faites et je suis reconnaissant envers Nanal qui m’a toujours pris sous sa protection. Mais Yuja est mon as-ellyn. Et elle est sûrement en danger, dehors, quelque part. Je dois la retrouver et la ramener.

— Nous n’en attendions pas moins de toi, répondit Morowë. Eshmatu et Daehel protégeront le clan en ton absence.

Avant de quitter la grotte, une jeune femelle traversa la salle et jeta un collier de plumes tressées autour du cou de Daehel, avant de quitter les lieux tout aussi rapidement. Alors que le jeune ellon restait figé sur place, Eshm passa à côté en le bousculant.

— Félicitations, grinça-t-il avec un rictus féroce. Mais qu’est-ce que tu attends ? Une femelle t’a demandé : va vite la satisfaire. C’est ça, la vie dans un clan !

*

Naryl ne perdit pas un instant. Il empaqueta quelques provisions mises de côté pour lui par Nanal, chargea son nayan sur son dos et siffla Pecco, qui sauta aussitôt sur son épaule. Cette fois, il ne pouvait pas le laisser à Eshm.

Les membres du clan l’accompagnèrent jusqu’à la sortie de la caverne. Au moment où il s’apprêtait à partir, Morowë lui passa un collier de fleurs de sang autour du cou.

— Rentre vite, Naryl... fit-elle en affichant un sourire dentu. Du travail t’attend ici.

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