Chapitre 2 - Refuge - Partie 1
Restez toujours vigilants, mes enfants. L’inattendu surgit toujours à l’improviste.
Eran, Maître de Saruan-c
Eran essaya bien, au début, de ne pas regarder. Au fond de lui, il s’en voulait. Il n’avait rien pu faire pour eux. Dès que l’occasion se présenta, il fuit devant la scène macabre. Ses compagnons gisaient là, au sol. Depuis son dernier passage, les corps semblaient avoir bougé. Passé les premiers instants alliant effroi et dégoût, il se décida. Cette fois-ci, je peux au moins tenter de protéger leurs corps. Le temps que je revienne avec du renfort. Je leur dois bien ça. Sentant une légère motivation, il alla chercher quelques outils à proximité. Il n’aurait absolument pas le temps d’enterrer les corps comme certaines anciennes coutumes terriennes l’exigeaient. Sans compter que sa condition physique laissait à désirer. Il opta pour une autre solution. Il allait rassembler ses défunts équipiers et les recouvrir à l’aide de toiles solides. Ces matériaux étaient robustes et légers. Avant cette catastrophe, ensemble, ils les avaient amenées pour établir un campement temporaire à l’entrée du canyon.
Le temps restait clément, le vent soufflait par petites bourrasques qui engendraient, par intermittence, des sons graves provenant du canyon. L’étoile Saruan, au zénith, inondait la clairière de sa forte lumière très légèrement orangée. L’odeur frappa tout de suite le jeune Eran. Elle ne laissait aucun doute sur son origine. Aussitôt, il s’équipa du masque de protection accroché à sa combinaison. Chaque colon en disposait pour se protéger du vent chargé de poussières.
Il s’approcha du premier cadavre. Ses mains tremblaient. Mais, devant de telles situations, le corps humain trouve parfois des ressources insoupçonnées. Il tira la jambe du premier colon. Il focalisa son regard sur les flèches noires de la combinaison qui ne laissait aucune place au doute. Il était mort. Tous étaient morts. D’une seule main, la tâche était ardue. Après avoir déposé son arme pour être plus à l’aise, il s’y reprit cette fois-ci à deux mains. Le poids était plus élevé qu’il ne le pensait. Il se pouvait aussi que cette sensation soit liée à la fatigue physique de sa retraite. Malgré cela, il continua son office, poursuivant ses efforts, et déposa le premier à proximité de Nell, l’ingénieur de sa défunte décurie. Puis, il se dirigea vers deux autres victimes. Elles donnaient l’impression d’avoir cherché à se rejoindre avant de périr. Leurs bras se touchaient. Eran les connaissait bien. Compagnons jusque dans la mort, vous deux, remarqua-t-il tristement. Il exécuta le même rituel. Puis vint le tour de son décurion. La tâche n’en était que plus ardue pour le jeune homme : il en était proche.
Une décurie s’apparentait à une petite famille sur les markinds. Il n’y avait pourtant pas de contrainte formelle, on pouvait choisir de changer de décurie librement. Cependant, à part deux membres, tous étaient ensemble depuis le départ de Daucus. Martin Feelnorn, ce décurion avait de l’allure et avait toujours pris sous son aile le jeune Eran. Il resta un moment figé devant le corps de celui qu’il estimait tant. Mais avant de retomber sous une écrasante crise de pleurs, qui viendrait à coup sûr tôt ou tard, il emmena son corps aux côtés de ses compagnons. Tout en reculant, il remarqua que son décurion tenait quelque chose. Il stoppa son effort et se baissa. Le module distant du transporteur ! Oh ! Merci Martin, remercia Eran tout en enlevant difficilement l’appareil des doigts rigidifiés par la mort. Rapidement, il accrocha l’objet à sa combinaison au niveau de sa ceinture. Il termina le transport du corps. Cette épreuve puisait intensément dans ses ressources physiques et psychiques. Il fit une courte pause pour boire un peu d’eau et avaler une galette énergisante. Il repartit en direction des corps restants. Bientôt, la décurie fut rassemblée.
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