Chapitre 4

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Quand Ninon pensait à Audrey, elle avait désormais une image fixe en tête : celle de son amie alitée dans sa chambre d’hôpital. Peu importait que la Corée du nord envoyât des missiles sur la Corée du sud, que le gouvernement changeât, qu’un cyclone balayât la Réunion ou qu’il neigeât à Paris, sa réalité était en pause tandis que Ninon poursuivait sa vie de famille tranquillement.

Quand Ninon pensait à son Audrey, les souvenirs étaient en mouvements constants. Une anecdote lui revenait selon ce qu’elle faisait, un mot la rattrapait et la ramenait dans un autre souvenir. Son esprit sautait d’époque en époque - Audrey en adolescente-survivante, les cheveux plaqués, Audrey aux cheveux lissés chaque matin, Audrey, la tigresse à la tignasse de rêve, qui assumait enfin ses boucles blondes naturelles après avoir lutté des années pour les effacer.

Leur histoire n’était pas linéaire, elle faisait des sauts dans le passé mais se figeait au présent – variable constante – d’une Audrey allongée sur un lit tout de blanc vêtu. Tous ses souvenirs convergeaient vers la même direction.

Depuis l’annonce qu’il y avait eu des complications durant l’opération, Ninon était assaillie par ses souvenirs avec son amie. Elle avait besoin de vivre et revivre les moments passés. Besoin de s’en souvenir pour elles deux. Ils avaient gagné un éclat nouveau. Ils lui paraissaient plus réels, plus tangibles, plus palpables que d’être face à son amie alitée.

Cette réalité-là, n’était pas acceptable pour Ninon. Tout sauf ça.

Quand elle tombait sur des photos d’elles sur son téléphone, les larmes lui montaient. Le pire c’était les vidéos - image vivante qui la frappait en plein cœur. La comparaison était inévitable et cruelle.

Il y en avait une en particulier que Ninon avait filmée lors de son enterrement de vie de jeune fille deux ans plus tôt. La Covid étant passée par là avec ses histoires de vaccins, les possibilités d’un week-end extravagant s’était réduits à la privatisation d’une maison d’hôte à Gaillac. Audrey avait souhaité la présence de quatre amies. Ninon, bien sûr, Alexandra qui était une ancienne collègue de travail devenue une amie proche, acolytes lors de ses nombreux voyages, une autre Audrey, alias Chouquette pour la distinguer, garde rapprochée / rivale directe de Ninon / amie du lycée, et enfin Marine, ancienne collègue également ne représentant aucun intérêt aux yeux de Ninon.

Quelques semaines avant le week-end entre filles, un groupe sur WhatsApp avait été créé par Chouquette. Toutes les filles pouvaient faire des propositions. Ninon s’était promise de ne pas prendre le dessus dans la conversation, de rester discrète et d’acquiescer à toutes suggestions. Elle ignorait qui étaient les témoins d’Audrey. Elle savait juste que ce n’était pas elle. Qui de Marine, Chouquette ou Alexandra avait eu ce rôle qu’elle espérait ? Peut-être une de ses sœurs qui ne faisaient pas partie de L’Evjf.

Audrey n’avait pas eu l’honnêteté de lui avouer en face qui elle avait choisi, comme à son habitude, elle était parvenue à botter en touche quand Ninon l’avait sondée. A cette époque-là, Ninon était perdue dans sa relation avec Audrey. Elle se demandait ce qu’elle représentait pour elle, quelle importance avait-elle dans sa vie.

La perspective de son mariage avait remis les choses à leurs places. Nommer des témoins, c’était annoncer clairement ses préférences. Aussitôt, une hiérarchie amicale s’était dessinée. Ainsi Ninon aimait plus Audrey, qu’elle ne l’aimait. Ninon était plus attachée à elle qu’elle ne l’était d’elle. Elle s’en doutait, bien sûr, elle avait essayé de se protéger des années durant de cette possible réalité. Ca restait douloureux malgré tout, malgré des années à ériger des murs pour protéger son cœur.

Ninon parvint à tenir bon les premiers temps sur le groupe WhatsApp. Elle donnait de temps à autres des signes de vie mais dû renoncer à sa promesse quand elle vit que ça partait dans toutes les directions. Ninon avait finalement trouvé l’hébergement, une maison d’hôte rénovée, mélangeant l’ancien au contemporain, qui séduirait à coup sûr Audrey. Et comme activité, une fleuriste devait venir sur place pour les aider à réaliser des couronnes de fleurs séchées. Toutes les filles s’étaient mises d’accord sur le programme dénichées par Ninon. Elles avaient toutes la trentaine passée et devaient composer avec les restrictions de l’état concernant la Covid. Certaines d’entre elles n’avaient pas le vaccin à jour et ne désiraient pas le renouveler. Le week-end serait calme et ressourçant.

C’était l’occasion pour Ninon de mettre enfin un visage sur des prénoms. Audrey, qui la savait un peu anxieuse à l’idée de rencontrer ses autres amies, lui avait glissé quelques informations pour les utiliser en accroche. Ainsi Ninon avait appris qu’elle avait une passion commune avec Alexandra, à savoir les dramas coréens. Les deux filles étaient passionnées de tout ce qui touchait la Corée du Sud. Audrey précisa qu’Alexandra sortait d’une relation amoureuse difficile. Pour Chouquette, elle lui rappela qu’elle avait deux enfants comme Ninon. Les deux jeunes femmes porteraient l’étiquette de maman. Concernant Marine, Ninon retint juste qu’elle exerçait en tant que dog sitter.

Gonflée à bloc par les encouragements de Lucas, Ninon était partie sur la route rejoindre les filles à Gaillac. Une raclette était prévue le soir-même et un restaurant le samedi soir. Elle devait revenir dimanche en début d’après-midi.

C’était une épreuve pour elle. De nature anxieuse, être entourée d’inconnus était source d’inconfort pour elle. C’était un effort de se lier aux autres, de se mêler aux conversations, de maintenir sa concentration. Les relations humaines lui pompaient l’énergie. C’est pour cela qu’elle privilégiait les relations plus intimes et se débarrassait du superflue sans regret. Ninon n’avait pas de copines ou n’entretenait pas de relation avec de simples connaissances. Elle n’avait que des titres d’amie à distribuer et elles n’étaient que quatre à en bénéficier. Audrey en faisait partie.

Malgré tout, Ninon était arrivée à la maison d’hôtes avec les meilleures intentions. Sa priorité était de faire passer un superbe week-end à Audrey. C’était son moment, pas le sien. Elle n’était qu’au service de son amie, peu importait la fragilité dans laquelle cela la mettrait.

Audrey lui réserva un accueil chaleureux comme elle savait si bien faire. Elle lui tomba dans les bras, et tout en sautillant contre elle, poussa des petits cris de joies contre son oreille. Un sourire éclatant ne quittait plus son visage. Elle était lumineuse. Pour l’occasion, Audrey s’était habillée avec de la couleur vive – fait rare, plutôt adepte des tons neutres. Le jaune lui allait parfaitement au teint et Ninon adora ses chaussures noires vernies.

Ninon salua Marine, Alexandra dont la voix perchée la surprit et enfin, Chouquette, la fameuse double Audrey.

Visiblement, Marine et Alexandra se connaissaient bien. Chouquette était plus en retrait.

Les filles enchainèrent avec la visite des lieux. Un immense escalier d’époque desservait trois étages. Tout le bâtiment leur était réservé. A chaque chambre découverte, l’excitation augmentait. Ninon se sentait soulagée. Elles étaient toutes plus belles les unes que les autres. A la fois chic, dans le souci du détail et de bon goût. La dernière avait une baignoire dans la pièce. Tout le monde s’accorda à dire que c’était la plus belle et qu’elle revenait de droit à Audrey. Elles quittèrent la chambre pour récupérer leurs bagages. Audrey en profita pour attraper le bras de Ninon, vérifia qu’elles étaient seules d’un coup d’œil aux alentours. Des bribes de conversations leur parvenaient au loin.

— Merci, ma poulette, glissa tendrement Audrey

— Pourquoi ? fit semblant de ne pas comprendre Ninon.

— Pour tout ça, dit-elle en désignant d’un geste la chambre. Je sais que c’est toi, ça ne peut être que toi. C’est tout ce que j’aime.

Ninon parvint juste à l’embrasser sur la joue et à esquisser un sourire gênée.

— On rejoint les filles pour ton super week-end de future mariée ?

— Ouiiii !

Les filles descendirent les escaliers, et arrivèrent dans la salle à manger, bras dessus dessous.

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