Chapitre 3 - Contact - Partie 1
Soignez le corps, soignez l’esprit.
Jamais l’un sans l’autre ou sinon,
Erun viendra, mes enfants.
Eran, Maître de Saruan-c
La cabine du transporteur couché sur le flanc, dans sa configuration actuelle, offrait un confort spartiate. Eran sentait ses membres engourdis. Par réflexe, il regarda son bras gauche meurtri lors de la joute avec la bête dans la clairière. Les premiers soins de sa combinaison touchaient à leur limite d’efficacité. La blessure était trop complexe et l’utilisation d’un caisson médical s’imposait avec une urgence croissante. Son pupitre d’information mobile le lui rappelait de plus en plus fréquemment. Allez Eran, du nerf, je ne peux pas me permettre d’être estropié si vite, se motiva intérieurement le jeune botaniste. Il tenta de bouger prudemment, se redressa et resta assis un instant. Il observa autour de lui. La nuit plongeait le transporteur dans l’obscurité. Seule une faible lumière jaune issue des indications médicales de sa combinaison repoussait l’obscurité. Je peux me permettre un peu de lumière sans risque, pensa Eran tout en enclenchant le dispositif d’éclairage de sa combinaison. Bien que de faible intensité, le retour de la lumière lui fit un bien fou. Il reprit rapidement confiance. Il se leva.
« Toi aussi, tu es dans un sale état. Je me rétablis et je m’occupe de ton cas », dit-il au transporteur en tapotant la structure de sa main droite.
Il escalada les sièges qui offraient de solides appuis. Il poussa sur ses jambes pour atteindre la porte menant à la soute. Cependant, la progression n’était pas aisée surtout avec son bras gauche blessé. Au prix de nombreux efforts, il pénétra dans la zone de vie du transporteur. Un désordre total y régnait, causé par le renversement soudain du véhicule. La priorité n’était pas au rangement. Il se dirigea aussitôt vers le stockage médical. Ouvrant les compartiments se présentant comme des trappes à ses pieds, il chercha quelques instants. Enfin, il mit la main sur l’objet qui assurerait le salut de son membre supérieur. Il attrapa le caisson médical et répéta les gestes appris à de nombreuses reprises lors de ses phases d’entraînement sur Daucus et le Markind Epsilon Eridani. Avec précaution, Eran l’adapta et l’appliqua en le refermant au niveau de sa blessure. L’objet entourait désormais son membre en épousant sa forme. Il activa l’appareil. Ensuite, la technologie prit le relais. Sur son PIM, il pouvait voir les différents diagnostics et la progression des soins. Les premiers résultats n’étaient pas très rassurants et l’état des différents tissus endommagés aurait effrayé les chirurgiens de l’ère pré-extra-expansionniste. Cependant, les caissons médicaux réalisaient des prouesses étonnantes. Le jeune homme resta confiant.
La bioingénierie avait effectué des bonds de géant depuis les premières phases de colonisation de Mars. Il fallait faire plus petit et plus efficace en repoussant toujours plus loin les limites de la physique. Ainsi, au prix de multiples évolutions, les médecins, désormais appelés biologistes sur les markinds, avaient développé une couche de premiers secours intégrée toujours plus étroitement dans la combinaison des colons. Ces équipements avaient sauvé de nombreuses vies et permis aux lignées de se maintenir, malgré de graves situations, dans un état de santé minimal. À cela s’ajoutait l’humaniformation qui avait modelé l’humanité, à tel point que seule l’apparence générale donnait l’illusion. Lors d’analyses physiologiques, un médecin de la période pré-extra-expansionniste aurait juré être en présence d’un être d’un autre monde. Ainsi, les Hommes étaient plus adaptés, résistants et aisés à soigner. Les innovations ne cessaient jamais, le caisson médical était une des merveilles récemment développées sur les markinds depuis la colonisation de Harriot-a. Un liquide nutritif baignait les tissus à réparer, des nanorobots contrôlés par le caisson et le PIM d’un biologiste ou du blessé assuraient une reconstruction des nerfs, des vaisseaux sanguins et des autres tissus. Un bémol quant à l’utilisation du caisson obligeait son porteur à des phases de repos fréquentes, pour une durée plus ou moins longue. En effet, les drogues utilisées demandaient une vigilance accrue de la part d’un biologiste. Logiquement, le bénéficiaire des soins était vivement invité à ne pas réaliser de tâche engageant un niveau dépassant une faible criticité. Malheureusement pour Eran, le biologiste de sa décurie reposait à quelques kilomètres sous les bâches aux côtés de son inséparable compagnon, Marc. Le jeune botaniste devait donc mettre en œuvre tout un protocole, seul. Dans sa situation, il devrait redoubler de vigilance dans ses déplacements pour ne pas se blesser par la fatigue engendrée et les étourdissements prévisibles.
Après avoir englouti un repas plus que bienvenu composé de quelques galettes énergisantes et d’une eau rafraîchissant sa bouche asséchée par ces dernières heures, Eran s’attela à une tâche peu aisée : faire le diagnostic des dommages du transporteur. Le premier constat crevait les yeux. L’engin était comme mort, gisant sur son flanc. Ainsi, il fallait en premier lieu trouver le moyen de redonner une étincelle d’énergie à l’engin. Il fouilla dans les caissons hermétiques un moment sans réel succès. L’inventaire visible sur son PIM était bien utile, mais ne changeait pas le fait que la droite du transporteur était désormais le plancher et que le contenu de la soute s’était retrouvé sens dessus dessous. Poursuivant ses recherches, il mit finalement la main sur deux cellules d’énergie. Prudemment, il s’agenouilla à proximité d’une trappe donnant un accès aux systèmes énergétiques du transporteur. La prudence devait, en effet, être de mise, car le choc avait pu créer des pièges soit électriques, soit chimiques. Des pièges potentiellement mortels à qui y plongerait les mains sans précaution. Après s’être équipé en conséquence, le jeune botaniste mit en œuvre les précieux conseils de l’ingénieur de sa décurie. Il vérifia l’état des vaisseaux et organes synthétiques du véhicule. Il ôta doucement, une à une, les cellules vides pour les stocker dans des conteneurs qui se chargeraient de les remplir. Il fut étonné devant un cas de figure jamais étudié auparavant. Au moins une des trois cellules aurait dû toujours être pleine et s’être mise en sécurité. Puis, en prenant un peu de recul sur la situation du véhicule, il comprit. La chute avait enfoncé la paroi, détruisant les circuits de secours. Il s’agissait d’une erreur de conception presque grossière. Les ingénieurs avaient mis tous les œufs dans le même panier.
Eran s’assit un instant. Sa position inconfortable lui provoquait des vertiges. La fatigue, le stress et les substances parcourant son corps, n’arrangeant rien, lui imposèrent une période de repos. Il crut voir un instant Nell, l’ingénieur, s’affairer à une réparation quelconque vers le poste de pilotage. La position de son défunt compagnon, debout à l’horizontale, défiant la gravité de Saruan-c, même un peu plus faible, de très peu, que celle de Daucus ne pouvait l’expliquer. Tu commences à dérailler, Eran. Il se tapa de la main sur les joues en fermant les yeux. Quand il les ouvrit de nouveau, Nell avait disparu. Il s’autorisa sans attendre un instant de repos.
À son réveil, la douce lumière orangée du jour filtrait à travers la porte menant à la cabine. Le jeune botaniste, désormais, de facto, ingénieur en chef de sa décurie, se releva. Il fallait s’activer à remettre en état au minimum le circuit primaire qui, par chance, semblait avoir moins souffert. À l’aide de plusieurs outils et de son incontournable pupitre d’information mobile, il passa lentement, scrupuleusement chaque connexion au jugement de son contacteur. Il répara, remplaça les pièces défaillantes. Au bout d’une bonne heure, ponctuée de quelques pauses que son état de santé nécessitait, il avait devant lui un circuit primaire tout neuf.
« Alors Nell, qu’en dis-tu ? Du bon travail, non ? » clama à haute voix Eran.
Le jeune botaniste commença à insérer la cellule d’énergie. À peine positionnée, une gerbe d’étincelles lui sauta au visage. Il recula par réflexe tout en écartant l’appareil.
« Le commutateur, Eran. Tu n’as pas désengagé le commutateur.
— Je sais Nell, j’avais juste… », répondit par réflexe le jeune homme.
Eran se retourna, cherchant son interlocuteur, mais personne ne se tenait près de lui. Cette dernière intervention lui donna une impression désagréable, un mélange de peur et d’angoisse ancré au fond de son âme. Il n’était pas spécialement friand des histoires mêlant fantastique et paranormal. Il se doutait qu’il s’agissait du résultat de plusieurs facteurs : la fatigue, les drogues prodiguées par les soins du caisson médical, le stress intense et l’état de choc à la suite de la perte de sa décurie. Il reprit son souffle. Au passage, il ajusta le dosage des calmants diffusés par sa combinaison. La douleur sera un peu de retour, mais au moins, je garderai un peu de lucidité, se justifia-t-il. Enfin, il termina l’installation de la cellule d’énergie en basculant préalablement le commutateur sur la position adéquate.
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