Chapitre 1 - Hurlements - Partie 4

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 À son réveil, la peur s’était tarie. Il se laissa de nouveau tenter par la purée de canneberges, son péché mignon. Ce fut pour lui un moment salvateur qui le ramenait, à des années-lumière de sa caverne, sur les hauts plateaux daucusiens. Il ferma les yeux et les odeurs de la végétation de Daucus lui revinrent, puissantes. Quelle folie. Quelle folie j’ai fait de quitter ce paradis. Il sentait les larmes couler sur ses joues. Il ressentit de nouveau une crise de nerfs poindre. Il reprit ses esprits en mobilisant ses longues séances d’entraînement psychologique. Appliqué par le jeune homme avec la plus grande concentration possible, le souffle lent lui permettait de retrouver progressivement le contrôle sur son esprit et ses membres.

 Il pianota rapidement sur son PIM, après avoir reposé, devant lui, le bol métallique, ayant contenu son doux nectar. Je dois en savoir plus sur cet animal. Il est peut-être inoffensif, pensa-t-il. Il parcourut les différentes entrées concernant les récentes découvertes des colons sur Saruan-c. Il balaya les différents domaines scientifiques pour ne garder que celles concernant la zoologie et surtout l’éthologie.

 Les biologistes de la colonie avaient déjà effectué un grand nombre de relevés. En presque une année standard, les scientifiques avaient parcouru de nombreuses zones de la planète. Cependant, cela ne représentait qu’une infime portion de ce qu’il restait à découvrir. Il fallait affiner les résultats, comparer, classifier et archiver. De nombreux spécimens étaient envoyés sur le camp embryonnaire pour une primo-analyse. Les biologistes sur place ne chômaient pas. Passé les premiers moments pleins de bonne volonté et d’énergie débordante, les timides et légères plaintes se transformèrent bientôt en ras-le-bol général, malgré un protocole clair en ce qui concernait le transport de fret vers le vaisseau mère. Devant la tournure que prenait la contestation, Octavie Lifra, la responsable de l’ensemencement, décida d’assouplir les directives. Ce qui ne fut pas du goût des deux centurions et en particulier de Hugo Leblanc, qui menait la seconde vague de colons sur la surface de la planète. Désormais, le Markind Epsilon Eridani arrivait en support avec ses laboratoires avancés et les membres d’équipage spécialisés dans ce domaine. À bord, ces derniers furent ravis de toucher enfin du bout des doigts la vie saruannaise. En parallèle, les archivistes compilaient, avec avidité, toutes ces nombreuses informations dans l’Encyclopedia Humanis Epsilon Eridani.

 Cette banque de données trônait au cœur de chaque markind. Elle était la mémoire partagée des ancêtres et contenait le savoir humain de cette lignée de markinds. Chaque colon ou membre d’équipage s’y référait et l’alimentait en permanence. Le rôle des archivistes était de la maintenir exempte d’incohérences et constamment répliquée. La phase « Deux » de l’ensemencement de la planète comportait la constitution d’une copie de l’Humania, comme les humains la nommaient plus couramment, sur le camp embryonnaire Alpha. Une tâche titanesque en soi.

 En indiquant les différents éléments perçus de l’animal, Eran commençait à voir apparaître quelques spécimens. Une nouvelle fois, un frisson lui parcourut l’échine lorsque l’animal à la gueule terrifiante fit son apparition sur l’affichage de son pupitre d’information mobile. Les renseignements étaient parcellaires, mais il pouvait en déduire quelques grandes lignes. Sa spécialité était la flore et non la faune. Cependant, sa formation incluait une bonne base de zoologie pour comprendre les interactions et les symbioses entre les différentes espèces vivantes. Ce qu’il lut le rassura un peu. Bien que d’apparence terrible, cet animal semblait apprécier les crabes terrestres qui pullulaient dans la région. Aucune attaque ou agression n’avait été remontée. Il termina sa lecture. En bas était noté le nom du colon ayant consigné ces informations : Lio Chen. Il sentit son cœur se serrer. Merci Lio. Tu me manques tellement, pensa-t-il, profondément ému.

 Eran avait passé les quatre dernières années standards à bord du Markind Epsilon Eridani en compagnie de trois centuries d’humains. Il faisait partie de la seconde vague de colons qui débarquerait sur Saruan-c. Bien que solitaire, il s’était lié d’amitié avec plusieurs passagers, dont Lio Chen. Rapidement ce lien entre eux se renforça. Cette jeune femme, spécialiste en zoologie et biologiste, avait un caractère affirmé et bousculait volontiers le calme Eran. Ils partageaient de nombreux moments ensemble en utilisant les distractions qui ne manquaient pas sur le Markind Epsilon Eridani.

 Lors de leur arrivée en orbite autour de Saruan-c, Lio avait été totalement subjuguée par les premières données qui remontaient des sondes d’observations. La vie y était florissante et d’une vigueur insolente. On y retrouvait une composition évoluée du Silurien, une période géologique reculée de la Terre. La planète d’un bleu et d’un vert éclatants semblait ne pas avoir connu d’extinction de masse. Ainsi, des hypothèses du développement des espèces se confirmaient. La nature avait répété le modèle qu’elle avait initié dans le système solaire, mais cette fois sans interruption. Devant ces promesses de découvertes à venir, Lio ne tenait plus en place. Lors de son embarquement dans la première graine, Eran avait sensiblement accusé le coup. Ils ne se reverraient que dans plusieurs mois. Pourtant, elle affichait un large sourire devant la profusion de vie saruannaise à étudier.

 Le botaniste s’autorisa une nouvelle phase de repos. À l’extérieur de son refuge, la vie suivait son cours. Des animaux de toutes sortes sortaient de leur cachette. Certains ressemblaient à s’y méprendre à des arthropodes terriens. Des insectes volants de toutes tailles reprenaient possession des cieux, profitant des plantes aux alentours. Ces dernières se paraient de tous leurs atouts pour se montrer le plus désirable possible. Cette situation au sein du canyon était inédite depuis l’installation d’Eran dans sa caverne. Et pour cause : le vent s’était tu.

 Eran ne réagit pas tout de suite. Allongé, il regardait les irrégularités du plafond, il pouvait parfois y rester plongé plusieurs minutes, croyant y percevoir des visages, des animaux créés par son imagination. Il baissa les yeux et regarda la bâche enfin immobile. Puis la pierre ayant roulé plus loin.

 « Une accalmie, c’est une accalmie ! » cria-t-il d’un ton plein de surprise.

 Il se leva d’un bond et prépara à la hâte le matériel dont il aurait besoin lors de sa sortie. Il bourra de quelques galettes énergétiques supplémentaires le sac qu’il fixa à son dos. Il avait, au préalable, préparé ce havresac standard qu’il avait déjà utilisé pour rapatrier du matériel lors de ses premiers jours dans le canyon. Le jeune botaniste avait ensuite effectué une sortie pour collecter quelques plantes et matériaux, en extraire les principes actifs afin d’alimenter son synthétiseur. Cette fois-ci, la chance lui souriait, la matinée était à peine entamée. Il éteignit les différents appareils et positionna les conteneurs énergétiques en position de sécurité. Il y récupéra les deux cellules vides qu’il devrait recharger au transporteur. Cependant, trouver le véhicule, c’était là son problème le plus important. Il était introuvable et indétectable aux alentours. Cette fois-ci sera la bonne. Il faut que j’arrive à contacter quelqu’un, s’encouragea Eran. En effet, ses moyens de communication étaient limités par les perturbations combinées du vent chargé de poussières et la configuration du canyon. Il sortit prudemment de son logement temporaire en prêtant attention à refermer correctement l’accès. La descente rapide ne demandait pas une grande dextérité, mais juste une attention particulière. Il sauta d’un geste souple et se retrouva sur le sol du canyon. Étroit, il permettait le passage de deux hommes côte à côte. Il balaya du regard les environs en s’équipant de son arme. Allez courage, les prédateurs sortent majoritairement la nuit, tout en se rassurant.

 Il progressait prudemment. Il sentait l’appréhension monter au fur et à mesure de son avancée. Il ne voulait pas y passer de nouveau. Mais c’était un passage obligé pour tenter de retrouver le transporteur. Je ne regarderai pas. Je ne regarderai pas, se répéta-t-il. La fin du canyon approchait, il déboucherait bientôt sur la clairière, là où reposait sa décurie.

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