Chapitre 2 - Refuge - Partie 5
Dans le bâtiment dévolu à sa décurie, le jeune Eran, allongé sur sa couchette, épousant parfaitement sa morphologie, discutait par liaison distante avec son amie Lio Chen. Après avoir rejoint la surface de Saruan-c, Eran aurait souhaité passer autant de temps avec elle que sur le Markind. La frénésie accompagnant chaque début d’ensemencement avait contrarié son souhait. Sans pause, la jeune femme lui récapitulait l’ensemble de ses découvertes de la journée. Elle était aux anges. La faune aquatique était encore plus prodigieuse qu’elle ne l’avait espéré. À l’aide d’une navette, en compagnie d’une partie de sa décurie, elle avait réalisé des observations sur place étonnantes et des prélèvements dans les profondeurs de l’énorme lac présent à quelques dizaines de kilomètres du camp embryonnaire Alpha.
« Des trilobites énormes, Eran ! Tu te rends compte ! Les mêmes que sur l’ancienne Terre au silurien » lui avait-elle expliqué, la voix emplie d’excitation.
Mais Eran se souciait peu de la faune lacustre. Il aimait juste entendre la voix de son amie. Ses petites intonations, il prédisait même les moments où la voix de Lio passerait dans les aigus. À son grand dam, leur échange fut interrompu par un signal sur son PIM. Un message entrant important et de nombreux documents annexes venaient d’apparaître.
« Formidable, Lio. Je vais devoir te laisser. Apparemment, la courte période de repos est terminée pour ma décurie. Je viens de recevoir un ordre de mission de la part de Martin. À bientôt, dit Eran.
— Soit prudent Eran. Il faudra aussi que je te montre les espèces amphibies. Elles sont fascinantes », termina la zoologiste avant de couper la communication.
Eran observait les différentes consignes sur son pupitre d’information mobile. La zone où sa décurie allait évoluer le changerait un peu de l’atmosphère lourde et humide du camp embryonnaire Alpha. Le canyon se trouvait à une bonne distance et n’avait été visité que partiellement par une sonde de reconnaissance volante. Pour sa spécialité, la botanique, il pourrait y découvrir des espèces nouvelles de plantes en zone semi-aride. Tout en s’étirant, il se leva et commença à préparer son matériel conformément aux procédures reçues.
« Eran. As-tu vu Josh ? demanda un colon.
Le jeune botaniste sursauta. Il se retourna pour faire face à son interlocuteur. Un grand gaillard, large d’épaules et dépassant au moins les deux mètres. Marc Misdal était le géologue de sa décurie. Avec Josh Melord, biologiste, les deux formaient un inséparable couple. Leur bonne humeur assurait une forme de cohésion au groupe de dix colons menés par Martin Feelnorn.
— Quelle manie tu as de toujours débarquer à l’improviste Marc ! répondit Eran d’un ton sec.
— Tu es facilement impressionnable, mon vieux. Mais ça ne répond pas à ma question. L’as-tu vu ? demanda de nouveau le géologue.
— Non, désolé. Peut-être au centre virtuel. Es-tu allé voir ? supposa Eran.
— C’est le premier endroit que j’ai vérifié bien sûr. Il y passe un temps fou. Il ne répond pas sur son PIM. Cela ne lui ressemble pas, ajouta Marc.
Mais à peine sa phrase terminée, son PIM afficha un message entrant.
— Ah enfin ! Josh. Mais que faisais-tu ? Le départ approche », dit Marc tout haut en faisant un bref signe de la main pour saluer le jeune botaniste.
Ces deux-là. Vraiment, pensa Eran en se replongeant dans ses préparatifs.
La décurie finissait de charger son matériel dans le transporteur. Le véhicule était rutilant. Les rayons matinaux de l’étoile Saruan lui donnaient une teinte orangée du plus bel effet. Les transporteurs étaient utilisés depuis la première colonisation d’une planète par l’Homme. Sur Mars, sous la pression des besoins d’adaptation aux conditions de vie difficiles, ces derniers avaient évolué rapidement. Au départ, ces simples engins imaginés pour parcourir facilement une certaine distance se montraient peu agiles et très gourmands en énergie, leur rayon d’action ne dépassant pas quelques kilomètres. Ceux des markinds n’avaient gardé de leurs ancêtres que le nom. En effet, les transporteurs avaient désormais une autonomie poussée à l’extrême, acquise par les connaissances technologiques de la lignée. Ils abritaient les colons dans leurs expéditions, offrant confort et espaces de travail pour réaliser toutes sortes d’analyses. Certaines lignées de markinds disposaient de technologies encore plus abouties, permettant une agilité dans tout type de configuration de terrain, et bien d’autres prouesses. La lignée du Markind Epsilon Eridani avait adjoint un recycleur de matériaux à ce véhicule. D’un côté, il permettait aux colons de s’isoler et d’être autonomes plus longuement. Cependant, ce type de dispositif alourdissait grandement l’engin, empiétant sur son rayon d’action et limitant son agilité.
La soute du transporteur était déjà bien remplie et indiquait un départ imminent. Martin Feelnorn, le décurion, participait au chargement, il n’avait pas réellement de directives à donner. Chacun savait ce qu’il avait à faire. Il s’assura juste, avec l’aide de l’ingénieur de la décurie, de l’état du chargement des éoliennes, leur précieuse cargaison. Elles avaient été placées sur le toit du transporteur dans des caissons étanches. Il descendit du véhicule et se plaça à quelques mètres. Tout en faisant le tour du lieu d’agitation de sa décurie, il pianotait sur son pupitre d’information mobile pour valider chaque étape précédant leur départ. Son assistant numérique lui indiqua qu’il ne lui restait plus que les armes à charger. La procédure voulait que l’ensemble des membres de l’équipe se présente à lui pour valider ce type d’équipement particulier. En effet, toute arme utilisée dans de sombres desseins pouvait mettre en péril toute une lignée. Les protocoles étaient stricts et soumis à de nombreuses validations hiérarchiques. À peine eut-il fini de donner cet ordre que le premier équipier arriva comme prévu. Le biologiste présenta son équipement militaire. Martin y passa un contacteur relié à son PIM. Il vérifia quelques paramètres et déverrouilla la sécurité. Le même rituel se répéta pour les autres membres de sa décurie. Enfin, il termina par sa propre arme. Le décurion s’éclaircit la voix qui tonna d’un ton martial.
« Vous connaissez les consignes liées à leur utilisation, débuta Martin. Ne jamais pointer une arme en direction d’une autre personne ; toujours se positionner pour éviter les tirs croisés ; garder l’arme vers le bas ; toujours annoncer l’arrivée d’un premier tir, énuméra-t-il. Notre zone d’expédition a été peu répertoriée. Nous pouvons rencontrer de l’hostilité parmi la faune locale. Cependant, assurez-vous de tirer uniquement si une attaque est imminente.
— Nous risquons de rencontrer des scolopendres ? demanda Josh avec une certaine appréhension.
— Le centurion Hugo Leblanc m’a assuré que nous évoluerons dans une zone loin de leur habitat courant. La réponse est “très peu probable”, répondit brièvement le décurion.
— Martin, je ne te sens pas convaincu, lança Eran sur un ton amical.
— Cependant, en cas de danger imminent et difficilement surmontable, notre point de regroupement sera le transporteur, reprit Martin en regardant le jeune homme.
Il marqua une légère pause puis reprit avec une voix moins dure.
— Je connais chacun de vous, vos compétences, comme certaines de vos lacunes. Ceci est notre première mission ayant une issue potentiellement critique pour le camp Alpha, j’aimerais que vous mettiez de côté les moments de relâchement dont vous avez pu profiter sur le camp. Tout en prononçant cette phrase, il regarda Josh. Si nous restons vigilants et soucieux de la sécurité des autres, nous ne devrons pas rencontrer d’écueil. Maintenant, en route, la colonie compte sur nous », conclut le décurion.
Une fois l’ensemble de la décurie embarquée et installée confortablement, le transporteur commença son trajet à vitesse réduite en direction du canyon. La végétation était dense, un semblant de piste avait été dégagé auparavant. Bientôt, les dix colons s’enfonceraient plus avant dans les terres sauvages et vierges de Saruan-c.
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