Chapitre 4
« Nous rappelons à notre aimable clientèle la mise en place des heures silencieuses, tous les jours, de 13 à 14 H et de 16 à 17 H. Les sons et lumières de votre magasin sont réduits pour accueillir nos clients atteints d’un trouble du spectre autistique ou préférant les atmosphères calmes. Nous vous souhaitons une agréable journée en notre compagnie ».
Se terrer et se taire... je regrette de ne pas avoir pu choisir le temps de mon enquête. Si j'avais pu le faire, je serais venu aux heures mentionnées dans l'annonce.
Je fuis la zone de spectacle sons et images - j'en ai vu suffisamment - et prends les chemins de traverse que j'espère plus calmes, jusqu'à ma destination finale.
Dans les couloirs des rayons chaussures, l'ambiance est plus cosy.
_ Tu sens quand j'appuie, là ? demande une mère à son fils, le pouce enfoncé sur le bout de la basket qu'il est en train d'essayer. Son hochement de tête négatif valide le choix de la maman. À deux rangées de là, une autre paire est en vente. Plus chère, car estampillée d'une virgule, elle restera accrochée au rayon... comme dans les yeux du gamin.
Un peu plus loin, un retraité tâte l'intérieur d'une Charentaise pour en apprécier le molleton. Je dépasse un trentenaire qui jette nonchalamment des semelles de confort dans son caddie avant de continuer ses courses. Serein ou usé ? Je ne saurais jamais quelle est son humeur. Je poursuis mon chemin. C'est la fin de ma parenthèse : j'entre dans la fosse, les allées principales, qui sont, en définitive, toutes les mêmes. Ici comme partout, tout le monde s'agite, frénétique.
Dans les bacs à promo :
_ Attends deux minutes, s'exclame une femme à son conjoint pour s'y précipiter.
À ma droite :
_ Je les ai vu à 5 euros là-bas.
_ Non, c'est pas les mêmes.
En tête de gondoles :
Le deuxième à moitié prix, 30 % avec la carte, 5,99 € les 3 soit 14,50 € le kilo...
Des lots à ne pas manquer se superposent, dans toutes les couleurs, sous tous les formats.
Dans le secteur apéro, un tout petit claque son jouet contre le métal du caddie et s'ajoute au brouhaha ambiant.
_ J'en prends 2 alors ? demande le père au téléphone.
Je passe le rayon Discount (à droite) et ses étiquettes orange fluo.
Des indications, des panneaux, des fléchages nous orientent vers le Bio (à gauche) ou le caviste (au fond).
_ Monsieur, une petite dégustation ? m'invite une représentante, un plateau de saucisson à la main.
« Jusqu'au 18 septembre, les 4 tranches de filet de saumon fumé au bois de hêtre bio, élevé en Atlantique Nord, sont seulement à 7,32 € ! Gardez la tête froide, l'offre est valable jusqu'au 18 septembre ! Saumon atlantique issu de l' agriculture biologique, garanti sans OGM, valeur nutriscore D. Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé. »
Blablabla et jingle.
S'ensuit une page musicale, consensuelle et doucereuse. Elle permet de remettre les esprits à zéro pour mieux reprendre le lavage de cerveau à coup d'offres promo, de rappels commerciaux.
Au milieu de l'allée, on fait salon :
_ Et Fanny ?
_ Elle est en terminale cette année.
_ Déjà ? Oh, là, là, ça passe vite…
Plus loin :
_ Vous pouvez m'attraper ce paquet, là-haut, s'il vous plait ? demande une petite dame à un jeune.
Comme tous, je déambule, invisible. Je me fonds dans la masse, sous le maquis des affiches rouges, jaunes, vertes, qui nous rappellent qu'on est au bon endroit, car « les prix bas, ici, c'est toute l'année ».
Je taille ma route, comme je peux, le plus vite possible.
Des gamins braillent, un mec se trompe de caddie, un vendeur remplit son rayon.
Je sature. J'étouffe dans toute cette foule qui grouille de tout. Toute cette diversité, cette profusion à foison me donne la nausée.
Je suis comme un agoraphobe qu'on aurait lâché dans un parc d'attractions.
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