Chapitre 3 - Contact - Partie 2
La santé retrouvée du circuit primaire redonnait vie au transporteur. Il pouvait sentir les petits signes de vitalité synthétique comme les voyants fixes ou clignotants et, si l’on tendait bien l’oreille, le léger ronronnement de quelques installations. Eran resta un bon moment devant son PIM à détailler l’ensemble des pannes et des réparations à effectuer. Mais une tâche, et la plus importante, s’imposait à lui. Pour celle-ci, il n’avait pas fallu de diagnostic avancé ou autre donnée marquant un dysfonctionnement quelconque. Une évidence qui l’avait inquiété dès la vue de l’engin couché sur le flanc. Il faudrait le redresser. La décurie au complet aurait pu à la force de ses muscles relever l’engin. Mais seul et estropié, l’affaire était bouclée. Il lui fallait une aide extérieure.
Eran, après un nouveau moment de repos plus que nécessaire, se lança dans une tentative de contact avec le camp embryonnaire Alpha ou une décurie à proximité. N’importe qui, du moment qu’il entende enfin un autre humain. Il doit bien y avoir quelqu’un qui nous cherche, depuis tout ce temps. Cette pensée l’avait accompagnée dès les débuts de sa retraite forcée. Désormais l’esprit moins dans l’urgence, elle refaisait surface au sein de ce nouveau refuge. Cependant, l’autonomie des expéditions amenait parfois à de rares liaisons avec les centurions ou Octavie Lifra, la responsable de l’ensemencement à bord du Markind. Pourtant, leur mission avait une forte valeur pour la colonie. Ils ne pouvaient donc pas rester sans échanges avec le commandement très longtemps sans éveiller des soupçons. En outre, il fallait compter avec les archivistes avides de données fraîches de toutes sortes pour alimenter une insatiable Humania, L’Encyclopédie universelle retraçant l’aventure humaine depuis ses origines.
Par chance, les systèmes de communication n’avaient pas souffert de la chute du transporteur, ni de l’absence prolongée d’alimentation électrique. Le jeune homme ouvrit un canal de communication général, en y adjoignant un caractère d’urgence, en direction du camp embryonnaire Alpha. Après s’être éclairci la voix, il dicta brièvement, pour une transcription et un envoi par écrit, les différents éléments expliquant son isolement et son besoin d’aide.
« Eran, de la décurie Feelnorn, isolé depuis deux semaines et trois jours, sur la zone du canyon, site d’expédition 8BH. Seul rescapé de ma décurie. Raison du décès de mes équipiers : inconnue. Attaque par la faune négative. Réfugié à bord du transporteur. État médical stable. Transporteur inopérant suite basculement sur le flanc. Demande assistance immédiate. »
Le message apparut sur son PIM en attente de validation. Il ajouta tous les critères adéquats pour une prise en charge prioritaire par les relais de communication. Une fois contrôlé, il envoya son appel à l’aide.
Il fallait étendre le temps pour suivre le trajet du message d’Eran. Les impulsions électriques voyageaient du PIM en passant par les nerfs métalliques du transporteur puis se mutaient en ondes pour se diffuser dans toutes les directions. Un relais cueillit l’information, la digéra, pour la restituer et la transmettre dans un format lumineux. Enfin, les pupitres et les PIMs des colons du camp embryonnaire Alpha reçurent le message prioritaire du seul survivant de la décurie Feelnorn.
Du côté d’Eran, seul un message apparut à peine une seconde après sa validation, affichant : « Transmis. »
Il regarda son PIM un moment. Fixant l’objet, il patientait, en quête d’une réponse, quelle qu’elle fût. L’attente semblait s’éterniser. La réponse ne vint pas. D’une nature patiente, Eran commençait à perdre cette vertu. Il doit y avoir un problème sur mes systèmes de réception, détermina-t-il en premier lieu. Il relança un diagnostic complet des systèmes de communication du véhicule. Effectivement, quelques problèmes remontaient dans la liste. Mais ceux-ci étaient mineurs. Le jeune homme vérifia de nouveau l’ensemble des sous-systèmes. Les structures de communication, transporteur, les relais et terminaux du camp opéraient correctement. Le problème ne provenait pas d’un dysfonctionnement technique. Sa tête bourdonnait. Il regardait son PIM, aucune réponse ne lui parvenait. Au fond de lui, le stress monta inlassablement. Ce qui était exclu, impensable, devenait possible. Enfin, la réalité s’imposa à lui, terrible, incroyable. Il n’y avait personne au camp embryonnaire Alpha. Il recula, cherchant un support pour son corps meurtri et son esprit frappé de plein fouet par cette révélation.
Eran était plutôt d’un naturel optimiste, enjoué tout en restant discret. C’était quelqu’un d’agréable à vivre. Martin Feelnorn avait tout de suite remarqué en lui ce potentiel. Ces qualités qui, cachées, encore inconnues de leur propre détenteur, faisaient de lui un être à part. Il comptait parmi les femmes et les hommes sur lesquels on pouvait s’appuyer. Déjà sur Daucus, l’enfant Eran avait impressionné ses maîtres instructeurs. Il avait montré des qualités d’écoute et de prise de recul sur lui-même qui, dès son plus jeune âge, avaient forcé le respect de certains. D’autres, comme à l’accoutumée, nombrilistes indécrottables, le qualifiaient de rêveur, inutile dans la réalisation de leurs projets à court terme et personnels. Eran avait appris peu à peu à se désintéresser de telles personnalités néfastes et immatures. Il avait toujours été attiré par les personnes plus mûres, qui n’étaient pas souvent les plus âgées. Seule Lio Chen venait contredire une partie de ce schéma par son caractère parfois enfantin. Comme il ne cherchait pas en permanence la compagnie de ses semblables humains, Eran s’était naturellement entiché des plantes et plus généralement de la flore de sa planète. Elle lui avait offert de belles découvertes, comme les canneberges des plateaux daucusiens, dont il partageait le titre de découvreur et d’amateur inconditionnel. D’ailleurs, il était le seul dans son entourage à aimer leur goût à l’amertume prononcée.
En outre, ses qualités d’intervenant et son expertise en botanique avaient, logiquement, amené les responsables de l’ensemencement à retenir son profil pour un départ vers leur nouvel avenir, Saruan-c. Dans un premier temps, Eran avait décliné poliment l’offre. Terrible affront, que l’on avait mis sur le compte de sa jeunesse. En effet, les ensemencements relevaient presque du sacré. Les vaisseaux spatiaux de type Markind étaient adulés par toutes les générations confondues. Puis, devant les nombreuses relances et les promesses diverses et variées, ils eurent raison de sa volonté. Eran n’avait, pour finir, prononcé qu’un seul vœu qui étonna les ingénieurs du Markind Epsilon Eridani, que l’on charge les modèles de synthétisation de sa purée de canneberges fétiches, améliorée par sa mère, à bord. Vœu aussitôt accepté et exaucé après une vigoureuse poignée de main avec Octavie Lifra qui afficha un sourire radieux en prononçant le fameux, mais quelque peu grotesque, et attendu : « Bienvenue à bord. »
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