Chapitre 2 - Refuge - Partie 4
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Quelques jours auparavant, sur le camp embryonnaire Alpha, l’agitation régnait. La colonie, en phase « Deux », était déjà bien établie. Chacun des quartiers avait troqué ses frêles tentes contre de solides habitats. Au centre, trônait le forum où les décuries pouvaient se retrouver. Les robots de maintenance allaient et venaient, tels d’infatigables ouvriers. Ils maintenaient en état chaque élément du camp. L’intervention d’un humain était devenue rare et spécifique à certaines missions demandant une réflexion approfondie sur la tâche à effectuer. Jour et nuit, les colons s’activaient à déployer de nouvelles installations, à recycler les matériaux, à planifier de nouvelles excursions sur des lieux à l’intérêt notable. La décurie de Martin Feelnorn ne faisait pas exception à la règle. Le décurion forçait le respect. Pourtant, son apparence mince et peu musculeuse ne soulignait pas le trait physique attendu du chef. Tout, chez lui, résidait sur son regard. Il était perçant et incisif. Martin Feelnorn n’avait pas besoin de long discours pour affirmer son autorité. Ses yeux semblaient scruter l’âme de ses interlocuteurs pour y déceler leur volonté.
Les ordres de mission avaient été concertés entre la responsable de l’ensemencement, Octavie Lifra, qui se montrait chaleureuse et bienveillante de prime abord, mais d’une détermination sans bornes et calculatrice, selon certains membres d’équipage et proches collaborateurs, et les deux centurions, Dévitry Pishard et Hugo Leblanc. Martin Feelnorn écoutait les explications des trois responsables. Des sondes automatiques avaient révélé la présence d’un canyon, à quelques jours de transporteur du camp. Afin d’assurer un développement continu de la colonie, il était nécessaire d’analyser, in situ, la possibilité de profiter de la puissance éolienne générée par le vent accéléré dans les zones rétrécies. Les premiers relevés étaient prometteurs et assureraient une grande partie des besoins énergétiques du camp embryonnaire. Des modèles réduits des futurs appareils avaient été réalisés sur le Markind et seraient envoyés par la prochaine navette en partance du vaisseau mère.
« Martin, prenez soin de ces prototypes d’éoliennes. L’issue de votre mission pourrait faire gagner quelques mois à la colonie en matière d’autonomie énergétique et de développement des infrastructures, conclut la responsable de l’ensemencement.
— J’ai bien noté le caractère critique de cette expédition, j’en informerai évidemment l’ensemble de la décurie, confirma Martin.
— Nous ne doutons pas de la réussite de votre mission. Votre décurie semble la plus qualifiée. Nous tenons à vous avertir que la faune peut se montrer agressive, comme nous l’avons malheureusement appris à nos dépens dans les premiers instants où notre lignée a posé le pied sur Saruan-c. La prudence est donc de mise, ajouta Dévitry, le premier colon à avoir foulé le sol de ce nouveau monde, qui se tenait au côté de Martin.
— Effectivement, Dévitry, en accord avec Hugo, nous vous autorisons à vous approvisionner en armes. Un cube d’armement vous a été attribué et descellé, expliqua Octavie.
— Un robot tactique MART-MKD n’aurait pas été plus indiqué ? fit remarquer le décurion.
— Vous n’avez pas tort, Martin, malheureusement, sur les trois exemplaires que compte notre colonie : le premier est en cours de maintenance à bord du Markind, un second est dévolu à la protection du camp embryonnaire Alpha, et enfin le dernier est déjà attribué en support à deux décuries expédiées en zones dangereuses. Ne soyez pas trop inquiet, les scolopendres vivent exclusivement à proximité des zones humides. Le site de cette mission est bien trop aride pour cette espèce », expliqua Hugo Leblanc sur un ton scolaire.
Cette dernière explication du centurion qui avait conduit la seconde vague d’humains à la surface de Saruan-c ne convainquit pas réellement Martin Feelnorn.
« Soit, je vais préparer ma décurie pour ce départ. Dès réception des éoliennes, nous nous mettrons en route, termina le décurion sans laisser percer ses doutes.
— Merci messieurs. Nous vous souhaitons toute la réussite possible dans cette mission, Martin. Vous pouvez disposer », conclut Octavie Lifra.
Elle coupa la communication avec le camp embryonnaire. À bord du Markind, dans le centre décisionnel, la nuée s’activait autour d’elle. Elle regarda un instant ces femmes et hommes qui œuvraient à chaque instant à la réussite de l’ensemencement de ce monde foisonnant de vie. Je suis fière de vous et vous le sentez. Ma présence sur Saruan-c s’approche. J’ai hâte, pensa-t-elle. Elle croisa rapidement le regard d’un membre d’équipage. Cette personne lui offrit, en retour de cet échange visuel, un large sourire. Elle lui en retourna un tout en se dirigeant vers une salle de repos où elle affectionnait de se restaurer et de décompresser.
Martin Feelnorn venait de quitter le forum, après avoir salué rapidement les deux centurions. Il s’arrêta un instant pour consulter son PIM et envoyer ses premières instructions à sa décurie. Il reprit sa marche en direction de ses quartiers, plongé dans ses ordres. Soudain, un bruit strident se fit entendre. Il s’arrêta net. Un robot médical équipé de sa nacelle passa à toute vitesse devant lui. Il le suivit des yeux. Au loin, il pouvait deviner un léger mouvement de foule. Encore une attaque. Je doute un peu de l’optimisme de Leblanc. Il nous faudra redoubler de vigilance, pensa-t-il. Près de la limite du camp embryonnaire Alpha, il pouvait apercevoir le robot tactique pivoter sur lui-même et faire usage de ses armes énergétiques sur ce qui devait être, une fois de plus, des scolopendres. Il repartit en direction de ses quartiers, laissant la triste scène derrière lui.
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